Item 243 – UE 8 – Insuffisance surrénale lente
Objectifs pédagogiques
Diagnostiquer une insuffisance surrénale aiguë et une insuffisance surrénale chronique
Identifier les situations d’urgence et planifier leur prise en charge
Plan
I. Epidémiologie et sémiologie
IV. Prise en charge thérapeutique
Epidémiologie et sémiologie
L’insuffisance surrénale est une pathologie classiquement rare (un cas pour 10 000 habitants), mais potentiellement grave en raison du risque d’insuffisance surrénale aiguë qui peut survenir à tout moment. Cette complication est létale en l’absence d’un traitement rapide et adapté.
L’insuffisance surrénale lente est une pathologie chronique, probablement sous-diagnostiquée, en particulier pour les formes secondaires à une corticothérapie prolongée. Sa prise en charge permet d’assurer au patient une qualité de vie satisfaisante et de le mettre à l’abri d’une décompensation aiguë.
Les signes cliniques et biologiques de l’insuffisance surrénale s’expliquent par le rôle des différentes hormones normalement produites par le cortex surrénalien :
- le cortisol, dont la sécrétion est stimulée par l’ACTH hypophysaire et qui exerce un rétrocontrôle négatif sur la sécrétion d’ACTH, a des points d’impact multiples, parmi lesquels :
- la stimulation de la néoglucogenèse, donc un effet hyperglycémiant ;
- la stimulation du catabolisme protidique ;
- la stimulation de la lipogenèse (viscérale et de la région faciotronculaire) ;
- l’inhibition de la sécrétion d’hormone antidiurétique ;
- l’action stimulante sur le système nerveux central ;
- l’effet anti-inflammatoire et antipyrétique ;
- la stimulation du tonus vasculaire ;
- l’effet minéralocorticoïde à forte dose ;
- l’aldostérone a une action essentiellement rénale : rétention sodée et excrétion de potassium (effet minéralocorticoïde) ; elle est sous la dépendance prépondérante du système rénine-angiotensine ; sa sécrétion est donc préservée en cas d’insuffisance surrénale haute par déficit en ACTH ;
- les androgènes surrénaliens (DHEA surtout) sont stimulés par l’ACTH.
La sécrétion de cortisol suit un rythme nycthéméral avec un nadir (minimum) entre minuit et 2 h du matin, et un pic entre 7 h et 9 h.
On distingue parmi les insuffisances surrénales lentes :
- l’insuffisance surrénale primaire (de causes surrénaliennes), à laquelle on réserve le nom de maladie d’Addison, caractérisée par un déficit qui touche à la fois le cortisol et l’aldostérone. Les signes cliniques sont marqués, en particulier l’hypotension. Il existe une perte de sel et une tendance à l’hyperkaliémie. La concentration d’ACTH plasmatique est élevée par perte du rétrocontrôle négatif, expliquant la mélanodermie (figure 16.1) — l’ACTH et la MSH qui sont produites à partir de leur molécule mère, la pro-opiomélanocortine (POMC), à fortes concentrations se lient et activent les récepteurs cutanés qui stimulent la synthèse de mélanine ;
-
l’insuffisance surrénale centrale, ou insuffisance corticotrope (causes hypophysaires, hypothalamiques, la plus fréquente étant l’arrêt d’une corticothérapie prolongée +++) : la sécrétion d’aldostérone est préservée, ce qui explique un tableau habituellement moins sévère. En l’absence de perte de sel, le collapsus est plus rare. L’hyponatrémie traduit une rétention hydrique par augmentation de la sécrétion d’ADH. L’ACTH est normale ou basse et le teint est pâle (cf. figure 16.1) (cf. Item 265 – Désordres hydroélectrolytiques).
