La lettre Thyroïde de la SFE – décembre 2011

La Lettre de la Thyroïde
Sommaire Lettre N°3 – Décembre 2011
   

[ÉDITO] La thyroïde, victime de sa capacité d’être évaluée et traitée
Jean-Louis Wémeau

[L’IMAGE COMMENTÉE] Focus sur les cancers thyroïdiens réfractaires : intérêt des caméras hybrides SPECT-CT (ou TEMP-TDM) à l’iode 131 et PET-CT (ou TEP-TDM) au 18FDG dans la sélection des patientsMarie-Elisabeth Toubert

[L’ACTUALITÉ COMMENTÉE]

Hypothyroïdie subclinique ou hypothyroxinémie au cours de la grossesse : quel risque pour le développement neurocognitif de l’enfant ? Françoise Borson-Chazot

Association LT4-iode pour le traitement des nodules thyroïdiens : un effet synergique ?Françoise Borson-Chazot

   
Editorial

La thyroïde, victime de sa capacité d’être évaluée et traitée
Jean-Louis Wémeau (Lille)

De toutes les glandes endocrines, la thyroïde est la plus accessible à l’évaluation. On la perçoit par l’examen. On pénètre sa structure par l’échographie, qui détecte des formations nodulaires jusqu’à 1 mm de diamètre. Sans négliger le recours possible à la quantification de son affinité pour les isotopes, on précise son fonctionnement par les dosages sensibles des hormones thyroïdiennes. La mesure de TSH se révèle un extraordinaire mouchard, car son logarithme est inversement corrélé à celle des hormones thyroïdiennes circulantes, si bien que la TSH détecte des modifications infimes de l’imprégnation hormonale. On connaît les antigènes thyroïdiens qui suscitent autant d’anticorps, témoins ou acteurs précoces d’une auto-immunité spécifique. Les cellules recueillies par ponction à l’aiguille fine permettent l’analyse des modifications structurales et ultrastructurales qu’impriment différents processus inflammatoires, tumoraux.

Ainsi s’explique l’exemplaire précision du diagnostic, de la reconnaissance étiologique et de la compréhension pathogénique de la thyroïdologie. Cette finesse d’analyse a pour rançon la détection précoce de particularités morphologiques ou fonctionnelles dont on ne sait si elles correspondent déjà à des événements pathologiques. Plus de 90 % des dysfonctions de la thyroïde actuellement reconnues s’expriment simplement par une augmentation ou un abaissement isolé du taux de la TSH ; on apprécie imparfaitement les conséquences réelles, le devenir, et l’opportunité des prises en charge de ces dysfonctions infracliniques. Plus de 50 % de la population adulte est porteuse de nodules thyroïdiens occultes, échographiquement repérés, dont 5 % sans doute correspondent à des cancers ; mais il s’avère que leur reconnaissance par la ponction ou leur caractérisation lors de l’étude histopathologique de goitres opérés n’améliore en rien le pronostic des individus, obère au contraire leur tranquillité et leur vie sociale (par exemple pour l’obtention de contrats d’assurance) ; si bien que le dépistage des cancers thyroïdiens apparaît inopportun. Et que dire avec certitude à ces 10 à 20 % de femmes adultes, 3 à 5 % d’hommes, porteurs de titres accrus d’anticorps antithyroïdiens circulants, témoignant d’une thyroïdite auto-immune asymptomatique, sans goitre, sans dysfonction hormonale ?

Une autre caractéristique de la thyroïdologie est la qualité des prises en charge thérapeutiques. L’hormonothérapie substitutive pallie commodément les conséquences des hypofonctionnements thyroïdiens, qu’ils soient spontanés ou iatrogènes. Les antithyroïdiens, la chirurgie, l’iode radioactif réduisent efficacement les hyperthyroïdies. Accessibles à la chirurgie, à la radiothérapie métabolique et à l’hormonothérapie frénatrice, les cancers thyroïdiens sont ordinairement de bon pronostic. Mais l’inflation de la chirurgie thyroïdienne et de la reconnaissance des microcancers n’a pour l’instant en rien réduit le nombre de 400 décès annuels, stable depuis des décennies.

Ainsi la disponibilité, la diversité, la précision des explorations dévolues à la thyroïde en font un modèle d’explicitation diagnostique et pathogénique. À l’inverse, la caractérisation habituelle d’atypies morphologiques et fonctionnelles, l’apparente simplicité de thérapeutiques impunément introduites la rendent victime de prises en charge excessives, coûteuses et d’intérêt douteux.

