La Lettre surrénale
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SOMMAIRE

ÉDITORIAL
Covid-19 et corticosurrénale
Olivier Chabre
Service d'endocrinologie, CHU Grenoble-Alpes

ACTUALITÉS

Hydrocortisone et infection Covid-19 : faut-il choisir entre la peste et le choléra ?
Laurence Guignat
Centre de référence des maladies rares de la surrénale ; service d’endocrinologie, hôpital Cochin, Paris.

Corticoïdes et infection Covid-19
Bernard Goichot
Service de médecine interne, endocrinologie et nutrition, Hôpitaux Universitaires de Strasbourg



Le syndrome de Cushing au temps de Covid-19
Antoine Tabarin
Service endocrinologie, diabète et nutrition, CHU de Bordeaux.

ACE2, récepteur pour une pandémie
Justine Cristante*, Pascal Poignard**, Olivier Chabre*
* Service d’endocrinologie, CHU Grenoble-Alpes ; unité mixte Inserm-CEA-UGA UMR 1036, Grenoble.
** Institut de biologie structurale, université Grenoble-Alpes ; Commissariat à l’énergie atomique ; Centre national de recherche scientifique ; service de virologie, CHU Grenoble-Alpes, Grenoble.

 
Éditorial : Covid-19 et corticosurrénale

Olivier Chabre
Service d’endocrinologie, CHU Grenoble-Alpes ; unité mixte Inserm-CEA-UGA UMR 1036, Grenoble.

Il n’est malheureusement plus besoin de présenter l’infection à Sars-CoV-2 : Covid-19 bouleverse les vies d’une bonne partie de l’humanité et occupe toutes nos pensées. Mais on pourrait croire que cette infection, dont la gravité dépend surtout d’une pneumopathie, ne concerne pas directement les endocrinologues.
Au contraire, il se trouve que l’endocrinologie est très directement intéressée, et pour plusieurs raisons : tout d’abord, une question pressante est de savoir comment les patients porteurs d’une pathologie surrénalienne doivent gérer ce “stress” particulier, d’autant plus qu’au début de la pandémie des informations alarmistes sur le danger des corticoïdes ont circulé, à l’origine d’une grande inquiétude chez les patients insuffisants surrénaliens qui ont un besoin vital d’hydrocortisone. Les articles de Laurence Guignat (“Hydrocortisone et infection Covid-19 : faut-il choisir entre la peste et le choléra ?”) et de Bernard Goichot (“Corticoïdes et infection Covid-19”) permettront de faire le point sur cette question très importante pour l’insuffisance surrénale.

Antoine Tabarin (“Le syndrome de Cushing au temps de Covid-19”) abordera quant à lui l’un des défis que représente cette pandémie pour une autre pathologie surrénalienne : le syndrome de Cushing. Comment prendre en charge cette pathologie, au diagnostic et au traitement parfois très complexes, dans un environnement médical transformé par Covid-19 ? Question d’autant plus pertinente qu’il faut craindre que les patients porteurs d’un syndrome de Cushing ne fassent partie des patients à risque de développer une forme grave de Covid-19. En effet, le syndrome de Cushing est voisin du “syndrome métabolique”, or il est très rapidement apparu que la présence d’une obésité, d’un diabète de type 2 ou d’une HTA étaient des facteurs de gravité de l’infection Covid-19, en particulier dans le sexe masculin, ce qui ne peut qu’interpeller les endocrino-diabétologues, particulièrement concernés par la prise en charge de ces patients. Il est clair que les endocrinologues sont dans la tourmente et se doivent d’être encore plus proches de leurs patients en ces temps de guerre.

Mais l’endocrinologie ne serait pas ce qu’elle est sans son goût pour la physiopathologie moléculaire, qui permet de comprendre les mécanismes à l’œuvre dans les pathologies endocriniennes, et c’est là que se situe une surprise. En effet, dans l’infection Covid-19, la virologie, qui s’intéresse particulièrement aux mécanismes permettant au virus d’entrer dans l’organisme, rencontre l’endocrinologie. Les deux parlent de récepteurs, sans en avoir exactement la même définition : pour l’endocrinologue, un récepteur est la molécule qui transmet le message de l’hormone à la cellule, tandis que pour le virologue, le récepteur est la molécule qui permet au virus d’entrer dans la cellule (le message c’est le virus, et quel message !). Les deux récepteurs ont pour même caractéristique d’offrir une liaison spécifique soit de l’hormone, soit du virus.

La surprise (pour les endocrinologues, car les virologues spécialistes des coronavirus le savaient depuis l’infection à Sars-CoV-1) c’est que, pour Covid-19, le récepteur est une molécule impliquée dans l’action d’une hormone, l’angiotensine II. Pour l’endocrinologue, cette molécule, ACE2, n’a rien d’un récepteur, car elle ne lie aucune hormone. Il s’agit d’une enzyme protéolytique dont la fonction est d’activer une pré-hormone, l’angiotensine I. Cependant, de façon similaire à certains récepteurs hormonaux, cette enzyme est transmembranaire, avec un domaine extracellulaire au contact de la circulation, qui comprend à la fois l’activité catalytique et le domaine de liaison du virus. Dans l’article “ACE2, récepteur pour une pandémie” nous essayons, avec Justine Cristante et Pascal Poignard, d’analyser les mécanismes d’action de ce récepteur viral particulier et ses implications dans la physiopathologie des formes graves de Covid-19.

O. Chabre déclare avoir reçu des honoraires de conférencier et des invitations à des congrès des laboratoires Ipsen, Novartis, HRA pharma, Pfizer ; participer à des études financées par Novartis ; et être membre d’un board pour HRA pharma.


Actualités

 
Hydrocortisone et infection Covid-19 : faut-il choisir entre la peste et le choléra ?

Laurence Guignat
Centre de référence des maladies rares de la surrénale ; service d’endocrinologie, hôpital Cochin, Paris.

