Item 238 – UE 8 – Hypoglycémie
Objectifs pédagogiques
Diagnostiquer une hypoglycémie
Identifier les situations d’urgence et planifier leur prise en charge
Plan
Introduction
Le diagnostic d’une hypoglycémie est généralement aisé dans le contexte du diabète traité par insuline (cf. Item 245 – Diabète sucré de type 1 et 2 de l’enfant et de l’adulte), sulfonylurées (sulfamides hypoglycémiants) ou glinides. En dehors de ce contexte, le diagnostic peut être difficile ; il est souvent porté par excès, en particulier chez des patients qui viennent en consultation avec la ferme conviction d’avoir des « hypoglycémies ». Cela conduit à la réalisation d’examens inutiles, coûteux et non dépourvus de risques.
La démarche diagnostique demande beaucoup de rigueur aux deux étapes : celle du diagnostic positif et celle du diagnostic étiologique. L’étape du diagnostic étiologique est dominée par la recherche d’un insulinome, cause la plus fréquente des hypoglycémies tumorales de l’adulte.
La plupart des hypoglycémies organiques surviennent à distance des repas. Les hypoglycémies postprandiales immédiates, réactives, après chirurgie du pylore et surtout de restriction de l’estomac sont de diagnostic facile. Finalement, les « hypoglycémies » dites fonctionnelles (manifestations neurovégétatives en l’absence d’hypoglycémie, éventuellement rythmées par la prise alimentaire) restent un diagnostic incertain, qu’on ne devrait pas évoquer en l’absence d’hypoglycémie veineuse documentée.
Définition
Le diagnostic d’hypoglycémie repose sur :
-
la constatation simultanée :
-
de signes de neuroglucopénie ;
-
et d’une glycémie veineuse (et non capillaire) basse ;
-
-
ainsi que sur la correction des symptômes lors de la normalisation de la glycémie.
C’est la triade de Whipple.
Dans cette définition, trois points méritent l’attention :
- les symptômes et la glycémie basse doivent être simultanés. Ainsi, une glycémie basse isolée ne suffit pas à porter le diagnostic : la glycémie veineuse normale d’une femme après 72 heures de jeûne peut atteindre 0,40 g/l voire exceptionnellement 0,30 g/l. Le niveau seuil de glycémie habituellement retenu pour le diagnostic d’une hypoglycémie en dehors du diabète est de 0,50 g/l [2,75 mmol/l] (définition selon les recommandations de la Société Française d’Endocrinologie, concernant l’hypoglycémie chez l’adulte, publiées en 2013). Chez le diabétique, la valeur retenue est de 0,60 g/l [3,3 mmol/l]. Il faut cependant noter que pour certains patients, en raison de mécanismes adaptatifs, des valeurs basses de glycémie peuvent ne pas s’accompagner des signes habituellement rencontrés dans les hypoglycémies organiques ;
- les symptômes spécifiques de neuroglucopénie doivent être différenciés de ceux, peu spécifiques et inconstants, de la réaction adrénergique qui précèdent et accompagnent l’hypoglycémie ;
- la disparition rapide (environ 10–15 minutes) des signes cliniques d’hypoglycémie avec le resucrage ne fait pas partie de la triade de Whipple. Ce type de réponse, en l’absence d’hypoglycémie veineuse documentée et de signes neuroglucopéniques, ne suffit pas évidemment à porter un diagnostic d’hypoglycémie organique.
Physiopathologie
Plusieurs systèmes hormonaux participent au maintien de la glycémie entre 0,60 et 0,90 g/l [3,3 à 5,0 mmol/l] à jeun et 1,20 à 1,30 g/l [6,7 à 7,2 mmol/l] après les repas. Lors d’un jeûne prolongé, la glycémie baisse et le cerveau utilise d’autres substrats, essentiellement les corps cétoniques.
Les principales hormones qui ont un effet significatif sur la glycémie sont :
- l’insuline, principal facteur hypoglycémiant, dont la concentration s’élève après le repas et diminue pendant le jeûne ;
- les facteurs de croissance apparentés à l’insuline, IGF-1 et IGF-2, dont l’effet hypoglycémiant n’est significatif que pour des concentrations très fortes, pharmacologiques ou tumorales ;
- les hormones dites de contre-régulation, qui ont un effet hyperglycémiant :
- le glucagon ;
- l’hormone de croissance (GH) ;
- les catécholamines ;
- le cortisol ;
- plus accessoirement, la somatostatine est capable de bloquer la sécrétion d’insuline mais dans une moindre mesure, en particulier dans des situations physiologiques (on utilise par exemple des analogues de la somatostatine en cas de tumeurs pancréatiques sécrétant de l’insuline).