Figure 16.1
Insuffisance surrénale chez deux femmes. À gauche : insuffisance corticotrope chronique secondaire à une tumeur hypophysaire, avec la pâleur caractéristique. Exploration hormonale de base avant traitement : cortisol plasmatique matinal : 2,4 µg/dl (N = 8–22) ; ACTH : 6 pg/ml (N = 12–55). À droite : insuffisance surrénale primitive avec la mélanodermie typique. Exploration de base : cortisol plasmatique matinal : 3,7 µg/dl (N = 8–22) ; ACTH : 492 pg/ml (N = 12–55). (Source : CEEDMM, 2019)
Signes cliniques
Il faut bien différencier l’insuffisance surrénale liée à une pathologie des glandes surrénales elles-mêmes (insuffisance surrénale primaire), de l’insuffisance corticotrope liée à un manque de production d’ACTH (atteinte hypophysaire ou hypothalamique).
Le tableau 16.1 résume les différences entre ces deux pathologies.
L’enquête étiologique sera différente ainsi que le traitement.
Tableau 16.1
Manifestations cliniques et biologiques de l’insuffisance surrénale chronique. (Source: CEEDMM, 2019.)
|
Insuffisance surrénale primaire |
Insuffisance surrénale secondaire (corticotrope) |
Etat général |
Fatigue, dépression, anorexie, perte de poids, hypotension, hypotension orthostatique |
Idem |
Peau et muqueuses |
Hyperpigmentation |
Pâleur, même sans anémie |
Troubles ioniques |
Hyperkaliémie Hyponatrémie par perte de sel |
Kaliémie normale Hyponatrémie de dilution |
Maladies ou symptômes associés |
Pathologie auto-immune associée (hypothyroïdie, vitiligo, etc.) Tuberculose Tumeurs (cancer pulmonaire, digestif, rénal, mammaire, etc.; lymphome; mélanome) Syndrome des anti-phospholipides |
Signes d’insuffisance hypophysaire Syndrome tumoral: céphalées, troubles visuels |
1. Insuffisance surrénale primaire
Le tableau peu spécifique et le début insidieux rendent le diagnostic difficile. Seule la mélanodermie est évocatrice mais elle peut être difficile à apprécier.
Parmi les manifestations, on peut trouver :
- l’asthénie physique et psychique : elle est constamment présente, augmentée au cours de la journée et à l’effort ; les symptômes de dépression sont fréquents ;
- l’amaigrissement, l’anorexie (100 % des cas également), avec toutefois conservation d’une appétence pour le sel ;
- l’hypotension artérielle (dans 90 % des cas), se manifestant au début par une hypotension orthostatique et une accélération du pouls, traduisant la déshydratation extracellulaire ;
- des nausées très fréquentes : l’apparition de vomissements, de diarrhée et de douleurs abdominales doit faire craindre l’insuffisance surrénale aiguë ;
- la mélanodermie (80 % des cas) : pigmentation prédominant sur les zones exposées au soleil, les zones de frottement, les plis palmaires et les ongles ; les mamelons, taches ardoisées sur la muqueuse buccale.
L’hypoglycémie de jeûne est rarement symptomatique chez l’adulte, sauf au cours de l’insuffisance surrénale aiguë. L’hypoglycémie, qui peut se compliquer de convulsions, est beaucoup plus fréquente chez le jeune enfant et le nourrisson.
Chez le nouveau-né, un ictère cholestatique peut révéler une insuffisance surrénale.
2. Signes biologiques
Le ionogramme peut être normal. Il peut aussi montrer une tendance à l’hyponatrémie et à l’hyperkaliémie qui doivent faire évoquer le diagnostic, ainsi qu’une fuite sodée (natriurèse augmentée).
L’hypoglycémie est rare chez l’adulte, sauf lors de la décompensation.
L’hémogramme peut montrer une anémie modérée, normochrome, normocytaire, une leucopénie et une hyperéosinophilie.
3. Particularités de l’insuffisance surrénale centrale (corticotrope)
Il n’y a pas de perte de sel car la sécrétion d’aldostérone est préservée, celle-ci ne dépendant pas de la production d’ACTH.