Les médias se sont fait l’écho des dangers des corticoïdes pouvant contribuer à la sévérité des infections Covid-19 : les patients recevant une corticothérapie à dose immunosuppressive sont considérées comme des personnes fragiles (https://solidarites-sante.gouv.fr/actualites/actualites-du-ministere/article/coronavirus-qui-sont-les-personnes-fragiles ) et les corticoïdes sont contre-indiqués en cas d’infections Covid-19 (avis du 23 mars 2020 du Haut Conseil de la santé publique : https://www.hcsp.fr/Explore.cgi/Telecharger?NomFichier=hcspa20200305_coviprisenchardescasconf.pdf). Ces alertes ont ravivé les craintes des patients insuffisants surrénaliens vis-à-vis de l’hydrocortisone qu’ils considèrent comme responsable d’effets indésirables, tout en ayant le plus souvent parfaitement conscience qu’il s’agit également d’un traitement vital [1, 2]. Que faire alors ? Prendre le risque de développer une forme grave d’infections Covid-19 et exposer son entourage au virus ou bien courir le risque de faire une insuffisance surrénale aiguë ? Faut-il choisir entre la peste et le choléra ? À l’inverse, certains patients ont été tentés d’augmenter préventivement l’hydrocortisone dans l’espoir d’éviter le virus et sa forme grave, de la même manière qu’ils ont parfois recours de façon exagérée à ce traitement, en prévision d’un stress psychologique ou en cas de fatigue, lui attribuant des vertus qu’il n’a pas.

La Société française d’endocrinologie (SFE) a mis en ligne sur son site, dès le 4 mars, les recommandations concernant l’hydrocortisone, en insistant sur l’importance de poursuivre ce traitement et d’appliquer les mêmes consignes que lors de toute infection avec symptômes (http://www.sfendocrino.org/article/1014/covid-19). Ces conseils ont été repris sur le site de l’association de patients Surrénales (https://www.surrenales.com/recommandations-face-au-coronavirus-pour-les-insuffisants-surrenaliens/). En dépit de ces prises de position, les corticophobies étant tenaces, vous avez sans nul doute été assaillis de questions, dans la période qui a précédé le confinement : “Suis-je une personne fragile ?”. Le déconfinement suscitera également de nombreuses interrogations : “Que faire pour éviter d’attraper le virus Covid-19 ?”, “Que faire si je suis contaminé ?”… Chaque endocrinologue a un rôle important à tenir pour démystifier l’hydrocortisone et renforcer les messages éducatifs auprès des patients insuffisants surrénaliens, afin d’éviter la survenue d’insuffisances surrénales aiguës, mais aussi les surdosages chroniques.

Hydrocortisone/corticoïdes anti-inflammatoires

Une fiche à destination des patients (voir infra encadré et figure) a été élaborée pour la filière des maladies rares endocriniennes Firendo et l’association Surrénales, en s’inspirant largement du message éducatif délivré dans le programme d’éducation thérapeutique “CAP Surrénales”, destiné aux personnes atteintes d’insuffisance surrénale. Cette fiche peut servir de support d’information et permettre d’initier un échange avec vos patients. Pour les personnes prenant une dose supra-physiologique d’hydrocortisone de façon chronique, la crainte de formes graves de l’infection Covid-19 est un argument supplémentaire pour essayer de diminuer la posologie quotidienne. À défaut, il faut probablement renforcer les gestes barrières en y associant le confinement, avec notamment un arrêt de travail du patient mais aussi de ses proches si le télétravail n’est pas possible, comme cela a été conseillé par FAI²R, la filière de santé pour les maladies auto-immunes et auto-inflammatoires rares, dans le cas des patients traités au long cours à des doses supérieures à 10-15 mg/jour d’équivalent prednisone, seuil retenu pour définir la fragilité vis-à-vis de l’infection Covid-19 (https://www.fai2r.org/actualites/covid-19 ).

Adapter les doses d’hydrocortisone

La recommandation “traditionnelle” est de doubler, voire de tripler, la dose d'hydrocortisone en cas de maladie entraînant de la fièvre ou nécessitant le repos ou un traitement antibiotique ou des gestes tels que des soins dentaires, et de faire une injection d'hydrocortisone en cas de troubles digestifs ou de maladie sévère [3-5]. Toutefois, cette recommandation comporte des écueils. D’une part, de nombreux patients augmentent l’hydrocortisone uniquement aux heures où ils prennent d’ordinaire leur traitement (par exemple, le matin et le midi). Mais, du fait de la demi-vie courte de l’hydrocortisone, les patients ne sont pas “couverts” de la fin de soirée jusqu’au lendemain matin, et, si le problème survient en fin de journée ou la nuit, plusieurs heures peuvent s’écouler entre les premiers symptômes et la prise d’hydrocortisone. D’autre part, les indications de l’injection d’hydrocortisone ne sont pas assez précises. À défaut d’études ayant démontré l'efficacité et la sécurité d'une stratégie donnée, le parti pris du groupe de travail du consensus français sur l’insuffisance surrénale [6] a été de donner des consignes à appliquer, quel que soit le facteur intercurrent, mais personnalisées pour chaque patient (éventuelle sécrétion résiduelle, inducteur enzymatique, grossesse, maladies inflammatoires de l’intestin, etc.), en privilégiant la prévention de l’insuffisance surrénale aiguë plutôt que le risque de surdosage. Il est nécessaire de prendre en compte le pléomorphisme de l’infection Covid-19, dont les manifestations cliniques très diverses, certaines très invalidantes quand d’autres sont sans retentissement sur l’état général, fluctuent dans le temps et restent présentes chez certains patients plus de trois semaines après les symptômes, afin d’éviter un surdosage prolongé inapproprié. Des préconisations sont proposées dans le tableau ci-après pour un adulte traité habituellement par 20 mg d’hydrocortisone et présentant des symptômes compatibles avec une infection Covid-19. La prévention de l’insuffisance surrénale aiguë reposant principalement sur la capacité des patients à reconnaître les situations à risque et à adapter leur traitement rapidement et correctement, il ne faut pas entraver leur autonomie en leur demandant de consulter l’endocrinologue ou le médecin urgentiste avant d’appliquer ces consignes. En revanche, passés les premiers jours de la maladie Covid-19, si les manifestations persistent, il est important que les patients se rapprochent de leur endocrinologue pour ajuster au mieux le traitement substitutif.

