Item 241 – UE 8 – Hypothyroïdie
Objectifs pédagogiques
Diagnostiquer une hypothyroïdie
Argumenter l’attitude thérapeutique et planifier le suivi du patient
Plan
I. Généralités et définition de l’hypothyroïdie
II. Sémiologie de l’hypothyroïdie
III. Etiologie des hypothyroïdies
Généralités et définition de l’hypothyroïdie
Le déficit en hormones thyroïdiennes, ou hypothyroïdie, peut être dû :
- à une atteinte de la glande thyroïde elle-même (insuffisance thyroïdienne primitive ou hypothyroïdie primaire ou hypothyroïdie périphérique) ;
- à une atteinte hypothalamo-hypophysaire (insuffisance thyréotrope ou hypothyroïdie secondaire ou hypothyroïdie centrale).
1. Atteinte de la glande thyroïde
Le diagnostic d’atteinte primitive de la glande thyroïde repose sur une augmentation de la TSH (par levée du rétrocontrôle négatif des hormones thyroïdiennes sur les cellules thyréotropes hypophysaires).
Le diagnostic d’hypothyroïdie primaire :
- repose d’abord sur le dosage de la TSH ;
- dans un second temps, si la TSH est élevée, afin de mesurer la sévérité du déficit sécrétoire, on dosera la thyroxine libre (T4L ou fT4) (plutôt que T4 totale, qui est sujette à de multiples variations) :
- si la T4 libre est normale, il s’agit d’une hypothyroïdie fruste (ou hypothyroïdie infraclinique) ; dans ce cas, la TSH est peu élevée, le plus souvent entre 4 et 10 mUI/l ;
- si la T4 libre est basse, il s’agit d’une hypothyroïdie patente ; la TSH est alors plus élevée, supérieure à 10 mUI/l.
L’hypothyroïdie primaire est la plus fréquente. La prévalence de l’hypothyroïdie est plus importante chez les femmes (7,5 % des femmes contre 3 % des hommes), chez les sujets âgés (10 %), en cas de syndrome de Turner ou de trisomie 21 ou en association au diabète de type 1 dans le cadre de polyendocrinopathie auto-immune. Actuellement, par la généralisation du dosage de TSH (bilan systématique ou d’asthénie), le diagnostic est le plus souvent précoce, fait au stade d’hypothyroïdie fruste où seule la TSH est augmentée. Un seul dosage de TSH modérément augmenté n’est pas suffisant pour porter le diagnostic d’hypothyroïdie et donc justifier un traitement.
2. Atteinte hypothalamo-hypophysaire
L’insuffisance thyréotrope est beaucoup plus rare que l’hypothyroïdie primaire, elle constitue moins de 5 % des hypothyroïdies. Elle s’inscrit souvent dans un contexte de pathologie hypophysaire (cf. infra « III. Étiologie ») qui aide au diagnostic. C’est une situation rarement observée en pratique médicale courante. Dans ce cas :
- la T4L est toujours basse (inférieure à la partie basse de la normalité) ;
- la TSH est, quant à elle :
- soit basse ou normale, en tout cas inadaptée à la valeur basse de T4L (ce qui témoigne de l’origine hypophysaire) ;
- soit légèrement élevée (mais inférieure à 10-12 mUI/l) : dans ce cas, la TSH est immunoréactive (donc dosable) mais biologiquement inactive ; elle contraste avec une T4L franchement basse. Ce tableau biologique évoque plutôt une atteinte hypothalamique.
Le diagnostic d’insuffisance thyréotrope repose donc sur le dosage du couple T4L-TSH.
En effet, une TSH normale ou faiblement élevée (4 à 10 mUI/l) peut faire faussement conclure à une hypothyroïdie primaire fruste si la T4L n’est pas dosée — en cas d’insuffisance thyréotrope, la T4L sera basse ; alors qu’en cas d’hypothyroïdie fruste infraclinique, elle sera normale.
Sémiologie de l’hypothyroïdie
1. Symptômes généraux de l’hypothyroïdie
La séméiologie de l’hypothyroïdie est fonction de sa profondeur, de son ancienneté et de son origine (périphérique ou centrale).
L’hypothyroïdie fruste est la forme la plus fréquente de nos jours. Les symptômes sont modestes ou absents.
