La Lettre Thyroïde de la SFE – Mai 2016

ANCA, marqueurs du risque de vascularitesyndrome DICER1 de prédisposition tumoraleFacteurs de risque de l’ophtalmopathie Basedowienne …..
La Lettre de la Thyroïde
 
Sommaire Lettre N°11 – Mai 2016
   

[ÉDITO]

• Peut-on ignorer les ANCA, marqueurs du risque de vascularite liée aux antithyroïdiens ?
Jean-Louis Wémeau, Anne-Sophie Balavoine (Lille)

[L’ACTUALITÉ COMMENTÉE]

• Goitre multinodulaire familial et nouveau syndrome DICER1 de prédisposition tumorale
Isabelle Oliver Petit, Frédérique Savagner (Toulouse
)

• Facteurs de risque de l’ophtalmopathie Basedowienne : étude ATOR
Fritz-Line Vélayoudom-Céphise (Pointe-à-Pitre)

 

[IMAGES COMMENTÉES]

• Caravage
Patrice Rodien (Angers)

• Jeu diagnostique en imagerie thyroïdienne
Édouard Ghanassia (Sète)

[HISTOIRE]

• C’est la chirurgie qui a permis de résoudre l’énigme de la fonction thyroïdienne
Jean-Louis Schlienger (Strasbourg
)

   
Editorial

Peut-on ignorer les ANCA, marqueurs du risque de vascularite liée aux antithyroïdiens ?
Jean-Louis Wémeau, Anne-Sophie Balavoine (Lille)

Les atteintes hématologiques, hépatiques dominent les risques des antithyroïdiens de synthèse (ATS). Dans une mise au point récente, S. Kobayashi et al. (1) font état de la présence d’anticorps anticytoplasme des polynucléaires neutrophiles (ANCA) parmi les inconvénients communs chez 1 à 5 % des patients, de vascularites allergiques liées aux ANCA comme accidents rares et sévères chez moins de 1 % des patients. Ce risque n’est pourtant guère considéré par les thérapeutes dans la gestion de la maladie de Basedow.

Chez un patient traité depuis 12 ans par benzylthiouracile (BZU) supplémenté par la lévothyroxine, la découverte d’une vascularite (asthénie, arthralgies, hématurie microscopique, protéinurie, VS = 37 mm à la 1re heure, CRP = 60 mg/L), et la constatation depuis lors de titres élevés d’ANCA chez 4 patients soumis au long cours à un ATS, nous a conduits à nous interroger sur la portée réelle de cette situation. La mise au point d’A.S. Balavoine et al. dans la revue Thyroid (2) a fait état des 23 articles qui entre 1993 et 2015 ont recensé des séries significatives de ces situations. À la demande de l’éditeur ont aussi été colligées les informations recueillies dans 145 observations isolées. Ainsi durant cette période, ont été rapportées 261 observations de patients ayant constitué une vascularite liée aux ATS : 75 % sous dérivés du thiouracile (PTU, BZU), 25 % sous mercapto-imidazoline (carbimazole, thiamazole). Celles-ci se manifestaient sous forme de signes généraux (fièvre, arthralgies, myalgies, amaigrissement), parfois d’atteintes pulmonaires (syndrome interstitiel, hémorragie alvéolaire), rénales (glomérulonéphrite à croissant), cutanées (purpura vasculaire), tandis que les atteintes neurologiques étaient rares. Les signes se constituaient sur mode aigu, avec une prédominance féminine qui n’est pas observée au cours des vascularites primitives à ANCA (polyangéite microscopique, granulomatose avec polyangéite de Wegener, granulomatose éosinophilique avec polyangéite de Churg et Strauss). Les signes régressaient ordinairement spontanément avec l’arrêt de la médication, si bien que le recours aux glucocorticoïdes, à la cyclophosphamide a été rare, contrairement à ce qui apparaît nécessaire dans les autres situations d’angéite. Cependant quelques séquelles, notamment rénales, sont possibles.