Finalement, tout est question d’équilibre, tant pour les doses substitutives d’hydrocortisone en situation basale et face à une maladie, que s’agissant de l’autonomie du patient et du recours à l’endocrinologue…

Fiche
Hydrocortisone et corticoïdes anti-inflammatoires

L’hydrocortisone et les corticoïdes anti-inflammatoires appartiennent à la même famille de médicaments, les corticoïdes :

  • l’hydrocortisone est le nom donné au cortisol lorsqu’il est fabriqué par synthèse chimique. Chez les patients atteints d’insuffisance surrénale, l’hydrocortisone remplace le cortisol que ne fabriquent plus les surrénales. Votre endocrinologue vous a remis une ordonnance indiquant quelle dose prendre et sa répartition pour les journées “normales”, et vous a expliqué comment adapter le traitement en cas de maladie aiguë, comme une gastroentérite ou une infection, ou encore en cas d’anesthésie générale ou de chirurgie ;
  • les corticoïdes anti-inflammatoires, connus sous l’appellation “cortisone” ou “corticoïdes de synthèse” ou encore “anti-inflammatoires stéroïdiens” sont des dérivés du cortisol, plus puissants et qui durent plus longtemps dans le sang que le cortisol. Ils sont utilisés pour améliorer ou guérir un grand nombre de maladies (allergies sévères, maladies inflammatoires, auto-immunes, etc.), mais ils entraînent des effets indésirables. Le risque d’effets indésirables varie en fonction de la dose et de la durée du traitement, mais aussi selon les individus. Des complications liées aux corticoïdes anti-inflammatoires et aux anti-inflammatoires non stéroïdiens (par exemple ibuprofène) ont été signalées chez des patients atteints d’infections Covid-19. L’hydrocortisone, habituellement donné à des doses autour de 20 mg/jour chez les adultes dans l’insuffisance surrénale, ce qui correspond à peu près à 5 mg/jour d’équivalent prednisone, n’est pas identifié comme un facteur aggravant d'une infection Covid-19.

Suivez les consignes de votre endocrinologue et n’hésitez pas à le contacter pour qu’il vous les rappelle.

Pas de surdosage sur le long terme : si la dose d’hydrocortisone est supérieure à ce que produisent normalement les surrénales ou prise à des moments où les surrénales sont censées être au repos, il peut y avoir des effets comparables à la “cortisone”, et ce, d’autant plus que l’excès d’hydrocortisone est important et prolongé. Il est donc déconseillé de dépasser la dose prescrite de façon régulière pour des journées “normales” et de prolonger l’augmentation inutilement en cas de maladie aiguë. 

Éviter le sous-dosage : n’arrêtez jamais le traitement par hydrocortisone et augmentez-le en cas de maladie aiguë, y compris en cas de manifestations évocatrices d’infections Covid-19 (toux, perte d’odorat, troubles digestifs, fièvre, etc.), afin d’éviter l’insuffisance surrénale aiguë.

Les pyramides représentent les 2 surrénales , partie haute pour journée normale, de taille normale, partie basse, 2 fois plus grosses. Les cylindres ronds représentent des cachets d’hydrocortisone.

 

 

Tableau. Exemple de consignes d’adaptation du traitement pour un adulte insuffisant surrénalien traité par 10 mg d’hydrocortisone matin et midi et présentant des symptômes d'infection Covid-19

Situation

Consigne

Toux et/ou fièvre, frissons, épuisement, nausées, 1 épisode de vomissement, 1 épisode de diarrhée

- Prendre immédiatement quelle que soit l’heure 20 mg d’hydrocortisone, puis 20 mg matin, midi et soir pendant 3 jours
- Appelez votre médecin traitant ou le numéro de permanence
- Si les symptômes persistent plus de 3 jours, contactez votre endocrinologue (évaluation clinique en privilégiant la téléconsultation, biologique [kaliémie] et ajustement de l’hydrocortisone)

Perte d’odorat isolée, sans aucune autre manifestation

- Inutile d’augmenter la dose d’hydrocortisone
- Appelez votre médecin traitant ou le numéro de permanence

Difficultés à respirer et/ou malaise et/ou douleur dans la poitrine

- Prendre immédiatement 20 mg d’hydrocortisone ou, si impossible, faire une injection sous-cutanée de 100 mg d’hydrocortisone
- Appelez le 15

Au-delà de 2 vomissements et/ou 2 diarrhées en moins de 4 heures ou de troubles de conscience

- Faire une injection sous-cutanée de 100 mg d’hydrocortisone
https://www.youtube.com/watch?v=1Imlbe3efpQThe https://www.youtube.com/watch?v=5v176DHrRUE
- Appelez le 15

Anesthésie générale, chirurgie, traumatisme, accouchement, réanimation

Hydrocortisone 50 ou 100 mg par voie i.v. ou i.m.
Puis hydrocortisone 100 mg par 24 h i.v. à la seringue électrique (ou à défaut 25 mg toutes les 6 h i.v. ou i.m.), jusqu’à reprise d’une alimentation orale
Puis hydrocortisone en comprimés 20 mg matin, midi et soir
Puis diminution progressive jusqu’à la dose habituelle
Fludrocortisone à reprendre quand la dose d’hydrocortisone est inférieure à 50 mg/24 h

 

Références bibliographiques

1. Tiemensma J et al.Patients with adrenal insufficiency hate their medication: concerns and stronger beliefs about the necessity of hydrocortisone intake are associated with more negative illness perceptions. J Clin Endocrinol Metab 2014;99:3668-76.
2. Chapman SC et al. Glucocorticoid therapy for adrenal insufficiency: nonadherence, concerns and dissatisfaction with information. Clin Endocrinol (Oxf) 2016;84:664-71.
3. Bornstein SR et al. Diagnosis and treatment of primary adrenal insufficiency: an endocrine society clinical practice guideline. J Clin Endocrinol Metab 2016;101:364-89.
4. Husebye ES et al. Consensus statement on the diagnosis, treatment and follow-up of patients with primary adrenal insufficiency. J Intern Med 2014;275:104-15.
5. Kaiser UB et al. Our Response to COVID-19 as Endocrinologists and Diabetologists. J Clin Endocrinol Metab 2020;105(5). pii: dgaa148.
6. Reznik Y et al. SFE/SFEDP adrenal insufficiency French consensus: Introduction and handbook. Ann Endocrinol (Paris) 2018;79(1):1-22.