La sémiologie de l’hypothyroïdie profonde, rarement rencontrée de nos jours, comporte :
- un syndrome d’hypométabolisme : asthénie physique et psycho-intellectuelle, somnolence, hypothermie, frilosité acquise, constipation acquise (à différencier de symptômes anciens), bradycardie, prise de poids modeste contrastant parfois avec une perte d’appétit ;
- une atteinte cutanée et des phanères (figures 14.1 et 14.2) : la peau est pâle ou jaunâtre (carotinodermie par baisse de transformation du carotène en vitamine A), sèche et squameuse, dépilée (axillaire, pubienne, queue des sourcils), la transpiration est diminuée, les cheveux sont secs et cassants, les lèvres peuvent être cyanosées ;
- un myxœdème cutanéomuqueux : la peau est infiltrée et épaissie, en particulier au niveau :
- de la face dorsale des mains (syndrome du canal carpien) et des pieds, des paupières (le matin au réveil surtout) et de l’ensemble du visage, pouvant donner un aspect de « faciès lunaire » ;
- laryngée (voix rauque), de la trompe d’Eustache (hypoacousie), de la langue (macroglossie et ronflements) ;
- une atteinte neuromusculaire :
- un enraidissement, des crampes et myalgies ;
- plus rarement : tendinites, arthralgies, neuropathies périphériques, syndrome cérébelleux ;
- un retentissement endocrinien :
- une galactorrhée, rare (hyperprolactinémie possible en cas d’hypothyroïdie primaire profonde, avec TSH > 50 mUI/l, mais en fait très rare) ;
- des troubles des règles (oligoménorrhée, ménorragies, anovulation) ;
- des troubles de la libido.
Figure 14.1
Hypothyroïdie profonde. (Source: CEEDMM, 2019).
Figure 14.2
Patient hypothyroïdien. (Source: CEEDMM, 2019).
2. Formes cliniques
Les formes compliquées sont rares, le diagnostic est souvent fait précocement lors d’un dosage systématique de TSH.
A. Formes cardiovasculaires
Il peut s’agir :
- d’une atteinte fonctionnelle :
- modification de l’activité et du métabolisme du muscle cardiaque : bradycardie sinusale, diminution de la force contractile (baisse de l’action chronotrope et inotrope positive) ;
- insuffisance cardiaque et troubles du rythme ventriculaire (rarement) ;
- d’une infiltration : épanchement péricardique (bruits du cœur assourdis à l’auscultation, cardiomégalie sur la radiographie thoracique, microvoltage et troubles diffus de la repolarisation sur l’ECG) ; l’échographie cardiaque permet de confirmer le diagnostic ; l’épanchement péricardique s’accompagne d’un épanchement pleural ou péritonéal ;
- d’une coronaropathie : l’hypothyroïdie favorise l’athérome coronarien, entre autres par l’hypercholestérolémie induite (élévation du LDL-cholestérol) ; les symptômes d’insuffisance coronarienne peuvent se démasquer lors de l’institution du traitement substitutif, qui sera donc prudent chez le sujet fragilisé.
B. Formes neuromusculaires et neuropsychiques
Il peut être observé :
- un état dépressif, un syndrome confusionnel ou une démence, plus fréquents chez le sujet âgé ;
- une myopathie proximale (CPK élevées) ;
- des apnées du sommeil.
C. Coma myxoedémateux
De nos jours, le coma myxœdémateux est rare. Il survient en cas d’hypothyroïdie primaire profonde (TSH > 50 mUI/l, T4L effondrée), ancienne, volontiers en période hivernale et est favorisé par une agression (infection, chirurgie, traitement sédatif ou antidépresseur). Il se traduit par un coma calme hypotonique et hypothermique, associé à avec bradycardie, une bradypnée, une hypotension ; les réflexes ostéotendineux sont lents et décomposés ; il n’y a pas de signe de localisation neurologique. L’hyponatrémie (de dilution) est constante. Le pronostic est sévère.
3. Palpation de la glande thyroïde
Les caractéristiques cliniques de la palpation de la glande thyroïde dépendent de l’étiologie de l’hypothyroïdie. La thyroïde peut être augmentée de volume (maladie de Hashimoto) ou à peine palpable (thyroïdite atrophique). Elle est souvent ferme et hétérogène, pseudonodulaire (maladie auto-immune thyroïdienne, Hashimoto).