Lors de la baisse de la glycémie induite par une injection d’insuline chez des témoins, on observe une graduation selon la profondeur de l’hypoglycémie, avec successivement :
- le glucagon, l’adrénaline et l’hormone de croissance sont sécrétés, puis enfin le cortisol ;
- les symptômes apparaissent lorsque la glycémie baisse en dessous de 0,55 g/l [3 mmol/l] ;
- les troubles cognitifs apparaissent en dessous de 0,35 g/l [2 mmol/l].
Lors de la répétition des épisodes d’hypoglycémie, en particulier chez le diabétique traité par insuline, les seuils de sécrétion des hormones de contre-régulation s’abaissent, les symptômes neurovégétatifs s’atténuent ou sont retardés, de sorte que les symptômes de dysfonction cérébrale sont au premier plan.
Une hypoglycémie peut être la conséquence :
- d’une sécrétion inappropriée d’insuline ;
- ou, plus rarement et en particulier chez l’adulte :
- d’un défaut de sécrétion d’une des hormones de contre-régulation, en particulier le cortisol ;
- d’un déficit de néoglucogenèse (insuffisance hépatique ou rénale sévère) ;
- d’un défaut de substrat (cachexie).
Symptômes d’hypoglycémie
1. Signes adrénergiques
Ce sont les signes de la réaction adrénergique (neurovégétative) à l’hypoglycémie:
- anxiété, tremblements, sensation de chaleur ;
- nausées ;
- sueurs ;
- pâleur ;
- tachycardie, palpitations.
2. Signes de neuroglucopénie
Ces signes sont la manifestation d’une dysfonction focale ou généralisée du système nerveux. Ils sont multiples, mais généralement similaires d’un épisode à l’autre chez un même patient :
- troubles de concentration, fatigue, troubles de l’élocution, troubles du comportement ou symptômes psychiatriques francs ;
- troubles moteurs, hyperactivité, troubles de la coordination des mouvements, tremblements, hémiparésie, diplopie, paralysie faciale, etc. ;
- troubles sensitifs, paresthésies d’un membre, paresthésies péribuccales ;
- troubles visuels ;
- convulsions focales ou généralisées ;
- confusion.
Ces symptômes témoignent obligatoirement d’une cause organique d’hypoglycémie.
3. Coma hypoglycémique
Au maximum, le coma hypoglycémique présente souvent les caractéristiques suivantes :
- profondeur variable, jusqu’à des comas très profonds ;
- survenue rapide, précédé des signes d’hypoglycémie classiques ;
- souvent agité, tonique avec des sueurs profuses ;
- avec des signes d’irritation pyramidale et une hypothermie ;
- chez un patient pâle et couvert de sueurs.
Chez tout patient présentant des troubles de conscience de quelque profondeur que ce soit, il est de règle de mesurer immédiatement la glycémie.
Ces symptômes sont souvent favorisés par le jeûne et l’exercice physique et le coma est souvent précédé de symptômes mineurs.
Etiologie
1. Hypoglycémies chez le diabétique
Les hypoglycémies les plus fréquentes surviennent chez les diabétiques traités par de l’insuline et des hypoglycémiants oraux (insulino-sécrétagogues). Ces causes sont traitées dans l’Item 245.
2. Insulinomes
L’insulinome est la première cause tumorale d’hypoglycémie (+++).
Avant d’envisager cette hypothèse et de discuter la réalisation éventuelle d’une épreuve de jeûne, par une approche systématique on évoquera et/ou éliminera des causes évidentes (figure 11.1) :
- causes médicamenteuses (analyse méticuleuse des traitements du patient, surtout en cas de polymédication), comme certaines quinolones, le pentamidine, la quinine, l’indométacine… ;
- insuffisances viscérales, en particulier hépatique ou rénale ;
- impérativement une insuffisance surrénalienne ou corticotrope méconnue (réalisation d’un test au Synacthène®) ;
- contexte de tumeur mésenchymateuse (généralement volumineuse) ;
- cause auto-immune (anticorps anti-insuline ou anti-récepteur de l’insuline), notamment s’il existe un terrain connu, les mécanismes supposés des hypoglycémies dans ce cas sont une liaison avec activation, parfois, de certains de ces anticorps avec le récepteur de l’insuline, ou un relargage imprévisible de l’insuline libre à partir des complexes circulants qu’elle forme avec les anticorps anti-insuline ;
- après chirurgie bariatrique.
Figure 11.1
Étapes du diagnostic d’une hypoglycémie. Les chiffres 1, 2 et 3 indiquent le profil biologique attendu pour l’insulinémie et le peptide C pour les différentes causes d’hypoglycémie. (Source : CEEDMM, 2019.)
Même si l’insulinome est une tumeur rare (moins de 5 cas par million et par an), il est la plus fréquente des tumeurs neuroendocrines fonctionnelles du pancréas (cf. Item 305).