L'image commentée

Focus sur les cancers thyroïdiens réfractaires : intérêt des caméras hybrides SPECT-CT (ou TEMP-TDM) à l’iode 131 et PET-CT (ou TEP-TDM) au 18FDG dans la sélection des patients
Marie-Élisabeth Toubert (Service de médecine nucléaire, hôpital Saint-Louis, Paris)

Figure
Figure 1. Compression médullaire D11-D12.
Figure
Figure 2. Compression médullaire D9.

Les cancers réfractaires de la thyroïde (350 cas/an en France, répertoriés par le réseau national TUTHYREF [TUmeurs THYRoïdiennes RÉFractaires], coordonné par le Pr Martin Schlumberger, Instititut Gustave-Roussy) regroupent les cancers thyroïdiens différenciés (CTD) localement avancés ou métastatiques et résistants à un traitement standard par l’iode 131 (200 cas), les cancers médullaires de la thyroïde localement avancés ou métastatiques et non accessibles aux traitements standards (50 cas), et les cancers anaplasiques de la thyroïde (100 cas).

Le groupe principal des CTD réfractaires répond à une définition précise :

• présence d’une ou plusieurs lésions mesurables ne fixant pas l’iode 131 ;

• et/ou présence d’une ou plusieurs lésions mesurables ayant progressé selon RECIST 1.1 dans les 12 mois suivant une irathérapie (ou traitement par iode 131) même si les lésions qui progressent continuent à fixer l’iode 131 sur dose diagnostique ou sur dose thérapeutique, et patient non éligible à une chirurgie curative ;

• et/ou une dose cumulative d’iode 131 > 600 mCi ou 22 GBq.

Les caméras hybrides, encore appelées TEMP-TDM (tomographie par émission monophotonique – tomodensitométrie), ou SPECT-CT (Single Photon Emission Computed Tomography), permettent de mettre en évidence des métastases ne fixant pas l’iode 131, définissant ainsi le caractère « réfractaires » de ces métastases.

Il est important de pouvoir reconnaître les cas de CTD réfractaire, puisque, selon les dernières recommandations de l’ATA, les pateints doivent être inclus en cas de progression morphologique documentée dans des essais thérapeutiques avec les nouvelles thérapies moléculaires ciblées (1), indications qui sont discutées en France précisément au sein du réseau TUTHYREF. Un processus de dédifférenciation cellulaire est probablement à l’origine de la présence de métastases non fixantes, qui sont parfois associées à d’autres métastases qui conservent leur capacité à fixer l’iode 131 (figure 1).

L’utilisation couplée de la TEP (tomographie par émission de positrons) au 18FDG (18F-fluorodésoxyglucose) chez les patients métastatiques (2), et notamment dans les cancers thyroïdiens réfractaires, permet de sélectionner les cas les plus graves, puisqu’on connaît la valeur pronostique péjorative des foyers métastatiques hypermétaboliques (3). Les caméras hybrides TEP-TDM, ou PET-CT (Positron Emission Tomography – Computed Tomography) au 18FDG permettent, notamment en cas d’absence de fixation de l’iode 131, de visualiser des métastases non fixantes, et de compléter le bilan d’extension (figure 2).

Références bibliographiques

1. Cooper DS, Doherty GM, Haugen BR et al. Revised American Thyroid Association management guidelines for patients with thyroid nodules and differentiated thyroid cancer. Thyroid 2009;19:1167-214.
2. Oh JR, Byun BH, Hong SP et al. Comparison of 131I whole-body imaging, 131I SPECT/CT, and 18F-FDG PET/CT in the detection of metastatic thyroid cancer. Eur J Nucl Med Mol Imaging 2011;38:1459-68.
3. Robbins RJ, Larson SM. The value of positron emission tomography (PET) in the management of patients with thyroid cancer. Best Pract Res Clin Endocrinol Metab 2008;22:1047-59.

Figure 1. Compression médullaire D11-D12 révélatrice d’un cancer vésiculaire peu différencié, pT1NxM1 (os et poumon), traitée par vertébrectomie D10-D12 et cimentoplastie. La thyroïdectomie totale, pratiquée dans un deuxième temps, a été suivie de 4 irathérapies (activité cumulative : 27,5 GBq d’iode 131).
La scintigraphie CE (1a) pratiquée 4 jours après la quatrième dose thérapeutique montre une fixation persistante sur 4 nodules pulmonaires, sur D11 et L3, ce que confirment les clichés SPECT-CT. Sur la figure 1b, la fixation est visible sur une métastase pulmonaire gauche (flèche rouge), tandis qu’aucune fixation n’est retrouvée sur une métastase pulmonaire droite (flèche bleue) : il s’agit donc d’un cancer thyroïdien réfractaire, pour lequel il n’y a plus d’indication à poursuivre les irathérapies.