Les signes cliniques sont souvent moins marqués, en particulier la baisse tensionnelle et les troubles digestifs. L’asthénie peut être la seule manifestation clinique. L’état de choc est rare (mais grave).
La mélanodermie est remplacée par une pâleur (+++) (cf. figure 16.1).
Il peut s’y associer, en fonction de l’étiologie, des signes témoignant du déficit des autres hormones hypophysaires, un syndrome tumoral avec des signes de compression chiasmatique et des céphalées (cf. Item 242 – Adénome hypophysaire).
On peut observer une hyponatrémie (de dilution) mais pas d’hyperkaliémie.
L’hypoglycémie est plus fréquente en cas d’insuffisance antéhypophysaire globale et liée à la carence associée en GH.
Diagnostic
1. Diagnostic positif
Le diagnostic de certitude repose sur les dosages des hormones surrénaliennes et de l’ACTH (figure 16.2). Toutefois, il ne faut en aucun cas attendre les résultats pour débuter le traitement lorsque l’on suspecte une insuffisance surrénale. De plus, compte tenu de la disparité des techniques de dosages du cortisol, les valeurs ci-dessous sont données à titre indicatif. Elles ne doivent pas être considérées comme des valeurs seuils universelles et ne prévalent pas sur les seuils validés par les laboratoires.
Figure 16.2
Algorithme d’exploration de la fonction hypothalamo-hypophyso-surrénalienne en dehors des situations aiguës. (D’après le Consensus SFE 2015 sur l’insuffisance surrénale.)
A. Cortisolémie
Elle peut être mesurée vers 8 h du matin, au moment où la concentration est la plus haute de la journée :
- le dosage permet de conclure à une insuffisance surrénale si la cortisolémie est basse,inférieure à 50 ng/ml [5 µg/dl, 138 nmol/l] ;
- au contraire, la fonction corticosurrénalienne peut être considérée comme normale si la cortisolémie de base à 8 h est supérieure à 180 ng/ml [18 µg/dl, 500 nmol/l] ;
- dans tous les autres cas, des tests dynamiques sont indispensables.
B. Mesure de l’ACTH (+++)
La mesure d’ACTH à 8 h du matin (dans des conditions techniques de prélèvement rigoureuses) est un bon dosage pour rechercher une insuffisance surrénale primaire puisque les taux sont alors invariablement élevés (supérieurs à 100 pg/ml).
En revanche, un taux normal d’ACTH n’élimine pas une insuffisance secondaire (corticotrope).
Si l’insuffisance surrénale est établie, le taux d’ACTH est un excellent moyen de différencier une insuffisance surrénale primaire (ACTH élevée) d’une insuffisance corticotrope (ACTH normale ou basse) (+++).
C. Aldostérone et rénine
L’aldostérone est normale ou basse en position couchée et surtout en orthostatisme, et elle contraste avec une rénine élevée dans l’insuffisance surrénale primaire.
Dans l’insuffisance centrale (corticotrope), les concentrations de rénine et aldostérone sont normales.
D. SDHEA
Le SDHEA est l’androgène sécrété par le cortex surrénalien sous l’influence de l’ACTH. Sa concentration plasmatique est basse dans l’insuffisance surrénalienne, qu’elle soit primaire ou corticotrope. Sa valeur diagnostique est faible chez le sujet âgé chez lequel la concentration est physiologiquement basse.
E. Test au Synacthène®
Il consiste en une injection IM ou IV d’une ampoule de 0,25 mg de Synacthène® (tétracosactide, un analogue de l’ACTH), suivie d’un dosage de la cortisolémie à 30 minutes et/ou 1 heure.
Le test est positif si la cortisolémie au temps indiqué dépasse 18 µg/dl [500 nmol/l]. Une réponse normale élimine une insuffisance surrénale quelle que soit son origine.