Avant traitement, la présence d’ANCA (antimyélopéroxydase, antiprotéinase-3) a été observée chez 7 des 352 patients colligés dans 9 séries. Leur présence s’accroît sous traitement : 624 cas sous dérivés du thiouracile (en moyenne 30 % des patients traités), 620 cas sous mercapto-imidazolines (en moyenne 6 %). Elle apparaît liée à la durée de l’exposition et s’observe plus fréquemment chez l’enfant. Dans une collection de 1 056 sujets soumis aux ATS dont 21 % avaient des ANCA (174 sous thiouracile, 48 sous imidazolines), la valeur prédictive de l’apparition de vascularite était de 14,9 %, et le risque de constituer une vascularite sous antithyroïdiens était ainsi globalement estimé à 3,1 % (2). Si on exclut 2 séries à début pédiatrique (puisque chez l’enfant, dans les relevés de la Food and Drug Administration le risque d’ANCA et de vascularite est apparu supérieur à celui de l’adulte [3]), le risque de vascularite atteint encore 8,7 % des adultes porteurs d’ANCA, et 1,9 % des sujets adultes soumis à un antithyroïdien. De grandes disparités existent entre les séries. Malgré tout, peut-on ignorer un tel risque de 9 à 15 % de vascularites en présence d’ANCA, même si celles-ci sont ordinairement réversibles avec l’arrêt de la médication ? Sur ce plan les recommandations sont muettes. Provisoirement, la suggestion formulée dans la revue Thyroid (2) a été la suivante : en l’absence de signes cliniques évocateurs, ne pas doser les ANCA avant traitement, ne pas non plus en assurer la détection lors des traitements conventionnels de 18 mois à 2 ans. En revanche, prudence et évaluation plus large sont à envisager lors des traitements chez l’enfant, en cas de traitement prolongés (notamment sous dérivés du thiouracile), tels qu’on les réalise maintenant volontiers au-delà de 10 ans. L’efficacité et la bonne tolérance du traitement oral comparativement à l’iode-131, ont en effet été démontrées (4, 5). La détection d’ANCA conduirait alors à reconsidérer l’opportunité du maintien de l’ATS, possiblement à privilégier alors les traitements chirurgicaux ou radio-isotopiques…, lesquels ne sont pas non plus dénués de risques. Des enquêtes prospectives sont nécessaires.

Références bibliographiques

  1. Kobayashi S, Noh JY, Mukasa K et al. Characteristics of agranulocytosis as an adverse effect of antithyroid drugs in the second or later course treatment. Thyroid 2014 May;24(5):796-801.
  2. Balavoine AS, Glinoer D, Dubucquoi S, Wémeau JL. Antineutrophil Cytoplasmic Antibody-Positive Small-Vessel Vasculitis Associated with Antithyroid Drug Therapy: How Significant Is the Clinical Problem? Thyroid 2015;25(12):1273-81.
  3. Rivkees SA, Szarfman A. Dissimilar hepatotoxicity profiles of propylthiouracil and methimazole in children. J Clin Endocrinol Metab 2010;95(7):3260-7.
  4. Azizi F, Ataie L, Hedayati M, Mehrabi Y, Sheikholeslami F. Effect of long-term continuous methimazole treatment of hyperthyroidism: comparison with radioiodine. Europ J Endocrinol 2005;152(5):695-701.
  5. Villagelin D, Romaldini JH, Santos RB, Milkos AB, Ward LS. Outcomes in Relapsed Graves’ Disease Patients Following Radioiodine or Prolonged Low Dose of Methimazole Treatment. Thyroid 2015;25(12):1282-90.

 

 

L'actualité commentée

Goitre multinodulaire familial et nouveau syndrome DICER1 de prédisposition tumorale
Isabelle Oliver Petit – unité d’endocrinologie, génétique, maladies osseuses et gynécologie, hôpital des enfants (Toulouse), Frédérique Savagner – laboratoire de biologie moléculaire, institut Fédératif de Biologie (Toulouse)

Le goitre multinodulaire (GMN) est rare chez l’enfant, contrairement à l’adulte, et relève alors d’une indéniable prédisposition familiale. Son association à d’autres pathologies, en particulier tumorales, est peu connue. Pourtant, dés 1974, le groupe de J.F. Fraumeni (1) rapportait dans certaines familles un lien génétique probable entre GMN et tumeurs de l’ovaire à cellule de Leydig ou de Sertoli (TCLS).

