Item 239 – UE 8 – Cancers thyroïdiens

 

Objectifs pédagogiques

Diagnostic des goitres, des nodules thyroïdiens et des cancers thyroïdiens

Argumenter l’attitude thérapeutique et planifier le suivi du patient

 

 

 

Plan

I. Mode de découverte

II. Anatomie pathologique

III. Prise en charge thérapeutique initiale

IV. Prise en charge thérapeutique suivant le type de cancer

Points clés

 

 

 

Mode de découverte

 

Le cancer de la thyroïde est le plus fréquent des cancers endocriniens.Son incidence est en augmentation depuis une trentaine d’années dans tous les pays industrialisés. Il représente 1,5 % des cancers et le quatrième cancer chez la femme. Environ 8 500 nouveaux cas de cancers de la thyroïde sont actuellement diagnostiqués chaque année en France, dont 75 % survenant chez la femme.

Le pronostic d’ensemble est bon, avec une survie à 10 ans supérieure à 90 %, mais 5 à 10 % d’entre eux ont une évolution défavorable et sont responsables de la mortalité spécifique de ce cancer (0,3 % de la mortalité globale par cancer).

Le plus souvent le diagnostic est évoqué devant un nodule thyroïdien mis en évidence par l’examen clinique ou, de plus en plus fréquemment, de découverte fortuite à l’occasion d’un examen d’imagerie.

Les caractéristiques du nodule peuvent faire suspecter un cancer s’il est dur, irrégulier adhérent, rapidement progressif et parfois associé à des adénopathies mais, le plus souvent, il s’agit d’un nodule isolé d’allure banale.

Plus rarement, le cancer thyroïdien sera révélé par :

  • une adénopathie cervicale ;
  • des signes de compression : paralysie récurrentielle ;
  • des flushes et/ou une diarrhée en lien avec un cancer médullaire (calcitonine) : rare, signant une forme évoluée déjà métastatique ;
  • des symptômes en lien avec une localisation métastatique pulmonaire ou osseuse (fracture pathologique) ; si on suspecte une origine thyroïdienne, on recherche si la métastase exprime des marqueurs thyroïdiens : thyroglobuline ou calcitonine.

Il est fréquent aujourd’hui de découvrir des microcarcinomes de façon fortuite sur pièce de thyroïdectomie pour pathologie bénigne.

 

 

Anatomie pathologique

 

On distingue schématiquement cinq grands types histologiques (tableau 12.1) :

  • les carcinomes d’origine vésiculaire (développés aux dépens des cellules folliculaires thyroïdiennes, d’origine épithéliale) : ils représentent 90 à 95 % des cas de cancers thyroïdiens. La thyroglobuline, protéine d’origine exclusivement thyroïdienne, est utilisée comme marqueur de suivi. Ce groupe comprend :
  • les carcinomes papillaires différenciés : 85 % des cas, d’excellent pronostic (95 % de survie à 10 ans), qui se caractérisent par la fréquence des atteintes ganglionnaires ; c’est la seule forme observée chez les sujets jeunes. Le diagnostic cytologique et histologique repose sur la présence d’anomalies caractéristiques des noyaux ;
  • les carcinomes vésiculaires différenciés : 5 %, qui ont moins de tropisme ganglionnaire et peuvent avoir une dissémination hématogène. Le diagnostic de certitude est uniquement histologique, il repose sur la mise évidence d’une invasion vasculaire et/ou de la capsule de la tumeur ;
  • les carcinomes peu différenciés et oncocytaires : 2 à 5 %, de pronostic plus défavorable, rencontrés chez des sujets plus âgés ;
  • les carcinomes anaplasiques : ils sont devenus rares (1 %), survenant surtout chez le sujet âgé. Leur pronostic est très péjoratif (survie relative à 1 an de 15 %) et ils nécessitent une prise en charge en urgence. Ils sont responsables des trois quarts des décès par cancer thyroïdien ;
  • les carcinomes médullaires, développés aux dépens des cellules C : ils représentent 5 % des cas ; ce sont des tumeurs neuroendocrines dont le marqueur est la calcitonine, qui expriment aussi l’antigène carcinoembryonnaire (ACE). Leur pronostic dépend du stade au diagnostic. La survie à 5 ans est estimée à 80 %. Ils ont la particularité de s’intégrer, dans 25 % des cas, à des syndromes de prédisposition familiale, les néoplasies endocriniennes multiples de type 2 (NEM2) liées à différentes mutations activatrices de l’oncogène RET ;
  • autres cancers : rares (1 %), il peut s’agir de lymphomes ou de métastases thyroïdiennes d’un autre cancer (notamment cancer du rein à cellules claires).