L. Guignat déclare avoir des liens d’intérêts avec HAC Pharma.


Corticoïdes et infection Covid-19

Bernard Goichot
Service de médecine interne, endocrinologie et nutrition, Hôpitaux Universitaires de Strasbourg.

L’infection Covid (coronarovirus associated diseases)-19 est une épidémie mondiale, sans équivalent dans l’histoire moderne. Il se manifeste principalement par une atteinte pulmonaire à type de pneumopathie interstitielle plus ou moins étendue, pouvant évoluer vers une hypoxie sévère et un syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA ou SARS dans la littérature anglo-saxonne), nécessitant une prise en charge ventilatoire et engageant le pronostic vital. Depuis l’apparition de la maladie fin 2019, de nombreux travaux ont été publiés sur une période très courte, témoignant de l’engagement massif de la communauté médicale et scientifique pour faire face à cette pandémie. Le corollaire de cette extrême rapidité est la difficulté à garder un regard critique et synthétique sur une littérature très abondante qui n’a pas toujours fait l’objet d’une évaluation rigoureuse. Dans ce contexte, les nombreuses prises de position de responsables politiques et d’autres personnalités sans légitimité scientifique ont provoqué beaucoup d’interrogations dans la population générale et chez nos patients. La question de l’utilisation des anti-inflammatoires, et notamment des corticoïdes, a fait l’objet d’une communication erratique véhiculant des messages contradictoires. Nous allons brièvement tenter de synthétiser ici les données disponibles pour proposer quelques recommandations pratiques.

Schématiquement, les deux phénomènes à l’origine du tableau clinique du Covid-19, probablement associés dans tous les cas mais peut-être à des degrés variables suivant les patients, sont les lésions directement induites par le virus et celles causées par la très importante réaction inflammatoire de l’organisme, parfois résumée sous le terme réducteur d’“orage cytokinique“. Ce modèle est connu et fait l’objet de multiples travaux non seulement dans les affections voisines du Covid-19, comme les SDRA d’autres étiologies, mais également dans de nombreuses maladies inflammatoires. Dans ces cas, c’est un agent causal, le plus souvent non identifié, ou un facteur déclenchant (trigger) qui est à l’origine d’une réaction immunitaire et inflammatoire, échappant aux mécanismes physiologiques de régulation, qui est elle-même à l’origine des lésions cellulaires causant la maladie. L’objectif thérapeutique est alors de lutter contre cette réaction inflammatoire incontrôlée. Cette approche s’est imposée depuis une vingtaine d’années et a été à l’origine de développements thérapeutiques spectaculaires, notamment dans certaines affections rhumatismales et systémiques. Ce concept n’est cependant pas nouveau et a permis l’essor de la corticothérapie au début des années 1950. Le corollaire de cet effet antiinflammatoire et immunosuppresseur est le risque d’inhiber les défenses antimicrobiennes de l’organisme et de favoriser la multiplication des agents infectieux, entraînant un risque d’infection grave, voire létale. La recherche d’un foyer infectieux ou d’une tuberculose latente fait ainsi partie des bonnes pratiques cliniques avant de prescrire une corticothérapie générale ou a fortiori un traitement immunosuppresseur. Et les infections dites opportunistes figurent parmi les complications principales – au moins à court terme – de ces traitements. L’injonction d’arrêter un traitement anti-inflammatoire lors d’une infection virale aiguë peut ainsi apparaître comme une mesure de bon sens à mettre en balance bien entendu avec les risques d’interruption et de “rebond” éventuel de la maladie inflammatoire. Dans ce contexte, rien ne permettait initialement de proposer des mesures différentes pour le Covid que pour d’autres infections, cette problématique étant courante dans la prise en charge de toutes les maladies inflammatoires. Nous nous limiterons ici à la question des glucocorticoïdes qui intéresse l’endocrinologue. Il n’est cependant pas inintéressant de rappeler quelques notions récentes sur la place des traitements immunomodulateurs et notamment des corticoïdes dans les infections graves.

Le choc septique est actuellement considéré comme une dysrégulation de la réponse de l’hôte à une infection. De nombreux travaux suggèrent également une réponse anormale de l’axe corticotrope, mais plusieurs essais cliniques n’ont pas permis de clarifier l’indication des corticoïdes dans cette situation. Même dans les études rapportant un effet positif des corticoïdes sur la mortalité dans les chocs septiques, on ne sait pas avec certitude si cet effet résulte d’un effet “substitutif” corrigeant la dysfonction corticotrope ou d’un effet “anti-inflammatoire” [1]. Élément troublant, des données expérimentales et cliniques récentes suggèrent également un effet bénéfique des minéralocorticoïdes qui pourrait être médié par des effets hémodynamiques, mais aussi par un effet immunomodulateur [2, 3].