C’est en 2009 qu’à partir du registre de patients porteurs d’une tumeur rare pédiatrique, le pleuropneumoblastome (PPB), un nouveau syndrome de prédisposition tumorale, commence à être décrit.

Ce nouveau syndrome DICER1, de transmission autosomique dominante, est secondaire à des mutations germinales du gène codant pour DICER1, localisé en 14q32. DICER1 est une ribonucléase cytoplasmique qui a pour fonction de cliver les précurseurs des microARNs en microARNs matures, jouant par là même un rôle important dans la régulation de l’expression génique. L’incidence de ce syndrome n’est actuellement pas bien connue (2) : sa pénétrance chez les sujets mutés semble faible, de l’ordre de 20 % (hommes) à 50 % (femmes) compliquant son identification. Il semble cependant, au vu des publications récentes et de notre propre expérience, qu’il soit sous-diagnostiqué.

Son spectre phénotypique (2) se dessine progressivement ces dernières années et se caractérise par :

  • l’association chez un même individu ou dans une même famille de différentes tumeurs bénignes ou malignes, souvent de caractère kystique ;
  • des tumeurs apparaissant préférentiellement chez des sujets jeunes, avant l’âge de 20 ans mais pouvant aussi s’observer, jusqu’à la quarantaine ;
  • la particularité des tumeurs associées à ce syndrome : chez le très jeune enfant (< 6 ans) des tumeurs malignes comme le PPB, le carcinome pituitaire ou des tumeurs de bas risque comme le néphrome kystique rénal ou des kystes pleuropulmonaires ; plus exceptionnelles mais autant spécifiques chez les enfants et les adolescents, les rhabdomyosarcomes embryonnaires cervicaux ou pelviens, le pinéaloblastome ou le sarcome anaplasique rénal. Ces tumeurs devraient toutes, selon les experts, inciter à faire la recherche génétique d’une mutation du gène DICER1 ;
  • d’autres tumeurs, semble-t-il plus fréquentes, mais en revanche non spécifiques, comme le GMN et les TCLS.

Au vu des différentes séries de la littérature et de l’expérience clinique des quelques équipes qui suivent des familles, le GMN est l’expression phénotypique la plus fréquente du syndrome avec une pénétrance de l’ordre de 40 %. Il apparaît souvent comme un signe isolé chez un individu donné et est retrouvé lors de l’enquête familiale pour l’exploration d’une tumeur maligne spécifique. Son apparition chez un sujet jeune (3), le caractère kystique du GMN, son évolution rapide sont de bons éléments d’orientation diagnostique.

Sur le plan spécifiquement thyroïdien, il est intéressant de noter que le cancer différencié de la thyroïde (CDT) est décrit dans le spectre clinique du syndrome DICER1, mais son caractère iatrogène était jusqu’à ces derniers mois discuté puisque principalement décrit chez des patients pédiatriques précédemment traités pour une autre tumeur (chimio et radiothérapie). La publication en décembre 2015 (4) de plusieurs cas de CDT dans une même famille, apparaissant avant l’âge de 18 ans, confirme son association avec des mutations de DICER1 au moins pour des CDT pédiatriques.

La confirmation diagnostique moléculaire d’une mutation germinale de DICER1 permet l’enquête familiale, le conseil génétique, l’identification rapide des sujets mutés et la mise en place d’un dépistage précoce des enfants et des sujets jeunes : ceci réduit la perte de chance en lien avec le diagnostic d’une tumeur maligne déjà évoluée ou l’errance diagnostique.

Compte tenu des éléments ci-dessus, il apparait que le GMN du sujet jeune est une bonne porte d’entrée diagnostique de ce nouveau syndrome. La recherche systématique par l’interrogatoire d’antécédents de tumeurs bénignes ou malignes dans les familles des jeunes patients avec GMN ou inversement, la recherche de pathologies thyroïdiennes (GMN, CDT) dans les familles des enfants diagnostiqués pour tumeurs devraient permettre d’améliorer la pertinence diagnostique de ce nouveau syndrome.
 