 

Tableau 12.1

Présentation simplifiée de l’histologie des cancers thyroïdiens. (Source: CEEDMM, 2019.)

 

Sujets jeunes Toujours cancer différencié
Presque toujours carcinome papillaire d’excellent pronostic (marqueur de suivi: la thyroglobuline)
Rarement: carcinome médullaire développé aux dépens des cellules C (marqueur diagnostique et de suivi: la calcitonine), familiaux dans 25% des cas (NEM2)
Sujets âgés Possibilité de cancers peu différenciés ou indifférenciés (anaplasiques) de très mauvais pronostic

 

 

Prise en charge thérapeutique initiale

 

La chirurgie est le traitement de première intention de pratiquement tous les cancers de la thyroïde. Elle permet de réaliser un examen anatomopathologique qui permet le diagnostic de certitude. La stratégie chirurgicale dépend du bilan d’extension préopératoire qui repose, en général, sur une échographie cervicale. Le geste consiste en une thyroïdectomie totale ou partielle, parfois associée à un curage ganglionnaire. Elle conduit à une hypothyroïdie définitive justifiant un traitement substitutif par lévothyroxine (L-T4) au long cours.

Des complications sont observées dans 1 à 3 % des cas, dépendant de l’étendue du geste et de l’expérience de l’équipe chirurgicale ; le patient doit en être informé avant l’intervention :

  • hémorragie postopératoire avec risque d’hématome suffocant survenant dans les 48 heures suivant le geste opératoire : il s’agit d’une situation d’urgence imposant un dégrafage immédiat ;
  • hypoparathyroïdie : elle ne survient qu’après thyroïdectomie totale ; elle est due à la lésion ou l’ablation des quatre parathyroïdes (siège intrathyroïdien) ; un traitement vitaminocalcique (calcium + vitamine D active) est nécessaire de manière transitoire ou définitive ;
  • paralysie transitoire ou définitive d’un ou des deux nerfs récurrents, responsable d’une dysphonie voire d’une dyspnée laryngée en cas d’atteinte bilatérale ; l’examen des cordes vocales est essentiel si possible avant et surtout après la chirurgie.

 

Prise en charge thérapeutique suivant le type de cancer

 

La prise en charge est déterminée lors d’une réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP), qui intervient généralement après la chirurgie initiale, lorsque le résultat de l’examen anatomopathologique est connu, pour guider la prise en charge thérapeutique ultérieure.

 

1. Cancers thyroïdiens différenciés papillaires ou vésiculaires

Ces cancers bien différenciés conservent des propriétés de la cellule thyroïdienne normale : ils sont hormonodépendants vis-à-vis de la TSH et ont la particularité de fixer l’iode radioactif. Ces spécificités sont utilisées pour le traitement.

A. Traitement hormonal

Le traitement de lévothyroxine est administré à dose légèrement supraphysiologique pour freiner la TSH après chirurgie dans les formes à haut risque de récidive et en cas de maladie récidivante ou métastatique. L’objectif est de prévenir le risque de récidive et/ou ralentir la progression de la maladie. Lorsque le patient est en rémission, il n’est pas nécessaire de conserver le freinage, l’hyperthyroïdie biologique exposant à des risques cardiaques (troubles du rythme de type arythmie complète par fibrillation auriculaire) et osseux (ostéoporose). La TSH est maintenue dans la moitié inférieure des valeurs normales. Le taux de TSH est mesuré au moins 6 semaines (pour atteindre l’état d’équilibre) après le début du traitement pour l’adaptation de la posologie. Par la suite, une surveillance annuelle ou biannuelle est suffisante.

B. Traitement adjuvant par l’iode 131, ou IRAthérapie

Les résidus thyroïdiens sont capables de capter sélectivement l’iode 131. Ceci permet leur destruction ciblée. Le traitement n’est indiqué que chez les patients ayant subi une thyroïdectomie totale et présentant une forme à haut risque de récidive. L’indication est discutée en RCP en fonction, notamment, du contexte, des données histologiques et de l’âge du sujet. La fixation de l’iode 131 nécessite une stimulation préalable par la TSH. Elle peut être réalisée par un sevrage en hormones thyroïdiennes (L-T4) ou par des injections intramusculaires de TSH recombinante humaine. L’activité administrée est de 30 à 100 mCi [1 110 à 3 700 MBq] d’iode 131. Une hospitalisation en chambre radioprotégée est nécessaire pendant 2 à 5 jours — obligatoire dès que l’activité administrée est supérieure à 20 mCi [740 MBq]. L’administration d’iode 131 est formellement contre-indiquée en cas de grossesse ou d’allaitement. Une contraception est conseillée pendant les 6 à 12 mois suivant l’administration d’iode 131 en raison d’une majoration transitoire du risque de fausse couche. Une scintigraphie corporelle totale (figure 12.12) est systématiquement réalisée et permet de visualiser d’éventuels foyers tumoraux et de réaliser ainsi le bilan d’extension. Lorsque la chirurgie a été complète, on observe simplement un reliquat thyroïdien cervical. La présence de fixations extracervicales indique l’existence de métastases ganglionnaires ou à distance. Un dosage de thyroglobuline est systématiquement réalisé.