Figure 2. Compression médullaire D9 révélatrice d’un cancer oncocytaire T1N0M1 (os).
Exérèse de D9 avec décompression chirurgicale, ostéosynthèse et arthrodèse, puis thyroïdectomie totale, et irathérapie (3,7 GBq d’iode 131).
La Tg stimulée, avant irathérapie, est à 1 218 µg/l, alors que la scintigraphie CE ne retrouve que des fixations cervicales banales, avec absence de fixation en D9 sur les clichés SPECT-CT à l’iode 131 (2a).
Le TEP-TDM 18FDG pratiqué dans le même temps (2b) révèle du tissu tumoral résiduel hypermétabolique au niveau de D9 avec une atteinte associée des tissus mous, ainsi qu’un autre foyer tumoral non connu au niveau de la sixième articulation costovertébrale droite. Il s’agit donc d’un cancer thyroïdien d’emblée réfractaire à l’iode 131.

L'actualité commentée

Hypothyroïdie subclinique ou hypothyroxinémie au cours de la grossesse : quel risque pour le développement neurocognitif de l’enfant ?
Françoise Borson-Chazot (Fédération d’endocrinologie, groupement hospitalier Est, CHU de Lyon)

1. Stagnaro-Green A, Abalovich M, Alexander E et al. Guidelines of the American Thyroid Association for the diagnosis and management of thyroid disease during pregnancy and postpartum. Thyroid 2011;21(10):1081-125.
2. Su PY, Huang K, Hao JH et al. Maternal thyroid function in the first twenty weeks of pregnancy and subsequent fetal and infant development: a prospective population-based cohort study in China. J Clin Endocrinol Metab 2011;96(10):3234-41.
3. Behrooz HG, Tohidi M, Mehrabi Y, Behrooz EG, Tehranidoost M, Azizi F. Subclinical hypothyroidism in pregnancy: intellectual development of offspring. Thyroid 2011;21(10):1143-7.
4. Craig WY, Allan WC, Kloza EM et al. Mid-gestational maternal free thyroxine concentration and offspring neurocognitive development at age two years. J Clin Endocrinol Metab (À paraître).

Si les risques pour la mère et l’enfant d’une hypothyroïdie maternelle sont bien démontrés, les conséquences d’une hypothyroïdie subclinique ou d’une hypothyroxinémie isolée sur le développement cérébral du fœtus et ses capacités intellectuelles futures restent discutées. Ces incertitudes sont bien soulignées dans le texte des recommandations de 2011 de l’ATA (1). Plusieurs articles récents viennent enrichir le débat.

Les résultats d’une grande étude prospective chinoise (2), incluant 1 017 femmes âgées de 20 à 42 ans, ayant bénéficié de dosages de TSH et T4L à la vingtième semaine de grossesse, confirment les dangers pour l’enfant d’une hypothyroïdie maternelle avérée mais suggèrent également un risque de retard psychomoteur, à l’âge de 9 mois, chez les enfants nés de mère présentant une hypothyroïdie subclinique (TSH augmentée, T4L normale).

Ce risque n’est pas retrouvé dans l’étude de Behrooz et al. (3), portant sur des enfants nés de femmes hypothyroïdiennes, régulièrement substituées. Au sein de cette cohorte ont été identifiés 19 enfants dont la mère avait présenté une hypothyroïdie infraclinique au cours de la grossesse (TSH moyenne : 11 mUI/l [3,9-27], T4L normale) et dont le développement psychomoteur a été comparé à celui de 19 enfants de mères correctement substituées (TSH moyenne : 1,4 mUI/l [0,1-2,8]). Les tests de QI effectués entre l’âge de 4 et 15 ans (âge médian : 7,8 ans) n’ont pas montré de différence entre les 2 groupes (120 ± 14 vs 121 ± 11). Aucun enfant n’avait un QI inférieur à 85. Les principaux facteurs influençant le QI étaient le poids de naissance et le niveau socioculturel de la mère. La proportion de femmes présentant des anticorps anti-TPO était identique dans les 2 groupes (75 %), ce qui ne permet pas de juger de leur éventuelle influence.

L’équipe de Haddow a évalué les conséquences d’une hypothyroxinémie maternelle (4). La TSH et la T4L ont été mesurées au deuxième trimestre de la grossesse chez 5 560 femmes. Les 99 femmes présentant une T4L inférieure au troisème percentile des valeurs normales ont été appariées à 99 femmes dont la T4L était normale. Les études neurocognitives réalisées chez les 198 enfants à l’âge de 2 ans ont retrouvé une diminution non significative d’environ 3 % du score de Bayley chez les enfants nés de mère hypothyroxinémique, qui ne s’est pas maintenue après ajustement sur différents facteurs, dont le niveau d’éducation maternelle.