Références bibliographiques

  1. Jensen RD,Norris HJ, Fraumeni JF. Familial arrhenoblastoma and thyroid adenoma. Cancer 1974;33(1):218-23.
  2. Foulkes W, Priest J, Duchaine T. DICER1: mutations, microRNAs and mechanisms. Nat Rev Cancer 2014;14(10):662-72.
  3. Rath SR, Bartley A, Charles A et al. Multinodular goiter in children: an important pointer to a germline DICER1 mutation. J Clin Endocrinol Metab 2014;99(6):1947-8.
  4. Rutter M, Jha P, Schultz K et al. DICER1 mutations and Differentiated Thyroid Carcinoma: Evidence of a direct association. . J Clin Endocrinol Metab 2016;101(1):1-5.

Facteurs de risque de l’ophtalmopathie Basedowienne : étude ATOR (Australian Thyroid-associated Orbitopathy Research)
Fritz-Line Vélayoudom-Céphise, service d’endocrinologie-diabétologie, CHU de Pointe-à-Pitre (Guadeloupe)

D’après Khong JJ, Finch S, De Silva C et al. Risk factors for Graves’ Orbitopathy; the (ATOR) Study. J Clin Endocrinol Metab. 2016 Apr 7:jc20154294.

Introduction
L’ophtalmopathie Basedowienne (OB) est la principale manifestation extra-thyroïdienne de la maladie de Basedow (m.Bw), décrite chez environ 25 % des sujets (1). Les situations favorisant sa survenue sont connues (2) : âge, tabac, dysfonction thyroïdienne, titre des anticorps anti-récepteurs de la TSH. Peu d’études prospectives de type cas-contrôles se sont intéressées à l’analyse des facteurs prédictifs d’OB en présence d’une maladie de Basedow. L’objectif de ce travail australien était d’identifier les facteurs de risque extérieurs prédisposant à une OB au sein d’une population de sujets ayant une m.Bw et de déterminer les facteurs prédictifs de neuropathie optique (NO) chez ces sujets.

Résultats
Étaient inclus avec m.Bw 1 042 sujets , 58 % avaient une OB (dont 4,8 % diagnostiqués avant le diagnostic de m.Bw) et étaient comparés aux sujets sans OB. Les sujets avec une OB étaient significativement plus âgés (43 vs 40 ans), plus fréquemment fumeurs (actifs ou sevrés : 58,8 vs 36,6 %), plus fréquemment en hypothyroïdie (1,8 vs 0,2 %). 24,6 % des sujets ont reçu un traitement par iode-131 et 15 % d’entre eux ont développé une OB (vs 3 % avec antithyroïdiens de synthèse). Chez les sujets avec OB comparés aux sujets sans OB, l’iode-131 ou la chirurgie étaient réalisés dans respectivement 31,1 vs 15,8 % des cas et 22,9 vs 4,6 % . L’odd ratio (OR) concernant le risque d’OB était augmenté de 17 % pour chaque augmentation de 10 ans d’âge du diagnostic de m.Bw. Chaque année supplémentaire d’évolution de la m.Bw majorait le risque d’OB de 7 %. L’OR était de 2,22 chez les sujets fumeurs actifs et de 2,07 chez ceux qui étaient sevrés.
Une NO était enregistrée dans 8,4 % des cas d’OB. Elle était définie par la présence de troubles visuels (perception lumineuse, acuité visuelle, vision des couleurs, troubles pupillaires) ou d’un syndrome de l’apex confirmé au scanner orbitaire. Comparé aux sujets sans NO, la NO survenait chez des sujets plus âgés (54,9 vs 43,8 ans) et ayant une OB initiale active avec un score d’inflammation élevé (48 % vs 13,8 %). Après analyse multivariée, les facteurs prédictifs étaient : l’âge d’apparition de la m.Bw, l’occlusion palpébrale initiale, le strabisme, les anomalies oculomotrices initiales, un score inflammatoire élevé à l’inclusion. Pour chaque décade d’âge du diagnostic d’OB, le risque de NO augmentait de 58 % et pour chaque millimètre d’ouverture palpébrale, l’OR diminuait de 19 %. Ni le sexe, ni le statut tabagique, ni la fonction thyroïdienne à l’inclusion ne modifiait ce risque.