Concernant l’infection Covid-19, au moment où nous rédigeons ces lignes, aucun traitement n’a fait la preuve de son efficacité, mais plusieurs essais thérapeutiques sont en cours, notamment avec des anticorps monoclonaux ciblant l’IL6 et l’IL1 (tocilizumab, anakinra). Certaines équipes utilisent également de fortes doses de glucocorticoïdes. Une revue très récente est disponible sur les effets potentiels des traitements ciblant l’inflammation dans le Covid [4]. L’utilisation des corticoïdes repose entre autres sur l’expérience de l’épidémie de SARS causée par un autre coronarovirus au début des années 2000, mais son efficacité reste débattue [5]. En dehors des essais cliniques, l’utilisation des corticoïdes en France semble se limiter aux cas engageant le pronostic vital à court terme ou aux situations palliatives.

Dans cette balance entre effet anti-inflammatoire peut-être bénéfique et risque de diminution des défenses anti-infectieuses, quelle doit être l’attitude chez un patient traité au long cours par des glucocorticoïdes ? En l’absence de données scientifiques, le bon sens doit guider les recommandations. Si un traitement anti-inflammatoire stéroïdien ou non est justifié, il ne doit pas être interrompu. Les premières données disponibles en Italie et en France à partir de cohortes de patients traités au long cours par corticoïdes, immunosuppresseurs ou immunomodulateurs, et développant une infection au coronavirus, ne font pas apparaître un risque d’évolution péjorative par rapport au reste de la population. Compte tenu du caractère très préliminaire de ces observations, leur extrapolation doit se faire avec beaucoup de prudence.

La décision de suspendre ou non un traitement anti-inflammatoire/immunomodulateur doit dépendre de l’indication de ce type de traitement et du risque de reprise évolutive de la maladie inflammatoire, et du traitement en cause. L’attitude n’est à l’évidence pas la même pour des biothérapies administrées de façon mensuelle ou pour une corticothérapie au long cours. Nous n’envisagerons ici que cette dernière situation. Une corticothérapie prolongée (classiquement et de façon arbitraire définie comme > 3 mois chez l’adulte) ne doit à l’évidence pas être arrêtée, non seulement du fait du risque de rebond inflammatoire, mais également en raison du risque d’insuffisance surrénalienne ou corticotrope dans une situation de stress infectieux. Ce dernier reste difficile à évaluer, et les recommandations, notamment celles de la SFE [6], émanent d’un consensus d’experts. Des travaux récents permettent d’affiner ces recommandations empiriques. Ainsi, en cas de sepsis sévère, l’administration intraveineuse continue d’hydrocortisone (200 mg/24 h) est la modalité qui se rapproche le plus de la réponse physiologique de l’axe corticotrope [7]. On ne peut bien évidemment rien en déduire sur un éventuel bénéfice en termes de mortalité dans les SDRA, mais c’est une recommandation raisonnable qui pourrait être appliquée par nos collègues réanimateurs confrontés à cette problématique.

À l’heure actuelle, et avec toute l’humilité qui s’impose face à l’émergence d’une “nouvelle” maladie à l’échelle mondiale, la balance bénéfices-risques de la poursuite d’une corticothérapie au long cours semble pencher clairement pour le maintien de celle-ci, en gardant à l’esprit le risque d’insuffisance surrénalienne ou corticotrope induite par le traitement.

Références bibliographiques

  1. Lamontagne F et al. Corticosteroid therapy for sepsis: a clinical practice guideline. BMJ 2018;362:k3284.
  2. Annane D et al. Hydrocortisone plus Fludrocortisone for adults with septic shock. N Engl J Med 2018;378 :809-18.
  3. Heming N et al. Immune effects of corticosteroids in sepsis. Front Immunol2018;9:1736.
  4. Zhang W et al The use of anti-inflammatory drugs in the treatment of people with severe cornavirus disease 2019 (COVID-19): the perspectives of clinical immunologists from China. Clin Immunol 2019;214:108393.
  5. Russell CD et al. Clinical evidence does not support corticosteroid treatment for 2019-nCoV lung injury. Lancet 2020;395:473-5.
  6. Reznik Y et al. SFE/SFEDP adrenal insufficiency French consensus: Introduction and handbook. Ann Endocrinol (Paris) 2018;79:1-22.
  7. Prete A et al. Prevention of adrenal crisis: cortisol responses to major stress compared to stress dose hydrocortisone delivery. J Clin Endocrinol Metab 2020. pii: dgaa133.
B. Goichot déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet article.

Le syndrome de Cushing au temps de Covid-19

Antoine Tabarin
Service endocrinologie, diabète et nutrition, CHU de Bordeaux.

La crise sanitaire engendrée par la dissémination du virus a profondément bouleversé nos pratiques professionnelles. Du fait du confinement, de l'accès réduit aux examens complémentaires et du souhait de limiter les contacts avec les patients, nous devons adapter nos pratiques pour le diagnostic, le traitement et le suivi des maladies endocriniennes. Le texte qui suit s'applique au syndrome de Cushing et s'inspire très largement d'un texte de recommandations auquel l'auteur a participé avec trois autres endocrinologues européens et américains et qui fait l'objet d'une publication dans un numéro spécifique de l'European Journal of Endocrinology [1]. Il est important de considérer que ce texte ne reflète qu’un compromis de l'opinion d'experts, qu’il doit être adapté selon les variations régionales constatées dans l'épidémiologie de la maladie et la saturation du système de soins, et ne présente en rien un texte fondé “sur les preuves”. Ces recommandations sont donc ”par essence” discutables…

Principes généraux

• Limiter les consultations externes et privilégier la télémédecine, minimiser les demandes d’imagerie et les examens biologiques en cas de forte prévalence du virus Covid-19.

• Les patients atteints d’un syndrome de Cushing actif sont immunodéprimés et à risque d’infections multiples. À ce titre, ils doivent suivre les directives en matière de distanciation sociale, notamment en prenant un congé maladie. De plus, une normalisation rapide de la sécrétion de cortisol est nécessaire pour réduire le risque d'infection.

• N'hésitez pas à discuter des cas avec des spécialistes reconnus pour leur expertise dans le syndrome de Cushing.

• Le rapport bénéfice/risque de ces recommandations devra être réévalué tous les 2-3 mois dans chaque région, à l’aune des structures locales des soins et de la pandémie.