L’absence de réponse lors du test au Synacthène® est caractéristique de l’insuffisance surrénale primaire (la corticosurrénale étant déjà stimulée de manière maximale par l’ACTH endogène). Par contre, le test explore de manière indirecte la possibilité d’insuffisance corticotrope. Lorsque celle-ci est installée depuis plusieurs mois, elle entraîne une atrophie du cortex surrénalien qui répondra mais de manière insuffisante lors du test (pic < 500 nmol/l). On comprend donc que le test au Synacthène® puisse être faussement normal dans les insuffisances corticotropes récentes ou partielles (10 % des insuffisances corticotropes). Dans ce cas et lorsque la suspicion clinique est forte, il faut alors compléter l’exploration par une hypoglycémie insulinique ou par un test à la Métopirone®. La réalisation de ces deux tests ne peut être effectuée qu’en milieu hospitalier spécialisé.
2. Diagnostic étiologique
A. Causes d’insuffisance surrénale primaire
a) Origine auto-immune: rétraction corticale
L’origine auto-immune concerne environ 80 % des cas chez l’adulte en France ; c’est donc, de loin, la cause la plus fréquente. Elle n’explique l’insuffisance surrénale primaire que chez 20 % des enfants et est alors diagnostiquée après 10 ans en général.
Elle est plus fréquente chez la femme que chez l’homme (sex-ratio de 3/1).
On retrouve fréquemment des antécédents familiaux de maladies auto-immunes.
La maladie d’Addison peut être isolée ou associée à d’autres maladies auto-immunes :
- thyroïdite de Hashimoto (syndrome de Schmidt) (+++) ;
- diabète de type 1 ;
- insuffisance ovarienne précoce ;
- gastrite auto-immune, éventuellement associée à une maladie de Biermer ;
- maladie cœliaque ;
- vitiligo, etc.
Deux syndromes ont été bien caractérisés :
- la polyendocrinopathie auto-immune de type 1 , de transmission autosomique récessive, liée à une mutation du facteur de transcription AIRE (hypoparathyroïdie, candidose, insuffisance surrénale et, plus rarement, hépatite, malabsorption, hypogonadisme, hypoplasie de l’émail dentaire, vitiligo, alopécie, maladie de Biermer, hypothyroïdie, diabète, maladie cœliaque, etc.) ;
- la polyendocrinopathie auto-immune de type 2 (anciennement nommée syndrome de Schmidt) associe une insuffisance surrénale et au moins une autre maladie auto-immune parmi la thyroïdite de Hashimoto, la maladie de Basedow et le diabète de type 1. Peuvent également être présentes d’autres maladies auto-immunes (myasthénie, vitiligo, gastrite auto-immune, maladie de Biermer, alopécie, etc.). Elle est souvent familiale, avec un mode de transmission autosomique dominant à pénétrance variable. Des associations avec des allèles du système HLA et d’autres gènes impliqués dans la réponse immune ont été décrites.
Des examens complémentaires peuvent être proposés :
- des autoanticorps anti-21-hydroxylase (+++) sont retrouvés dans 80 à 90 % des cas au début de l’évolution de la maladie ; ils peuvent disparaître ensuite ;
- les surrénales apparaissent atrophiques au scanner (+++) (figure 16.3
- on peut observer les signes cliniques et hormonaux d’une hypothyroïdie ou d’une autre pathologie auto-immune.
Figure 16.3
Glandes surrénales atrophiques. Le scanner des surrénales montre une surrénale droite atrophique (flèche) chez un patient atteint d’une insuffisance surrénale primaire auto-immune. (Source : CEEDMM, 2019.)
b) Tuberculose bilatérale des surrénales
Elle concerne environ 10 % des cas d’insuffisance surrénalienne primitive en Europe.
Elle est due à une localisation du BK (bacille de Koch) dans les surrénales suite à une dissémination hématogène. Elle ne devient habituellement parlante que plusieurs années après la première localisation de la tuberculose.
Le terrain est le suivant : il s’agit souvent de sujets transplantés (provenant de pays dans lesquels la tuberculose est endémique) ou immunodéprimés, avec antécédents de tuberculose et/ou une autre atteinte symptomatique de la maladie.