4. Cas particulier: hypothyroïdie durant la grossesse
A. Complications maternelles
L’hypothyroïdie non supplémentée durant la grossesse peut occasionner une hypertension artérielle, une prééclampsie, une fausse couche, une hémorragie du post-partum.
B. Complications fœtales
Au premier trimestre de la grossesse, la thyroïde fœtale n’est pas fonctionnelle ; le développement du système nerveux fœtal est donc dépendant des hormones maternelles durant cette période. Ainsi, l’hypothyroïdie maternelle peut engendrer des troubles du développement neuro-intellectuel de l’enfant (même en cas d’hypothyroïdie maternelle fruste) ; une hypotrophie est également possible.
C. Particularités biologiques de la femme enceinte
Au premier trimestre d’une grossesse normale, la TSH est abaissée (en raison de l’action « TSH-like » de l’hCG) et la T4L souvent à la limite supérieure de la normale. Dans un second temps, alors que la TSH se normalise, la T4L peut baisser et rester basse durant toute la durée de la grossesse. Ce profil biologique (TSH normale et T4L basse) peut faire conclure à tort à une insuffisance thyréotrope. Comme toujours et surtout pendant la grossesse, le diagnostic d’hypothyroïdie primaire repose sur une élévation de la TSH.
5. Anomalies biologiques non spécifiques
A. Anomalies hématologiques
L’hypothyroïdie peut être associée à une anémie normocytaire et normochrome, plus rarement macrocytaire. Lorsqu’elle est macrocytaire, l’anémie est alors en général le fait d’une maladie de Biermer associée, dans le cadre d’une polyendocrinopathie auto-immune. Une maladie de Biermer doit être suspectée si la macrocytose ne régresse pas avec le traitement de l’hypothyroïdie.
B. Anomalies ioniques et métaboliques
Ces anomalies sont les suivantes :
- une hypercholestérolémie (élévation du LDL-cholestérol), qui est quasi constante en cas d’hypothyroïdie patente ;
- une hypertriglycéridémie (VLDL), plus rare, par diminution de la dégradation des lipoprotéines ;
- une augmentation des enzymes musculaires (CPK) par infiltration des fibres musculaires, avec parfois augmentation des ASAT.
Etiologie des hypothyroïdies
1. Etiologie de l’hypothyroïdie primaire (tableau 14.1)
Tableau 14.1
Etiologie des hypothyroïdies. (Source: CEEDMM, 2019).
Thyroïdites lymphocytaires:
– thyroïdite atrophique – thyroïdite de Hashimoto – thyroïdite du post-partum |
Iatrogènes:
– post-iode radioactif – post-radiothérapie – traitements médicamenteux – antithyroïdiens de synthèse |
Congénitale:
– ectopie et athyréose – anomalie de l’homonosynthèse |
Insuffisance thyréotrope |
Syndrome de résistance à la TSH |
Thyroïdite de Riedel
Thyroïdite de De Quervain |
Carence en iode |
Inflitration métastatique |
A. Thyroïdites auto-immunes, ou thyroïdites chroniques lymphocytaires (+++)
a) Thyroïdite de Hashimoto
La thyroïdite de Hashimoto se caractérise par un goitre ferme et irrégulier et la présence d’anticorps anti-thyroperoxydase (anti-TPO) circulants, à des taux qui peuvent être très élevés. Très rarement, en cas de négativité des anticorps anti-TPO, la présence d’anticorps anti-thyroglobuline (anti-Tg) permet d’affirmer le diagnostic.
Elle est due à une infiltration lymphocytaire du parenchyme thyroïdien secondaire à une réaction auto-immune survenant sur un terrain génétique particulier et est probablement favorisée par des facteurs environnementaux (mal connus). Elle peut être isolée ou s’intégrer dans le contexte d’une polyendocrinopathie auto-immune, de type 2 (fréquemment associée au diabète et/ou au vitiligo et/ou à la maladie de Biermer) bien plus souvent que de type 1 (dont les principales maladies sont l’hypoparathyroïdie et l’insuffisance surrénale lente).
Initialement euthyroïdienne et asymptomatique (TSH normale), la thyroïdite évolue au cours du temps vers l’hypothyroïdie par destruction progressive des thyréocytes (élévation progressive de la TSH).
Au cours de l’évolution d’une thyroïdite, la croissance rapide du goitre ou d’une zone pseudonodulaire doit faire évoquer un lymphome — qui ne complique toutefois que moins de 1 % des thyroïdites auto-immunes.