Conclusion
Cette étude multicentrique australienne rapporte les caractéristiques des sujets ayant une OB, comparés à des sujets sans OB au sein d’une cohorte de sujets avec m.Bw. Elle souligne l’impact délétère du tabac persistant même après sevrage, la nécessité de traiter précocement les sujets tout en évitant les situations d’hypothyroïdie, de retarder si possible l’indication de l’iode-131 en présence d’une OB inflammatoire active. Elle signale la fréquence et les facteurs prédictifs de la NO, à identifier dès le diagnostic d’OB. Cependant, dans cette étude, la fréquence des anticorps anti-récepteurs de la TSH n’est pas significativement différente chez les sujets avec OB comparés aux autres. De ce fait, aucune analyse n’intègre le titre de ces anticorps.

Références bibliographiques

  1. Tanda ML, Piantanida E, Liparulo L et al. Prevalence and natural history of Graves’ orbitopathy in a large series of patients with newly diagnosed graves’ hyperthyroidism seen at a single center. J Clin Endocrinol Metab 2013;98(4):1443-9.2.
  2. Bahn RS. Graves’ ophthalmopathy. N Engl J Med 2010;362(8):726-38.

 

L'actualité commentée

Caravage
Patrice Rodien (Angers)

figure

Le tableau retrouvé dans la région de Toulouse fait toujours l’objet de discussions : s’agit-il d’un Caravage ? Les experts s’accordent au moins sur un point : c’est bien une thyroïde et de belle facture.

figure


Jeu diagnostique en imagerie
Edouard Ghanassia, endocrinologue – échographiste (Sète)

Regardez avec attention ces clichés. Même si vous n’êtes pas spécialiste d’ultrasonographie, essayez de décrire et d’interpréter ce que vous voyez.

figure figure
figure

Sur les clichés du haut
Vaste image anéchogéne à contours nets avec aspect de double contour, avasculaire, sans image solide interne, occupant le lobe droit, très suggestive d’une formation kystique. De fait, chez la jeune institutrice de 35 ans, la révélation brutale de la tuméfaction douloureuse était cliniquement fortement évocatrice d’hématocèle. Le nodule coté TIRADS 2 ne nécessitait pas de cytoponction diagnostique, ni d’évacuation thérapeutique.

Sur les clichés du bas
À proximité mais sans contiguïté, à la partie supérieure de l’isthme, on découvre un petit nodule fortement hypo-échogène, à contours spiculés, siège de microcalcifications en motte, avasculaire. Ce nodule TIRADS 5 est ponctionné, et l’analyse cytologique est en faveur d’un adénocarcinome papillaire (Bethesda 6). L’évaluation préopératoire fera suspecter aussi une adénopathie sus-isthmique (ganglion de Delphien). Ces données seront confirmées par l’étude de la pièce opératoire : adénocarcinome papillaire de 15 x 80 x 78 mm avec effraction capsulaire et adénopathie (pT3 N1A M0).

L'actualité commentée

C’est la chirurgie qui a permis de résoudre l’énigme de la fonction thyroïdienne
Jean-Louis Schlienger (Université de Strasbourg)

L’énigme de la thyroïde
Décrite entre autres par Vésale (1514-1564), la thyroïde ainsi dénommée par Thomas Wharton (1641-1673) [1] est restée sans emploi jusque vers la fin du XIXe siècle ! De nombreuses propositions ont été formulées avant de s’apercevoir que “l’extirpation” chirurgicale de la glande conduisait à un état pathologique comparable au myxœdème connu depuis la Renaissance. Il fallut tout ce temps pour comprendre que la thyroïde ne servait pas à “régulariser et embellir le cou, raison pour laquelle la nature a doté les femmes d’une thyroïde plus volumineuse que celle des hommes” (Wharton) et n’était pas un “réceptacle pour les œufs de vermisseaux qui gagnaient ensuite l’œosophage et l’estomac pour les lubrifier et faciliter la digestion” (Jacopo Vercelloni 1676-1730). Pas plus qu’elle ne “modulait l’expression de la voix au moyen du liquide qu’elle élabore” (Pierre Lalouette 1711-1792). Les “masses glandulaires qui occupaient la partie supérieure” restèrent une énigme bien longtemps. Caleb Hiller Parry (1755-1822) qui décrivit le goitre exophtalmique bien avant Grave ou von Basedow pensait que la thyroïde était un “réservoir vasculaire pour éviter l’engorgement du cerveau” cependant que Marie-François Bichat (1771-1802) confessait en 1800 que la “thyroïde est l’un de ces organes dont les usages nous sont absolument inconnus”. La fonction de la thyroïde était bel et bien une énigme…