Diagnostic

• Se focaliser sur les symptômes les plus discriminants, de manière à différer l’investigation quand le diagnostic est peu probable. Dans tous les cas, on optimisera le traitement des comorbidités potentielles (telles que l'hypertension et le diabète). Les patients atteints d’incidentalome surrénalien ne doivent faire l’objet d’un complément d'investigation que si les caractéristiques radiologiques suggèrent un corticosurrénalome ou en présence d’un syndrome de Cushing patent.

• Les personnes atteintes d'un syndrome de Cushing patent doivent être prises en charge en urgence, car elles sont susceptibles de développer diverses comorbidités, qui nécessitent une hospitalisation, et/ou une immunosuppression qui peut potentiellement faciliter les infections.

• Le test de freinage minute à la dexaméthasone ou le dosage du cortisol libre urinaire (CLU) de 24 heures sont des tests de première ligne recommandés, avec la mesure des électrolytes sériques et du glucose, l'hémogramme, la CRP, l'HbA1c et l'ACTH plasmatique. Le dosage de cortisol/cortisone salivaire doit être évité en raison du risque de contamination virale.

• Dans le contexte d’un syndrome de Cushing cliniquement sévère, une seule mesure du cortisol sérique, quelle que soit l’heure, est suffisante et confirme le diagnostic en présence de valeurs > 1000 nmol/L (37 ug/dL). Un ou deux dosages d’ACTH plasmatiques permettent la classification en syndrome de Cushing ACTH-dépendant ou ACTH-indépendant.

Diagnostic étiologique

• Une fois le syndrome de Cushing confirmé, on recommande la réalisation d’un scanner thoraco-abdomino-pelvien en coupes fines pour identifier les tumeurs surrénaliennes et les sécrétions ectopiques d’ACTH. Le scanner identifiera immédiatement une étiologie nécessitant une intervention chirurgicale urgente (un corticosurrénalome par exemple). En outre, il permettra de déceler les comorbidités majeures (fractures vertébrales, foyers infectieux, embolie pulmonaire) pouvant justifier des soins.

• Il faut se souvenir que la maladie de Cushing est l'étiologie la plus fréquente, et la combinaison de facteurs cliniques, notamment l'âge, le sexe féminin, l'apparition lente des symptômes sur plusieurs années, une augmentation modérée du CLU (< 4 x N) et de l'ACTH (plasma < 100 pg/mL) ont une valeur prédictive très élevée (> 90 %) de maladie de Cushing.

• S'il n'y a pas d’atteinte du champ visuel, on peut ne pas effectuer d'IRM hypophysaire immédiatement, car dans la plupart des cas, nous suggérons une prise en charge médicale, pendant plusieurs mois, tant que la prévalence du Covid-19 est élevée.

• Toutes les autres investigations (tests à la CRH ou à la desmopressine, cathétérisme des sinus pétreux) peuvent être évitées en cas de forte prévalence du Covid-19, car elles n'aboutiront pas à un traitement spécifique. En effet, la chirurgie hypophysaire entraîne la formation d'aérosols qui constituent un risque très élevé de transmission virale et doit pouvoir être différée. De plus, en dehors des causes qui affectent spécifiquement le pronostic (corticosurrénalomes, macroadénomes hypophysaires, tumeurs ectopiques résécables), la morbidité et la mortalité à court et à moyen terme du syndrome de Cushing sont liées à l'excès de cortisol et non à sa cause.

Traitement

En cas de forte prévalence virale, la chirurgie de la maladie de Cushing doit être discutée (cf. supra). Si les avantages de la chirurgie transsphénoïdale l'emportent sur les risques (par exemple : maladie très active, hypercortisolisme difficile à contrôler médicalement, effets indésirables du traitement médical), la chirurgie hypophysaire doit être réalisée en utilisant une protection appropriée, après des tests négatifs répétés pour l’infection Covid-19, et uniquement par un neurochirurgien très expérimenté (environ 5 équipes en Angleterre !).

Concernant le traitement des comorbidités, il faut éviter l'instauration des IEC ou des bloqueurs des récepteurs AT1 pour le traitement de l'hypertension, jusqu'à ce que leur influence sur la sensibilité à l'infection Covid-19 soit clarifiée. Les patients seront traités sur le long terme par héparine de bas poids moléculaire jusqu'au traitement définitif ou plusieurs mois après l’obtention d’un eucortisolisme avec les traitements médicaux. Pour ceux présentant un hypercortisolisme intense, une prophylaxie contre Pneumocystis jivorecii avec du triméthoprime/sulfaméthoxazole doit être réalisée. En cas de toux, de fièvre ou de détresse respiratoire, il conviendra de faire la différence avec l’infection Covid-19 qui peut présenter des similarités, notamment grâce à la réalisation d’un scanner thoracique.

Suivi et instauration du traitement médical

• Le dosage du CLU permet une surveillance des patients ainsi que la cortisolémie matinale dans le cadre d’un schéma “block and replace“.

• Les patients déjà traités médicalement doivent maintenir leur traitement si l'état clinique, la dose de médicament et le contrôle biologique sont stables. Mais tous les patients peuvent bénéficier d’un schéma “block and replace” si cela permet un meilleur contrôle ou facilite la surveillance avec moins de visites. Dans cette perspective, les patients doivent avoir accès à une trousse d'injection de 100 mg d'hydrocortisone et être éduqués à l’injection intramusculaire en cas d'infection intercurrente ou de traumatisme.