Une échographie thyroïdienne ne sera réalisée qu’en présence de nodule à la palpation cervicale. L’aspect échographique habituel des thyroïdites est celui d’un goitre globalement hypoéchogène et hétérogène ou qui contient des zones hyperplasiques pseudonodulaires hyperéchogènes (figure 14.3). La vascularisation est hétérogène.
La scintigraphie thyroïdienne ne doit pas être réalisée.
Figure 14.3
Aspect échographique d’une thyroïdite auto-immune: a. coupe transversale; b. coupe sagittale. (Source: CEEDMM, 2019).
b) Thyroïdite auto-immune du post-partum
Elle présente les mêmes mécanismes auto-immuns avec souvent un petit goitre.
Elle se traduit par une phase de thyrotoxicose initiale transitoire (vers les 2 mois post-partum), qui peut passer inaperçue, puis l’évolution se fait vers l’hypothyroïdie (3e au 6e mois post-partum). L’hypothyroïdie est habituellement transitoire et résolutive dans l’année, mais peut être définitive. La thyroïdite du post-partum est souvent non diagnostiquée, les symptômes qu’elle occasionne étant attribués aux conséquences de la grossesse et au manque de sommeil. Elle concerne 5 % des grossesses.
B. Thyroïdites iatrogènes
Elles sont souvent « silencieuses » mais peuvent être douloureuses.
Elles sont secondaires à une réaction inflammatoire induite par des antécédents anciens de radiothérapie cervicale ou, surtout, la prise de certains médicaments comme :
- les traitements des cancers par anti-tyrosine kinase ou par immunothérapies et check-point inhibiteurs ;
- les traitements iodés : amiodarone, produits de contraste iodés, iode radioactif : une thyroïdite peut survenir plusieurs années après le traitement d’une hyperthyroïdie ou d’un goitre, d’où la nécessité d’un dosage annuel de TSH ;
- la radiothérapie cervicale : une thyroïdite peut également survenir plusieurs années après une radiothérapie pour cancer du larynx ou lymphome, d’où la nécessité d’un dosage annuel de TSH ;
- les interférons : hépatites virales (+++), sclérose en plaques… (actuellement moins utilisés) ;
- le lithium : il entraîne rarement une hypothyroïdie mais fréquemment un goitre.
C. Autres causes d’hypothyroïdie
- La carence iodée sévère est une étiologie fréquente en zone endémique : elle occasionne une hypothyroïdie sévère et profonde associée à un retentissement neurocognitif majeur (« crétinisme goitreux ») et un goitre, parfois monstrueux.
- Hypothyroïdie congénitale:
En France, l’hypothyroïdie néonatale est systématiquement dépistée à la naissance ; elle représente un cas pour 3 500 des naissances. Cependant, la fréquence a augmenté sur les dernières décennies, principalement en raison d’une évolution du seuil de TSH, pour atteindre un cas pour 2 500 naissances sur les dernières années.
Le dépistage néonatal de l’hypothyroïdie congénitale est réalisé de manière systématique dans les heures suivant la naissance, par ponction capillaire au niveau du talon : quelques gouttes de sang sont déposées sur papier buvard pour mesure de la TSH. Seules les hypothyroïdies primaires sont dépistées ainsi.
Une information claire et compréhensible doit être donnée aux parents.
Les principales causes d’hypothyroïdies congénitales sont les dysgénésies thyroïdiennes (athyréose et thyroïde ectopique) et les hypothyroïdies avec « glande en place » (hypoplasie de la thyroïde ou goitre par trouble de l’hormonogenèse).
Avant l’ère du dépistage, cette affection était responsable, en l’absence de traitement, d’un retard psychomoteur important et irréversible, et d’une ostéodystrophie avec retard de croissance.
Depuis le dépistage, les enfants sont vus à l’âge de quelques jours et la clinique de l’hypothyroïdie est alors discrète : ictère prolongé, constipation, hypotonie, pleurs rauques, difficulté à la succion, fontanelles larges (en particulier la postérieure), hypothermie.
D. Démarche diagnostique devant une hypothyroïdie
Elle est résumée dans le tableau 14.2.
Tableau 14.2
Démarche diagnostique devant une suspicion d’hypothyroïdie primaire. (Source: CEEDMM, 2019).