Le scanner montre des surrénales augmentées de taille à la phase initiale (figure 16.4a) puis atrophiées et calcifiées dans 50 % des cas (figure 16.4b).
La radiographie du thorax et le scanner thoracique montrent des signes de tuberculose, éventuellement au stade de séquelles. Un bilan des différentes localisations de la tuberculose est indispensable (cf. Item 155).
Figure 16.4
Tuberculose surrénale. a. Tuberculose surrénale en phase active initiale chez une patiente hospitalisée (amaigrissement, fatigue, avec hyponatrémie et hyperkaliémie). Le diagnostic était une insuffisance surrénale (cortisol matinal 2,9 ?g/dl (N = 7,9–22) ; ACTH : 754 pg/ml (N = 12–52)). b. Tuberculose surrénale ancienne cicatricielle avec calcifications des surrénales droite et gauche (flèches) chez un patient avec insuffisance surrénale primitive. (Source : en a, clichés du Dr. Sachdev ; CEEDMM, 2019.)
c) Au cours de l’infection par le VIH
Elle survient habituellement à un stade avancé de la maladie. Les mécanismes sont multiples :
- localisation surrénalienne d’une infection opportuniste (CMV ++, toxoplasmose, BK ou mycobactérie atypique, cryptococcose ou histoplasmose) ou d’une pathologie maligne (lymphome, etc.) ;
- mécanisme iatrogène : kétoconazole, rifampicine, etc. ;
- l’insuffisance surrénale peut également être due à une atteinte de l’hypophyse par un lymphome ou une infection à CMV, etc., ou encore due à la prise simultanée d’un corticoïde anti-inflammatoire, même à faible dose, et du ritonavir — le ritonavir est un puissant inhibiteur du cytochrome P450, notamment le CYP3A4, et agit comme potentialisateur pharmacocinétique des corticoïdes métabolisés par le cytochrome P450.
d) Autres causes surrénaliennes
Ces autres causes sont :
- iatrogènes :
- surrénalectomie bilatérale ;
- anticortisolique de synthèse (mitotane, Lysodren® ; kétoconazole, Kétoconazole HRA® ; métyrapone, Métopirone®) ;
- nécrose hémorragique (anticoagulants, etc.) ;
- métastases bilatérales : cancer du poumon, cancers digestifs, du rein, du sein ou cancers ORL, etc. Le scanner montre deux masses surrénaliennes (figure 16.5) : le primitif est le plus souvent facilement retrouvé (scanner thoracoabdominal, fibroscopie bronchique, etc.) ;
- lymphome (figure 16.6) ;
- causes vasculaires (figure 16.7) : nécrose des surrénales à l’occasion d’un état de choc, thrombose des veines surrénaliennes, hémorragie bilatérale des surrénales dans le cadre d’une méningite à méningocoque, etc.
Figure 16.5
Métastases bilatérales des surrénales (flèches). (Source : CEEDMM, 2019.)
Figure 16.6
Lymphome des surrénales. Scanner abdominal montrant de volumineuses masses surrénales bilatérales (flèches) révélatrices d’un lymphome primitif responsable d’une insuffisance surrénale primitive. (Source : CEEDMM, 2019.)
Figure 16.7
Nécrose hémorragique bilatérale des surrénales (flèches) chez une patiente traitée par eltrombopag pour un purpura thrombopénique auto-immun dans le cadre d’un lupus. (Source : CEEDMM, 2019.)
e) Chez l’enfant
L’insuffisance surrénale est rare et les causes génétiques sont de loin les plus fréquentes.
Bloc enzymatique (hyperplasie congénitale des surrénales) (+++)
C’est la cause la plus fréquente d’insuffisance surrénale chez l’enfant. Il s’agit de maladies autosomiques récessives liées à une mutation d’un gène codant une enzyme de la stéroïdogenèse. Le gène de loin le plus souvent en cause est celui codant la 21-hydroxylase (déficit en 21-hydroxylase). Le cortisol et l’aldostérone ne sont pas synthétisés normalement, d’où l’insuffisance surrénale.