Ces études d’observation d’amplitude limitée montrent la difficulté d’interprétation de ces études cas-témoins, avec notamment des diagnostics d’hypothyroïdie ou d’hypothyroxinémie portés à un stade déjà avancé de la grossesse alors que la période critique se situe plus vraisemblablement au premier trimestre, lorsque le fœtus est totalement dépendant des hormones thyroïdiennes maternelles. Elles soulignent, également, la nécessité d’intégrer dans l’analyse de nombreux facteurs potentiellement confondants : poids de naissance, âge des parents, alcool, tabac… mais aussi niveau socioculturel de la famille.

Deux grandes études d’intervention prospectives randomisées sont en cours pour mieux préciser les bénéfices du traitement thyroxinique chez les femmes présentant une hypothyroïdie subclinique ou une hypothyroxinémie isolée. En l’état actuel des connaissances, les recommandations de l’ATA de 2011 suggèrent, comme celles de 2007, un dépistage basé sur la TSH chez les femmes à risque et ne recommandent pas le contrôle de la T4.

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Association LT4-iode pour le traitement des nodules thyroïdiens : un effet synergique ?

Françoise Borson-Chazot (Fédération d’endocrinologie, groupement hospitalier Est, CHU de Lyon)

Grussendorf M, Reiners C, Paschke R, Wegscheider K, LISA Investigators. Reduction of thyroid nodule volume by levothyroxine and iodine alone and in combination: a randomized, placebo-controlled trial. J Clin Endocrinol Metab 2011;96(9):2786-95.

La question du traitement thyroxinique des goitres nodulaires reste débattue. On sait que la TSH joue un rôle dans leur genèse et leur développement et que plusieurs études prospectives randomisées ont montré que le traitement thyroxinique pouvait entraîner une diminution du volume des nodules thyroïdiens, surtout lorsqu’ils sont petits et récents. Cependant, l’évolution spontanée des nodules est difficilement prévisible, leur progression n’est pas constante, et des diminutions spontanées peuvent même être observées. Par ailleurs, dans la plupart des études, la lévothyroxine a été administrée à doses suppressives de la TSH, et cette modalité thérapeutique n’est plus recommandée du fait du risque potentiel cardiaque et osseux d’une thyrotoxicose infraclinique iatrogène, prolongée, en particulier chez les femmes ménopausées.

Les traitements modérément frénateurs (TSH dans les valeurs basses de la normale) n’ont pas ces inconvénients, mais leur efficacité est moins bien démontrée. Enfin, l’intérêt d’une supplémentation iodée est mal connu.

Une étude allemande prospective, randomisée, a tenté de répondre à ces questions. Elle a inclus 1 020 patients consécutifs, âgés de 18 à 65 ans, euthyroïdiens (TSH entre 0,6 et 3 mUI/l) et présentant au moins un nodule de plus de un cm de diamètre. Les groupes intervention ont reçu pendant 1 an soit de la LT4 (75 µg/j), soit une supplémentation iodée (150 µg/j d’iodure de potassium), soit l’association de LT4 et d’une supplémentation iodée (LT4-I). Les doses de LT4 ont été adaptées pour maintenir la TSH entre 0,2 et 0,8 mUI/l. Les modifications du volume du ou des nodules et du goitre ont été étudiées tous les 3 mois par échographie. Les réductions de volume des nodules dans le groupe LT4-I ont été supérieures (17 % en moyenne) à celles observées dans les groupes LT4 seule (7 %) ou iode seul (4 %), et seul le groupe LT4-I a fait la preuve d’un avantage déterminant par rapport au placebo. Une diminution de volume de plus de 50 % a été observée chez 16 % des patients du groupe LT4-I, 10 % du groupe LT4 seule, 7 % du groupe iode seul et 6,5 % du groupe placebo. Les auteurs soulignent la très forte hétérogénéité des réponses. Ainsi, les nodules ont progressé, au cours de l’étude, chez 26 % des patients du groupe LT4-I. La diminution de volume des nodules s’est accompagnée d’une diminution moins marquée du volume du goitre, ne dépassant jamais 30 %. Il faut souligner que la majorité des patients présentaient des ioduries basses alors que l’état de suffisance iodée est théoriquement atteint en Allemagne.

Ce travail souligne l’intérêt potentiel d’un traitement thyroxinique à dose modérément frénatrice tel que l’a proposé, en 2009, le consensus français sur la prise en charge des nodules thyroïdiens, en particulier chez les sujets jeunes présentant des goitres nodulaires récents ou familiaux. Il suggère, aussi, que l’efficacité d’un tel traitement pourrait être accrue par l’adjonction d’une supplémentation iodée.