Examen de 1ère intention | TSH |
Examens de 2ème intention | T4 libre: détermine la profondeur de l’hypothyroïdie
Examens à visée étiologique: – anticorps anti-TPO (si négatifs: anticorps anti-Tg) – échographie: indiquée seulement en cas de présence de nodule de la thyroïde |
Examens inutiles | T3 libre (dernière hormone à diminuer)
Thyroglobuline (utile seulement pour le diagnostic de certaines hypothyroïdies congénitales) Cholestérol: inutile au départ et à réserver une fois le patient traité, sauf pour discuter d’un éventuel traitement d’une hypothyroïdie « fruste » (voir « Traitements ») Scintigraphie thyroïdienne |
2. Etiologie de l’insuffisance thyréotrope
Les principales étiologies de l’insuffisance thyréotrope sont les suivantes :
- la compression de la région hypothalamo-hypophysaire par une tumeur : adénome hypophysaire le plus souvent, craniopharyngiome, méningiome… (cf. Item 242 – Adénome hypophysaire) ;
- les séquelles post-chirurgicales ou post-radiothérapie de tumeurs de la région hypothalamo-hypophysaire ;
- les séquelles de méningite, de traumatisme crânien, d’hémorragie méningée, d’apoplexie hypophysaire, de nécrose hémorragique hypophysaire du post-partum (syndrome de Sheehan), d’hypophysite lymphocytaire (souvent dans le post-partum) ;
- génétiques.
Le diagnostic étiologique est orienté par l’IRM, qui est à réaliser systématiquement.
En fait, l’insuffisance thyréotrope est rarement isolée et c’est souvent devant un syndrome tumoral de la région sellaire, après traitement d’une maladie hypothalamo-hypophysaire ou devant des symptômes évocateurs d’hypopituitarisme, qu’est découverte une insuffisance thyréotrope.
Traitements
1. Moyens et objectifs thérapeutiques
Le traitement repose sur l’emploi de T4, commercialisée sous forme de lévothyroxine (L-T4) : Lévothyrox®, Euthyrox®, L-Thyroxin® Henning, Thyrofix® ou TCaps®, comprimés à 25, 50, 75, 100, 125, 150, 175, 200 ?g. Dans de rares indications, il est possible d’employer la L-Thyroxine® solution buvable (1 goutte = 5 ?g) (rarement utilisée chez l’adulte) ou solution injectable (ampoule de 200 ?g) — en cas de coma myxœdémateux ou d’impossibilité à avaler.
La T4 peut être associée à la T3 dans l’Euthyral® et la T3 peut être utilisée seule (Cynomel®) mais les indications sont devenues rares.
Les besoins en hormones thyroïdiennes sont en moyenne de 1 à 1,5 ?g/kg par jour mais ils sont fonction de la profondeur de l’hypothyroïdie.
A. Hypothyroïdie primaire
Le bon équilibre thérapeutique d’une hypothyroïdie primaire s’apprécie sur la TSH, seule. La valeur normale de TSH est inférieure à 4 mUI/l. Toutefois, la TSH se situe plutôt entre 0,4 et 2,5 mUI/l chez la majorité des personnes (95es percentiles des sujets témoins sans goitre visible ni antécédents de pathologie thyroïdienne, sans anticorps antithyroïdiens détectables et sans médicaments pouvant interférer avec la fonction thyroïdienne). Ainsi, les objectifs sont les suivants :
- en situation standard et pour une parfaite euthyroïdie : TSH entre 0,5 et 2,5 mUI/l ;
- en cas de coronaropathie non contrôlée, chez les personnes très âgées : ne pas normaliser la TSH mais la stabiliser aux alentours de 10 mUI/l, selon la tolérance ; en pratique, chez les coronariens, on traite d’abord la coronaropathie puis on normalise la TSH ;
- chez la femme enceinte, la TSH doit être inférieure à 2,5 mUI/l.
Dans tous les cas, le surdosage chronique en lévothyroxine doit être évité du fait des risques osseux et cardiovasculaires de la thyrotoxicose.
La TSH sera contrôlée 6 à 8 semaines après le début du traitement (ou 6 à 8 semaines après avoir atteint la posologie théoriquement efficace en cas de traitement progressif). La contrôler trop tôt amènerait à des augmentations trop rapides des posologies de lévothyroxine et donc à un risque de surdosage. Une fois l’objectif de TSH obtenu, elle est contrôlée à 6 mois puis annuellement.