Les précurseurs s’accumulent en amont du bloc et sont déviés vers la voie des androgènes, d’où une ambiguïté sexuelle chez la petite fille. Dans les formes complètes (formes classiques), le diagnostic est établi dans la période néonatale sur une déshydratation avec perte de sel et troubles digestifs (insuffisance surrénale aiguë). Le dépistage néonatal des formes classiques est systématique en France depuis 1995 (dosage de la 17-hydroxyprogestérone sur papier buvard au troisième jour de vie).
Il existe des formes partielles (formes non classiques) — l’enzyme mutée a gardé une partie de son activité —, révélées plus tardivement devant un hirsutisme et d’autres signes d’hyperandrogénie chez la femme, l’insuffisance surrénale étant partielle. Dans ces cas, l’insuffisance surrénale est absente ou partielle.
Adrénoleucodystrophie
Maladie récessive liée à l’X, elle entraîne une accumulation d’acides gras à très longue chaîne par mutation d’un gène codant un transporteur de ces molécules dans le peroxysome. Elle touche les garçons dans l’enfance ou au début de l’âge adulte. La forme de l’adulte (adrénomyéloneuropathie) constitue à l’heure actuelle la troisième cause en fréquence d’insuffisance surrénale primaire. L’adrénoleucodystrophie associe une insuffisance surrénale à des troubles neurologiques d’aggravation progressive mais d’intensité et de date d’apparition variables. L’insuffisance surrénale peut au début apparaître isolée.
B. Causes d’insuffisance corticotrope
La cause de loin la plus fréquente est l’interruption d’une corticothérapie prolongée.
Il faut habituellement une dose supraphysiologique (plus de 30 mg d’équivalent hydrocortisone, soit plus de 7 mg de prednisone, par exemple) pendant 3 à 4 semaines — en fait, il existe une grande variabilité individuelle dans la sensibilité de l’axe aux corticoïdes exogènes.
Les antécédents de corticothérapie doivent être recherchés à l’interrogatoire, en sachant que d’autres voies d’administration que la voie orale peuvent être en cause : corticothérapie percutanée, intramusculaire (formes retard +++), intra-articulaire, forme inhalée.
Au cours d’une corticothérapie, l’axe hypophyso-surrénalien est constamment freiné. Une décompensation peut survenir en cas de pathologie intercurrente ou en cas de dose < 5 mg d’équivalent prednisone (correspondant à 20 mg d’hydrocortisone) (tableau 16.2).
Tableau 16.2
Caractéristiques pharmacologiques des principaux glucocorticoïdes. (Source: CEEDMM, 2019.)
|
Demi-vie biologique |
Activité glucocorticoïde |
Hydrocortisone |
8 – 12 heures |
1 |
Prednisone |
18 – 36 heures |
4 |
Prednisolone |
18 – 36 heures |
4 |
Dexaméthasone |
36 – 54 heures |
40 |
Les autres causes sont :
- tumeur de la région hypothalamo-hypophysaire ;
- atteinte auto-immune (hypophysite) ;
- granulomatose (sarcoïdose en particulier) ;
- traumatisme ;
- chirurgie hypophysaire ;
- radiothérapie ;
- nécrose brutale à l’occasion d’un choc hypovolémique dans le post-partum (syndrome de Sheehan) (très rare).
Dans ces situations, le déficit corticotrope est rarement isolé. Il s’associe le plus souvent à une insuffisance d’autres axes hypothalamo-hypophysaires et/ou à des signes neurologiques (cf. Item 242 – Adénome hypophysaire).
Prise en charge thérapeutique
Rappelons que le traitement d’une insuffisance surrénale suspectée doit avoir débuté sans attendre le résultat des dosages hormonaux. Il est du reste parfaitement possible de débuter le traitement et de faire dans un second temps le test au Synacthène® ainsi que le dosage d’ACTH. Compte tenu de la durée de vie très courte de l’hydrocortisone, il suffit de faire les prélèvements avant la prise du matin.