 

Figure 12.12

Scintigraphie corporelle totale après administration d’iode radioactif retrouvant un petit résidu thyroïdien postopératoire. (Source : CEEDMM, 2019.)

 

 

C. Surveillance

Les récidives peuvent être tardives, imposant un suivi prolongé. La surveillance biologique repose sur le dosage de TSH pour s’assurer que le traitement substitutif est adéquat et le dosage de thyroglobuline (marqueur du cancer) pour dépister une récidive ganglionnaire ou métastatique. La concentration plasmatique de thyroglobuline doit être indétectable après thyroïdectomie complétée par l’administration d’une dose d’iode radioactif. Une concentration plasmatique élevée traduit une maladie persistante ou récidivante et conduit à la réalisation d’examens complémentaires. L’échographie cervicale (figure 12.13) a de meilleures performances que la palpation pour le diagnostic des récidives ganglionnaires et permet la réalisation de cytoponctions pour affirmer la récidive.En cas de suspicion de récidive métastatique, le bilan pourra être complété par un scanner thoracique et/ou une tomographie par émissions de positons au fluorodéoxyglucose (TEP-FDG) qui permet une imagerie « corps entier » et qui a une bonne valeur pronostique.

 

Figure 12.13

Adénopathie suspecte à l’échographie chez un patient suivi pour cancer thyroïdien papillaire. (Source : CEEDMM, 2019.)

 

 

D. Traitement des récidives

a) Récidives cervicales

Les récidives cervicales surviennent dans 10 à 20 % des cas. Elles sont localisées dans les ganglions cervicaux pour 80 % des cas. La chirurgie reste le meilleur traitement des récidives locales, complétée par l’iode radioactif quand ces récidives fixent.

b) Métastases à distance

Les métastases à distance (< 10 %) siègent principalement au niveau des poumons (figure 12.14) et du squelette. Elles sont présentes au diagnostic dans la moitié des cas et souvent associées à une récidive cervicale. Lorsque les métastases sont multiples, le traitement de référence reste l’iode 131.Il n’est efficace que lorsque les métastases sont fixantes. Des guérisons sont obtenues dans un tiers des cas après administrations itératives, le plus souvent chez des sujets jeunes présentant de petites métastases pulmonaires bien différenciées.

 

Figure 12.14

Scintigraphie corporelle totale retrouvant des images cervicales, médiastinales et une miliaire pulmonaire. (Source : CEEDMM, 2019.)

 

Les cancers ne fixant pas l’iode radioactif sont dénommés cancers réfractaires. Le pronostic est mauvais. La prise en charge thérapeutique fait appel à la radiothérapie, aux traitements locaux et aux thérapeutiques ciblées qui sont mis en œuvre par des équipes spécialisées.

La chimiothérapie est considérée comme peu efficace. La radiothérapie n’est que palliative. En cas de métastase unique ou menaçante, on fait appel en fonction de la localisation à des traitements locaux (chirurgie d’exérèse, radiofréquence, cimentoplastie, radiothérapie externe). Lorsque les métastases sont disséminées et évolutives, les patients peuvent bénéficier des progrès thérapeutiques récents que représentent les thérapeutiques moléculaires ciblés qui permettent d’obtenir des stabilisations, parfois prolongées, dans 30–50 % des cas, au prix d’effets secondaires importants. Dans tous les cas, il faut maintenir un traitement de L-T4 à dose frénatrice.

 

2. Cancers anaplasiques

Les cancers anaplasiques se manifestent le plus souvent par une tuméfaction cervicale rapidement progressive, dure, adhérente, chez un sujet âgé. Le cancer est souvent déjà métastatique au diagnostic. On a recours à la chirurgie ou à la biopsie pour confirmer le diagnostic histologique. L’iode radioactif n’a aucune efficacité. Il s’agit d’une urgence thérapeutique. Le traitement repose sur des protocoles de radiochimiothérapie. Le pronostic reste très péjoratif.

 

3. Cancers médullaires

Leur traitement est chirurgical et la qualité du geste initial conditionne le pronostic. La rémission n’est obtenue que dans les formes sans atteinte ganglionnaire. Un envahissement ganglionnaire est souvent présent au diagnostic, imposant un curage extensif.