B. Insuffisance thyréotrope
Les modalités thérapeutiques sont identiques mais la surveillance biologique différente. La TSH ne doit pas être utilisée pour surveiller et adapter le traitement. En effet, en cas d’insuffisance thyréotrope, la TSH est souvent effondrée lors d’une substitution correcte, ce qui peut induire en erreur.
La surveillance et l’adaptation du traitement reposent donc ici seulement sur le dosage de la T4L :
- pour que l’insuffisance thyréotrope soit bien substituée, la T4L doit être dans le milieu ou dans le tiers supérieur de la normale, chez un patient sans antécédent coronarien ou bien de moins de 70 ans sans facteur de risque cardiovasculaire ;
- chez un patient très âgé ou coronarien ou susceptible de l’être, la posologie initiale de lévothyroxine est de 12,5 ?g par jour à 25 ?g par jour ; elle est progressivement augmentée par paliers de 12,5 à 25 ?g toutes les 1 à 2 semaines jusqu’à l’obtention de la dose théoriquement efficace. Le risque de démasquer une coronaropathie est d’autant plus important que l’hypothyroïdie est profonde et ancienne. La surveillance doit donc être adaptée à la situation : prévenir le patient âgé ou le coronarien contrôlé qu’il doit consulter en cas de douleurs thoraciques ;
- chez le coronarien grave, faire pratiquer un ECG hebdomadaire si possible ;
- le coronarien récent ou non contrôlé sera hospitalisé pour surveillance clinique et électrographique quotidienne lors de l’institution du traitement.
Les bêtabloquants peuvent parfois être utiles associés à la lévothyroxine.
2. Situations cliniques
A. Hypothyroïdie « fruste » (infra-clinique)
En dehors de la grossesse, il est recommandé de distinguer trois situations :
- risque élevé de conversion en hypothyroïdie patente (TSH > 10 mUI/l et/ou présence d’anticorps anti-TPO) : le traitement est recommandé ;
- risque faible de conversion en hypothyroïdie patente (TSH < 10 mUI/l et absence d’anticorps anti-TPO) : il est recommandé de surveiller la TSH à 6 mois puis tous les ans ;
- risque intermédiaire de conversion en hypothyroïdie patente (TSH < 10 mUI/l mais présence d’anticorps anti-TPO, présence de signes cliniques d’hypothyroïdie, présence d’une hypercholestérolémie) : l’instauration d’un traitement peut se discuter.
En cas d’hypothyroïdie fruste, les besoins en hormones thyroïdiennes sont inférieurs et se situent entre 25 et 75 ?g par jour.
Dans le cas de la grossesse, le traitement par lévothyroxine est justifié dès lors que la TSH est ? 3 mUI/l. Son objectif est de maintenir la TSH dans la limite basse de l’intervalle de confiance (< 2,5 mUI/l).
B. Survenue d’une grossesse chez une femme hypothyroïdienne connue
Au cours du premier trimestre de la grossesse, les besoins en lévothyroxine augmentent d’environ 25 à 50 %. Les posologies doivent donc être augmentées dès le diagnostic de grossesse, puis la TSH doit être surveillée tous les mois pour la maintenir inférieure à 2,5 mUI/l.
C. Traitements intercurrents nécessitant d’augmenter la lévothyroxine
L’utilisation de certains médicaments nécessite une augmentation des doses de lévothyroxine afin de maintenir la TSH dans les objectifs. Trois mécanismes peuvent être en cause :
- interférences avec l’absorption intestinale de la T4 :
- sulfate de fer (attention chez la femme enceinte) ;
- carbonate de calcium ;
- inhibiteurs de la pompe à proton ;
- magnésium ;
- augmentation de la clairance de la T4 ;
- augmentation de la liaison des hormones thyroïdiennes à leur protéine porteuse (TBG), qui diminue la fraction des hormones circulantes libres : traitement œstrogénique (attention lors de l’instauration ou de l’arrêt d’un traitement hormonal de la ménopause).
D. Hypothyroïdie néonatale
La prise en charge repose sur la prescription quotidienne substitutive à vie de L-thyroxine, initialement à une posologie supérieure ou égale à 10 ?g/kg par jour.
La mise en route précoce du traitement (avant 12–15 jours) et à posologie adéquate (> 10 ?g/kg par jour) a transformé le pronostic de cette affection : il n’y a plus de retard mental et la croissance est normale.