• S’agissant de l'instauration d’un traitement, nous recommandons pour la plupart des patients un schéma “block and replace” avec des inhibiteurs de la stéroïdogenèse. Cette approche limite le besoin de surveillance biologique et réduit le risque d'insuffisance surrénalienne iatrogène. Il convient de débuter par 1 000 mg de métyrapone en 3-4 prises journalières ou 400 mg de kétoconazole en 2 prises, puis d’augmenter les posologies sur une semaine jusqu’à environ 3 000 mg/j de métyrapone ou 1 200 mg de kétoconazole. Noter que les IPP en réduisant l'acidité gastrique nuisent à l'efficacité du kétoconazole. Du fait d’une utilisation plus récente et limitée, nous ne disposons pas de recommandation pour l’osilodrostat. Dans le même temps, une substitution par hydrocortisone 20-30 mg/j en 2-3 prises ou par prednisolone 5-7,5 mg/j en 1 prise matinale (ou plus rarement dexaméthasone 0,5 mg/j en 1 prise matinale) peut être proposée. Cette substitution sera différée de quelques jours en cas d’hypercortisolisme intense, situation dans laquelle on peut également associer les deux inhibiteurs.

Chez les patients traités par kétoconazole, une surveillance de la fonction hépatique tous les mois pendant les trois premiers mois au début du traitement ou après une augmentation de dose doit être mise en place. Malgré un risque rare, cet argument hépatique pourrait être utilisé pour préférer la métyrapone, mais une hypokaliémie peut apparaître ou être exacerbée par ce médicament. Celle-ci doit être surveillée et traitée avec des suppléments de potassium ou la spironolactone.

Pour la surveillance de l’efficacité du traitement, on utilisera le dosage du cortisol sérique matinal avant la prise médicamenteuse en visant la plus petite concentration possible ou le CLU des 24 h avec le même objectif, en arrêtant l’hydrocortisone et en la remplaçant par la dexaméthasone (0,5 mg) ou la prednisolone (5 mg) la veille et le jour de la collecte.


Référence bibliographique

Newell-Price J et al. Cushing’s syndrome: clinical management guidance during the COVID-19 Pandemic. Eur J Endocrinol 2020. [Accepted for publication]

A. Tabarin a participé à des études cliniques, reçu des subventions de recherche et des honoraires pour des boards et interventions de la part de Novartis Pharma, Recordati Rare Diseases, HRA Pharma, Pfizer, Ipsen.


ACE2, récepteur pour une pandémie

Justine Cristante*, Pascal Poignard**, Olivier Chabre*
* Service d’endocrinologie, CHU Grenoble-Alpes ; unité mixte Inserm-CEA-UGA UMR 1036, Grenoble.
** Institut de biologie structurale, université Grenoble-Alpes ; Commissariat à l’énergie atomique ; Centre national de recherche scientifique ; service de virologie, CHU Grenoble-Alpes, Grenoble.

Surprise ! Le virus Sars-CoV-2, responsable de la pandémie Covid-19, a donc comme récepteur une enzyme, ACE2, qui fait partie du système rénine-angiotensine (SRA), donc de l’endocrinologie ! Et, bien sûr, également de la cardiologie, la néphrologie, la pneumologie et la médecine interne…

Pour les virologues et les pneumologues, la surprise est un peu réchauffée, car ils savaient déjà qu’ACE2 était le récepteur de Sars-CoV-1, et ils avaient même résolu la structure tridimensionnelle du complexe ACE2-Sars-CoV-1 [1].

Mais pour nous autres, endocrinologues (au moins pour la plupart d’entre nous), il s’agit bien d’une surprise. Il est maintenant impératif d’avoir les idées plus claires sur l’impact possible du Covid-19 sur le système SRA que nous connaissons bien, et pour cela nous vous proposons trois étapes :

• la première est de lire sans plus tarder l’excellente synthèse de J. Alexandre et al., qui vient juste de paraître dans les Annales d’Endocrinologie [2], version actualisée de celle disponible en français et en ligne à l’adresse suivante : https://www.em-consulte.com/em/covid-19/IEC-ARA2-et-COVID19-22-mars-2020.pdf ;

• la deuxième est de découvrir les 2 figures intitulées “ACE2, récepteur du Sars-CoV-2” présentées ci-après ; elles schématisent et décrivent les mécanismes de base de cette infection virale et la fonction d’ACE2 dans le SRA ;

• la troisième consiste à parcourir la liste des questions suscitées par la liaison de Sars-Cov-2 à ACE2 que nous vous proposons ci-dessous.

Ceux qui auront lu l’article de J. Alexandre et al. [2] connaîtront déjà les réponses à la plupart de ces questions ; les autres comprendront qu’il faut le lire !

La liaison de Sars-CoV-2 à ACE2 a-t-elle un effet sur son activité ?

La réponse est très probablement oui. Il faut noter que Sars-CoV-2 ne se lie pas au site catalytique d’ACE2, cependant il occupe certainement une place importante sur la partie extracellulaire de l’enzyme [1]. On peut s’attendre à une diminution de l’accès au site catalytique et donc à une inhibition de l’activité enzymatique ou à des effets indirects sur l’expression d’ACE2. Pour Sars-CoV-1, il a bien été démontré que l’infection et la protéine S (“spike”) entraînaient une forte diminution de l’expression d’ACE2 [3], et donc de son activité globale. On peut imaginer qu’il en est de même pour Sars-CoV-2, même si, à notre connaissance, cela n’a pas encore été démontré directement.

La liaison de Sars-CoV-2/ACE2 a-t-elle un effet sur le système rénine-angiotensine ?

La réponse est très probablement oui. J. Alexandre et al. émettent l’hypothèse que cette liaison, en inhibant l’activité d’ACE2, activerait la voie “classique” AT1 [2]. Pour Sars-CoV-1, il a bien été démontré dans un modèle murin que les lésions pulmonaires induites par le virus pouvaient être prévenues en bloquant l’activation d’AT1 par du losartan [3].

Les patients Covid-19 développent-ils un hyperaldostéronisme ?