L’insulinome est souvent isolé mais peut s’inscrire, chez 5 % des patients, dans un contexte de néoplasie endocrinienne multiple de type 1 (NEM1) (intérêt de la mesure de principe de la calcémie à la recherche d’une hyperparathyroïdie primaire), où il est alors volontiers multiple.
C’est habituellement une tumeur bénigne. Elle est maligne dans seulement 10 % des cas et la malignité ne peut être affirmée que par la présence de métastases.
C’est le plus souvent une tumeur de petite taille (90 % font moins de 2 cm et 30 % moins de 1 cm), ce qui rend parfois le diagnostic topographique préopératoire difficile.
A. Clinique
L’insulinome entraîne des épisodes d’hypoglycémie, parfois très épisodiques, chez des adultes souvent jeunes et bien portants. La symptomatologie est souvent dominée par les manifestations adrénergiques. Les signes de neuroglucopénie sont rarement au premier plan et souvent mal rapportés par le patient. L’interrogatoire doit impérativement les rechercher. Le diagnostic est ainsi souvent retardé, même chez des patients ayant de fréquents épisodes hypoglycémiques ; certains patients reçoivent pendant plusieurs années des diagnostics neurologiques ou psychiatriques divers.
Les épisodes d’hypoglycémie surviennent plus volontiers à jeun ou à l’effort, même s’il ne s’agit pas d’un critère absolu (possibilité de véritables insulinomes avec hypoglycémie déclenchée par la prise alimentaire) ; la répétition des épisodes peut s’accompagner d’une prise de poids chez 30 % des patients.
B. Diagnostic
a) Diagnostic positif
Le diagnostic positif d’insulinome repose uniquement sur la mise en évidence biologique d’une sécrétion inappropriée d’insuline et de peptide C en présence d’une glycémie veineuse basse (tableau 11.1). Il est parfois possible de faire le diagnostic avec ces trois paramètres en raison d’une hypoglycémie spontanée (hypoglycémies matinales fréquentes, par exemple). Dans le cas contraire, il faut chercher à reproduire cette hypoglycémie en réalisant une épreuve de jeûne de 72 heures, lors d’une hospitalisation pour mettre en évidence une hypoglycémie (< 0,5 g/l) avec une concentration d’insuline et de peptide C mesurables et donc inappropriées. La concentration de pro-insuline plasmatique est également inappropriée alors que la concentration des béta-hydroxybutyrates plasmatiques normalement produits en cas de jeûne est basse en raison de l’action puissamment anticétogène de l’insuline.
Tableau 11.1
Critères diagnostiques d’une hypoglycémie liée à un insulinome. (Source: CEEDMM, 2019).
Critères cliniques
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Malaise survenant à jeun ou après un effort (parfois lié à la prise alimentaire) |
Signes cliniques neuroglycopéniques |
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Signes cliniques de riposte adrénergique |
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Réversibilité des signes cliniques après apport de sucre rapide |
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Absence de prise de sulfamides hypoglycémiants ou de glinides |
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Critères biologiques
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Lors d’une glycémie veineuse ? 0,5 g/l [? 2,75 mmol/l] |
Insulinémie inappropriée (= non freinée) |
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Pro-insuline plasmatique inappropriée (= non freinée) |
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Peptide C plasmatique inapproprié (= non freiné) |
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Bêta-hydroxybutyrate plasmatique bas |
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Dosage de sulfamides hypoglycémiants et de glinides: recherche négative |
La figure 11.2 présente les paramètres biologiques et hormonaux d’une épreuve de jeûne mettant en évidence une sécrétion inappropriée d’insuline chez une patiente présentant un insulinome.
Figure 11.2
Épreuve de jeûne typique chez une patiente présentant un insulinome.
Dernier repas pris la veille au soir à 20 h. Les glycémies basses de début d’épreuve ne suffisaient pas au diagnostic, en l’absence de symptômes. Symptômes de neuroglucopénie, avec glycémie basse à 15 h (pâleur, lenteur d’idéation), conduisant à l’arrêt immédiat de l’épreuve et à la correction immédiate des symptômes lors du resucrage oral. L’insulinémie est dans une fourchette normale mais totalement inadaptée à la glycémie : elle devrait être indosable pour une telle glycémie. Le peptide C dosable prouve que l’hypoglycémie n’est pas due à une injection d’insuline. L’absence de sulfamides hypoglycémiants dans le plasma prouve que l’hypoglycémie n’est pas la conséquence de la prise de sulfonylurée. Comme c’est souvent le cas, l’élévation de la pro-insuline est disproportionnée par rapport à celle de l’insuline. (Source : CEEDMM, 2019.)
b) Diagnostics différentiels (+++)
Différents diagnostics différentiels sont à évoquer en fonction de la biologie hormonale au moment de l’hypoglycémie. En premier lieu, il faut penser à une prise cachée d‘insuline ou de sulfonylurées. De telles prises cachées (hypoglycémies « factices ») sont souvent le fait de patients proches du milieu médical ou d’un diabétique et qui ont parfois des antécédents psychiatriques. Exceptionnellement l’administration cachée est le fait d’un tiers, dans un but criminel ou dans le cadre d’un syndrome de Münchhausen « par procuration ».