E. Faut-il dépister l’hypothyroïdie acquise ?
Des recommandations ont été émises par l’HAS-SFE en 2007 (figure 14.4).
Population générale
« Il n’y a pas lieu de réaliser un dépistage systématique de l’hypothyroïdie fruste. Un dépistage ciblé est indiqué en cas de situation à risque :
- femme âgée de plus de 60 ans ayant des antécédents thyroïdiens ;
- présence d’anticorps antithyroïdiens ;
- antécédents de chirurgie ou d’irradiation thyroïdienne ou cervicale ;
- traitements à risque thyroïdien (amiodarone, lithium, interféron ou autres cytokines). »
Cas particulier de la grossesse et du post-partum
« Un dépistage ciblé est indiqué devant :
- signes cliniques évocateurs, tel un goitre ;
- contexte auto-immun, tel un diabète de type 1 ;
- contexte thyroïdien personnel ou familial : antécédents personnels ou familiaux de dysthyroïdie, d’intervention chirurgicale sur la thyroïde, notion d’élévation des anticorps antithyroïdiens. »
L’hypothyroïdie fruste pourrait être associée à une augmentation du risque d’hématome rétroplacentaire, de prématurité et de détresse respiratoire néonatale. Contrairement à l’hypothyroxinémie maternelle franche, elle n’est pas associée à une altération démontrée des fonctions cognitives ou du développement psychomoteur de l’enfant. Certaines études l’évoquent cependant, d’où la grande rigueur nécessaire chez la femme enceinte.
Figure 14.4
Recommandations pour le dépistage de l’hypothyroïdie fruste. (D’après : Hypothyroïdies frustes chez l’adulte : diagnostic et prise en charge. HAS, Société française d’endocrinologie, avril 2007.)
Points clés
– Le diagnostic de dysthyroïdie est fait par le dosage de la TSH, qui est maintenant de pratique courante.
– Les signes cliniques de l’hypothyroïdie sont nombreux, variés, non spécifiques et inconstants ; il faut donc y penser et demander « facilement » le dosage de la TSH. Les autres examens demandés en seconde intention ne sont utiles qu’au diagnostic étiologique : les anticorps anti-TPO, l’échographie.
– Le dosage de la T3L et la scintigraphie ne sont d’aucune utilité.
– Dans la thyroïdite d’Hashimoto, les taux d’anticorps anti-TPO sont souvent très élevés et on retrouve un goitre ferme, nodulaire. La présence d’autres maladies auto-immunes est à rechercher dans la famille du patient.
– La thyroïdite atrophique, après 50 ans, est une étiologie fréquente, d’évolution lente, avec présence fréquente d’anticorps anti-TPO à des taux modérés.
– L’existence de thyroïdites iatrogènes par médicaments iodés (amiodarone, etc.), après thyroïdectomie, après traitement par l’iode 131 ou radiothérapie cervicale, justifie le contrôle annuel de la TSH.
– Le traitement repose sur la lévothyroxine à visée substitutive, avec un suivi de la TSH à 4-8 semaines jusqu’à obtention de l’euthyroïdie, puis un suivi annuel.
– L’hypothyroïdie périphérique est le dysfonctionnement thyroïdien le plus fréquent. Sa prévalence est environ de 2 % de la population générale. L’hypothyroïdie est plus fréquente chez la femme que chez l’homme. Sa prévalence augmente avec l’âge surtout au-delà de 65 ans.
– L’hypothyroïdie est le plus souvent due : à une thyroïdite auto-immune (54 %), à une cause médicamenteuse (15 %), en particulier au décours d’une surcharge en iode (surtout chez les patients ayant un apport iodé suffisant).
– Le coma myxœdémateux est rare, tandis que l’hypothyroïdie subclinique (fruste) est fréquente. En revanche, l’hypothyroïdie centrale est rare et représente moins de 5 % des hypothyroïdies diagnostiquées.
– La prise en charge thérapeutique de l’hypothyroïdie subclinique a deux objectifs principaux : prévenir les conséquences néonatales chez la femme enceinte (démontré) et prévenir les risques cardiovasculaires à long terme (discuté).
Pour en savoir plus:
HAS, SFE, avril 2007. Hypothyroïdies frustes chez l’adulte : diagnostic et prise en charge.
© CEEDMM – Mai 2020