La réponse est : “peut-être”, mais il ne s’agirait alors pas d’un hyperaldostéronisme primaire, au sens où on l’entend habituellement : même si la production d’angiotensine II est augmentée par l’inhibition ou la perte d’expression d’ACE2, la production d’angiotensine I reste dépendante de la rénine. Cependant, on peut imaginer que localement, dans des zones d’infection Sars-CoV-2, il y ait une surproduction d’angiotensine II insuffisante pour freiner la sécrétion de rénine, mais suffisante pour faire des dégâts locaux. Pour continuer sur les effets systémiques, il a été rapporté très récemment, dans un article non encore publié, que 60 % des patients Covid-19 avaient une hypokaliémie, sévère chez 22 % [4]. Cette hypokaliémie, non rattachée à des troubles digestifs était en revanche associée à une augmentation de l’excrétion urinaire de potassium, ce qui est compatible avec un hyperaldostéronisme, mais il n’y a pas eu plus d’exploration du SRA.

Par ailleurs, l’hypertension artérielle est un facteur de risque bien démontré de forme grave d’infection Covid-19, mais à notre connaissance, il n’y a pas eu d’exploration systématique du SRA chez les patients Covid-19. D’après une étude très récente incluant 91 patients Covid-19 décédés [5], il est également intéressant de noter que les lésions cardiaques (34 %) et l’insuffisance rénale (15 %) sont fréquentes, même si le syndrome de détresse respiratoire aiguë est certainement l’atteinte la plus fréquente (80 %). On peut imaginer que l’activation du SRA joue un rôle dans les atteintes cardiaques et rénales, même si d’autres mécanismes sont évidemment possibles.

Covid-19 : quelles sont les recommandations concernant les traitements inhibiteurs du SRA ? Doivent-ils être arrêtés, poursuivis, voire même instaurés ?

Certains avancent l’hypothèse que ces traitements augmenteraient l’expression d’ACE2 et donc l’entrée cellulaire du virus et le risque d’infection. Pour J. Alexandre et al., étant donné le niveau de connaissance actuel, la conduite à tenir est simple chez les patients non Covid-19 : ne pas modifier les traitements par IEC ou sartans en cours [2].

En revanche, chez les patients Covid-19, la conduite à tenir est bien moins claire et demande de prendre des décisions au cas par cas, en évaluant soigneusement les indications initiales et l’état hémodynamique de chacun.

On peut ajouter ici que les connaissances vont certainement beaucoup se développer : ainsi, à l’heure où nous écrivons ces lignes (avril 2020), deux essais prospectifs randomisés doivent démarrer. Il est intéressant de constater que leurs hypothèses de base sont radicalement opposées, ce qui souligne la confusion actuelle sur le sujet. En effet, “Stopping ACE-inhibitors (or angotensin receptor blockers) in Covid-19” (NCT04353596) est une étude de nos amis allemands de Munich, où l’hypothèse testée est la suivante : l’arrêt des traitements par IEC ou antagonistes AT1 améliore le devenir des patients. À l’inverse, l’étude de l’université du Minnesota, “Losartan for patients with Covid-19 requiring hospitalization” (NCT04312009), étudie l’hypothèse que le l’instauration d’un traitement par cet antagoniste du récepteur AT1 serait bénéfique. Nous verrons bien qui a raison…

Quoiqu’il en soit, un point est clair : ACE2 est indispensable à l’entrée du virus [6] et, de ce fait, indépendamment de son implication dans le SRA, ACE2 est une cible de choix pour toute intervention thérapeutique visant à empêcher le virus d’entrer dans les cellules [6].

Avant de finir, une question d’endocrinologue : mais que fait donc ACE2 sur le pôle apical du pneumocyte 2, à un endroit où il n’y a pas d’angiotensine ? En effet, on ne voit pas comment il pourrait y avoir d’angiotensinogène, de rénine, ou d’angiotensine I dans la très fine couche du milieu qui tapisse la membrane des pneumocytes, à l’interface air/pneumocyte, sans contact direct avec les capillaires ? La réponse des spécialistes est la suivante : ACE2 est d’abord et avant tout une expopeptidase qui est là pour couper des peptides, et il est probable qu’elle ait bien d’autres partenaires que l’angiotensine I.

Au final, le plus important n’est peut-être pas l’endocrinologie : certes, Sars-CoV-2 se lie à l’ACE2, mais il ne s’intéresse peut-être pas tant que cela à sa fonction. Son principal but semble plutôt de se servir de cette liaison pour entrer dans les cellules et semer le chaos.

Tant que nous n’aurons pas trouvé de parade à cette invasion, gardons tous les gestes barrières !

Figures 1 et 2. ACE2, récepteur du Sars-CoV-2 (document téléchargable sur ce lien)

Document téléchargeable sur ce lien

Références bibliographiques

1. Li F et al. Structure of SARS coronavirus spike receptor-binding domain complexed with receptor. Science 2005;309(5742):1864-8.
2. Alexandre J et al. Renin-angiotensin-aldosterone system and COVID-19 infection. Ann Endocrinol 2020. https://doi.org/10.1016/j.ando.2020.04.005 [Epub ahead of print]
3. Kuba K et al. A crucial role of angiotensin converting enzyme 2 (ACE2) in SARS coronavirus-induced lung injury. Nat Med 2005;11(8):875-9.
4. Chen D et al. Hypokalemia and Clinical Implications in Patients with Coronavirus Disease 2019 (COVID-19). 2020. Disponible en ligne sur MedRxiv : https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2020.02.27.20028530v1
5. Yang F et al. Analysis of 92 deceased patients with COVID-19. J Med Virol 2020. doi: 10.1002/jmv.25891 [Epub ahead of print]
6. Hoffmann M et al. SARS-CoV-2 Cell Entry Depends on ACE2 and TMPRSS2 and Is Blocked by a Clinically Proven Protease Inhibitor. Cell 2020;181(2):271-80 e8.

J. Cristante déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet article.
P. Poignard n’a pas précisé ses éventuels liens d’intérêts.
O. Chabre déclare avoir reçu des honoraires de conférencier et des invitations à des congrès des laboratoires Ipsen, Novartis, HRA pharma, Pfizer ; participer à des études financées par Novartis ; et être membre d’un board pour HRA pharma.

 


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