 

Ceci explique l’intérêt de réaliser systématiquement un dosage de calcitonine lors du bilan préopératoire d’un nodule thyroïdien.

 

Le traitement thyroxinique est prescrit à doses substitutives. L’iode radioactif est sans intérêt.

La surveillance repose sur le dosage de calcitonine, couplé au dosage d’ACE. Lorsque la calcitonine est indosable 3 mois après chirurgie, le patient est en rémission et doit être surveillé par des dosages annuels de calcitonine.

Lorsque la calcitonine reste détectable, le patient est en maladie persistante et doit etre confié à une équipe spécialisée. Le bilan de localisation ne doit être pratiqué que pour des valeurs de calcitonine > 150 ?g/l car il est constamment négatif pour des valeurs plus faibles. Une forme métastatique est suspectée pour des valeurs > 500 ?g/l. Les métastases sont le plus souvent hépatiques, pulmonaires et osseuses. Le diagnostic de localisation repose sur le scanner (temps précoces) ou l’IRM hépatique, le scanner thoracique, l’IRM osseuse. La TEP-FDG est moins performante que dans les autres formes de cancer thyroïdien.

Dans les formes avec maladie persistante, même métastatiques, l’évolution peut être très lente. Le temps de doublement de la calcitonine constitue un très bon indicateur pronostique. Lorsqu’il est supérieur à 2 ans, la survie des patients est comparable à celle de la population générale, alors que le pronostic est très mauvais lorsqu’il est inférieur à 6 mois.

Le traitement des formes métastatiques repose sur des traitements locaux (chimio-embolisation de lésions hépatiques, radiofréquence, radiothérapie). Dans les formes avec localisations disséminées, la chimiothérapie est rarement efficace. Des stabilisations prolongées peuvent être obtenues avec les thérapeutiques ciblées, pour la plupart en cours d’évaluation.

Les cancers thyroïdiens médullaires surviennent dans un contexte familial dans 30 % des cas : néoplasie endocrinienne multiple de type 2 (NEM2). Le diagnostic de cancer médullaire impose, dsonc, la réalisation d’une étude génétique à la recherche d’une mutation de l’oncogène RET. Dans ce contexte, compte tenu des risques chirurgicaux en cas de phéochromocytome méconnu, il est prudent de réaliser un dosage préopératoire des dérivés méthoxylés (métanéphrines) en cas de suspicion de cancer médullaire.

La découverte d’une mutation du gène RET conduit :

  • d’une part, à compléter le bilan à la recherche des autres lésions de NEM2. Quel que soit le génotype, le cancer médullaire est observé dans 100 % des cas et fait le pronostic de la maladie, mais sa précocité et son agressivité varient suivant la mutation en cause. Les autres atteintes possibles sont un phéochromocytome, une hyperparathyroïdie, très rarement un syndrome malformatif (NEM2B). Les trois formes principales sont présentées dans le tableau 12.2. Compte tenu des risques chirurgicaux en cas de phéochromocytome méconnu, il est prudent de réaliser un dosage préopératoire des dérivés méthoxylés en cas de suspicion de cancer médullaire ;

  • d’autre part, à organiser une enquête familiale chez les apparentés, qui sera réalisée dans le cadre d’une consultation d’oncogénétique. La découverte d’une mutation chez un apparenté peut conduire à la réalisation d’une thyroïdectomie prophylactique à un âge dépendant du type de mutation (relation génotype-phénotype).

 

Tableau 12.2

Phénotype des néoplasie endocrinienne multiple de type 2. FMTC, Familial Medullary Thyroid Carcinoma: ces formes sont volontiers associées à des hyperplasies des cellules C et/ou à des lésions plurifocales, mais ceci n’est pas constant. (Source: CEEDMM, 2019.)

 

NEM2A

(60%)

Cancer médullaire thyroïdien

100 %

Phéochromocytome

60 %

Hyperparathyroïdie

5-20 %

NEM2B

(5%)

Cancer médullaire thyroïdien précoce et de mauvais pronostic

100 %

Phéochromocytome

Morphotype marphanoïde

Neuromes sous-muqueux

Ganglioneuromatose digestive

50 %

FMTC

(35%)

Cancer médullaire thyroïdien isolé

Survenue plus tardive

100 %

 

 

 

 

Points clés

 

Les cancers thyroïdiens ont un bon pronostic d’ensemble.

– Il s’agit le plus souvent de cancers bien différenciés de type papillaire.

– Les cancers anaplasiques sont rares mais de très mauvais pronostic.

– Les cancers médullaires sont familiaux dans 30 % des cas, pouvant s’intégrer dans une NEM2.

– La prise en charge dépend du type histologique et doit être discutée en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) dès le diagnostic de certitude établi.

 

 

© CEEDMM – Mai 2020