Une chirurgie héroïque
La chirurgie de la thyroïde, ou plutôt des goitres qui étaient légions et souvent énormes, était pratiquée dès le VIe siècle, à mains nues, les doigts servant à disséquer et les ongles à extirper les tissus. Aux XIIe et XIIe siècles, l’École de Salerne a amélioré la technique mais la mortalité restait effroyable. Il en sera ainsi jusqu’à l’avènement de l’anesthésie à l’éther puis au chloroforme en 1846 et, plus tard, les travaux sur l’asepsie et l’antisepsie de Pasteur et de Lister au moment même où l’Académie de Médecine bannissait cette intervention. À cette époque, la chirurgie était réservée aux goitres asphyxiques et était assortie d’une mortalité de 40 %.

Et Kocher vint
En 1860, Théodore Billroth (1829-1894), à Zurich, fut le premier à rapporter une série plus encourageante dont la mortalité était tout de même de l’ordre de 10 %. En 1867, Paul von Stich (1836-1900) de Stuttgart rapporta l’observation d’une enfant dont la croissance et le développement intellectuel furent ralentis dans les suites d’une thyroïdectomie. Vers 1870, le bernois Théodore Emile Kocher (1841-1917), qui fit la même observation après 1870, se rendit compte que la thyroïdectomie totale qu’il maîtrisait parfaitement était responsable de séquelles majeures qu’il dénomma “cachexia strumipriva”. À la même époque, un médecin genevois Jacques Louis Reverdin (1842-1929) décrivait le myxœdème post-opératoire. Le rôle fonctionnel de la thyroïde apparaissait dès lors évident. Kocher poursuivit son œuvre de pionnier de la chirurgie de la thyroïde, avec l’obsession de réduire la mortalité à moins de 1 % et d’éviter les complications redoutables et fréquentes qu’étaient la lésion des nerfs récurrents, le myxœdème et la tétanie. C’est ainsi qu’il décida de ne plus pratiquer que des thyroïdectomies partielles. Ses travaux lui valurent d’être récompensés par l’attribution du prix Nobel de médecine en 1909. Entre temps d’autres auteurs s’attachèrent à éviter les complications par des techniques originales. Citons Mathieu Jaboulay (1860-1913), professeur de chirurgie à Lyon qui a décrit en 1892 l’exothyropathie (extériorisation de la glande), puis la sympathectomie cervicale chez les patients “toxiques”.

En 1892, la médecine vient au secours de la chirurgie en la personne de l’Anglais Georges Redmaye Murray (1865-1955) qui constata que l’administration d’extraits thyroïdiens guérissait le myxœdème post-opératoire.

Le début d’une nouvelle aventure
C’est donc la thyroïdectomie (sub)totale qui a permis de comprendre la fonction de la thyroïde, cette glande qui “déverse des sécrétions dans la circulation générale”, dans l’économie de l’organisme. Peu après les travaux de Rodolphe Magnus-Lévy (1865-1955) sur l’importance de l’iode et d’Eugène Baumann (1846-1896) qui décrivit l’iodothyrine, consolidèrent les connaissances sur le fonctionnement thyroïdien avant qu’Edward C Kendall (1886-1972) n’isole la thyroxine en 1915 et ouvre une nouvelle page de l’histoire de la thyroïde (2).

Références bibliographiques

  1. Wémeau JL. Thyroïde et non “Thyréoîde”. La Lettre de la Thyroïde N°10, 2015.
  2. Schlienger JL. “Le centenaire de la thyroïde”. La Lettre de la Thyroïde N°9, 2015.
     

Pour en savoir plus…

Chigot JP. La thyroïde et les goitres à travers les âges. Hist Sci Med 2008;42(4):393-402.
Giddings AEB. The history of thyroidectomy. J Royal Soc Med 1998;91:53-6.

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts avec la teneur de ce texte.