Chez les patients qui ont des prises cachées d’insuline lors de l’épreuve de jeûne, le plus souvent le tableau biologique est le suivant : hypoglycémie avec une insuline dosable voire très augmentée, alors que le peptide C et la pro-insuline sont indosables. Les différents analogues de l’insuline, de plus en plus utilisés dans le traitement du diabète, rendent le diagnostic plus difficile, car l’insuline injectée peut ne pas être reconnue par le dosage utilisé par le laboratoire.
Chez les patients qui ont des prises cachées de sulfonylurées ou de glinides, le tableau biologique est le suivant : hypoglycémie avec une insuline et un peptide C dosables, similaire au tableau de l’insulinome. Il est de règle de doser les sulfonylurées et les glinides lors de l’hypoglycémie à la moindre suspicion.
Dans de rares cas, il faut savoir évoquer une cause auto-immune, une tumeur mésenchymateuse, parfois des maladies rares du métabolisme pouvant être diagnostiquées à l’âge adulte.
c) Diagnostic topographique
C’est une étape parfois difficile du diagnostic chez des patients dont les tumeurs sont de petite taille et dans un organe profond. Il est néanmoins nécessaire, avant de proposer une chirurgie, de localiser la tumeur et de pouvoir affirmer qu’elle est unique.
Deux examens dominent cette étape : le scanner en coupes fines du pancréas, avec coupes en phase artérielle précoce (figure 11.3), et l’écho-endoscopie, qui n’a de valeur que si elle est faite par un médecin habitué à ce diagnostic (figure 11.4). L’écho-endoscopie permet également de préciser les rapports entre la tumeur et la voie biliaire principale, dans une optique de stratégie chirurgicale. Les autres examens ne sont indiqués que lorsque ces deux techniques ne permettent pas d’identifier la lésion. L’IRM pancréatique peut être utile. Les chirurgiens complètent les données de l’imagerie préopératoire par la palpation peropératoire du pancréas, voire une échographie peropératoire.
Figure 11.3
Scanner abdominal avec injection de produit de contraste au temps artériel. Lésion nodulaire hypervasculaire centimétrique du corps du pancréas correspondant à un insulinome. (Source : CEEDMM, 2019.)
Figure 11.4
Diagnostic topographique d’insulinome : écho-endoscopie pancréatique. a. Isoéchogène. b. Hypoéchogène. (Source : CEEDMM, 2019.)
C. Traitement
Le traitement de l’insulinome repose sur l’exérèse chirurgicale de la tumeur.
En attendant la chirurgie, des traitements médicamenteux peuvent permettre de normaliser la glycémie. Le médicament le plus prescrit en première intention dans cette indication est le diazoxide. Ce médicament bloque la sécrétion d’insuline via l’ouverture des canaux potassiques des cellules béta-pancréatiques. Les analogues de la somatostatine de première génération peuvent également être utilisés avec une efficacité chez environ 50 % des patients.
Recommandation de la Société française d’endocrinologie (2013)
Chez un patient ayant présenté une triade de Whipple, une glycémie ? 0,5 g/l (spontanément ou lors d’une épreuve de jeûne) concomitante d’une insulinémie ? 3 mUI/l et d’un peptide C ? 0,6 ng/ml avec absence de prise de sulfamide ou de glinide confirme le diagnostic d’hypoglycémie par sécrétion inappropriée d’insuline.
Points clés
– Évoquer une hypoglycémie organique est parfois difficile en raison du caractère non spécifique des symptômes.
– Le diagnostic positif d’hypoglycémie repose sur la constatation simultanée de signes de neuroglucopénie et d’une glycémie veineuse ? 0,5 g/l.
– Le diagnostic positif d’insulinome est uniquement biologique : mise en évidence d’une glycémie veineuse basse associée à une sécrétion inadaptée d’insuline et de peptide C (sans prise de sulfamides hypoglycémiants).
– L’étape du diagnostic topographique d’insulinome nécessite la réalisation d’une écho-endoscopie et d’un scanner pancréatique.
– L’insulinome est la cause la plus fréquente des hypoglycémies tumorales de l’adulte.
– On éliminera une insuffisance surrénalienne ou corticotrope avant toute épreuve de jeûne.
Pour en savoir plus:
© CEEDMM – Mai 2020