La prise en charge comporte quatre volets :
- un traitement substitutif ;
- un traitement de la cause s’il y a lieu ;
- une éducation thérapeutique du patient ;
- une surveillance.
1. Traitement substitutif
Il associe :
- un glucocorticoïde : hydrocortisone (Hydrocortisone Roussel® 10 mg), 15 à 25 mg par jour, en deux à trois prises par jour, la dose la plus élevée étant donnée le matin, la suivante en début d’après-midi (deux prises), ou bien les suivantes le midi et dans l’après-midi (trois prises) ;
- avec un minéralocorticoïde : fludrocortisone (Flucortac®), 50 à 150 µg par jour en une prise.
Dans l’insuffisance corticotrope, seule l’hydrocortisone est nécessaire (+++).
2. Traitement de la cause
S’il y a lieu (tuberculose, métastases, autre infection, sarcoïdose, etc.) : cf. les Items correspondants.
3. Education thérapeutique du patient (+++)
L’éducation du patient, et de son entourage, concerne les points suivants :
- avoir sur soi les outils de sécurité (figure 16.8) :
- une carte d’insuffisance surrénale et, éventuellement, un bracelet ou un collier d’alerte ;
- des comprimés d’hydrocortisone et, en cas de déficit en minéralocorticoïdes, de fludrocortisone ;
- une boîte d’hydrocortisone injectable et le matériel pour l’injection ;
- les recommandations d’urgence (en langue étrangère en cas de voyage) ;
- régime normosodé ;
- proscrire les laxatifs et diurétiques ;
- traitement à vie (+++) — ou jusqu’à la preuve de la récupération de l’axe hypophyso-surrénalien en cas d’insuffisance corticotrope post-corticothérapie ou après l’exérèse d’un adénome cortisolique de la surrénale ou après l’exérèse d’un adénome hypophysaire corticotrope ;
- savoir identifier les situations à risque et les symptômes d’insuffisance surrénale aiguë débutante ;
- savoir adapter le traitement oral glucocorticoïde ;
- savoir administrer l’hydrocortisone par voie sous-cutanée (au-delà de deux vomissements ou de deux diarrhées en moins d’une demi-journée ou en cas de troubles de conscience, faire une injection de 100 mg d’hydrocortisone en sous-cutanée) ;
- savoir adapter le traitement aux situations particulières : chaleur, exercice physique, voyages… ;
- utiliser de façon pertinente les ressources du système de soins.
Figure 16.8
Carte d’insuffisance surrénale et pochette contenant de l’hydrocortisone injectable et le matériel pour l’injection (ainsi que la carte et des comprimés d’hydrocortisone et de fludrocortisone). (Source : CEEDMM, 2019.)
Il est conseillé d’abandonner la traditionnelle consigne « Doublez ou triplez la dose d’hydrocortisone » au profit d’une consigne personnalisée qui permettra que le patient augmente immédiatement l’hydrocortisone et qu’il en prenne le soir pour le couvrir en hydrocortisone pendant la nuit. Par exemple, pour un patient prenant d’ordinaire 1 comprimé d’hydrocortisone le matin et le midi, la consigne est : « Prendre immédiatement quelle que soit l’heure 2 comprimés, puis prendre 2 comprimés matin, midi et soir pendant 2 à 3 jours. »
4. Surveillance
La surveillance est surtout clinique (+++).
Pour adapter les doses, on se fonde sur la sensation ou non de fatigue (mais non spécifique), sur le poids, la pression artérielle (couché et debout). On recherche des signes de surdosage en hydrocortisone (gonflement et rougeur du visage, prise de poids, HTA, etc., tout particulièrement des signes osseux, métaboliques et cardiovasculaires) et de surdosage en fludrocortisone (œdème des membres inférieurs, HTA, etc.), et de sous-dosage (hypotension orthostatique, fatigue, nausées, etc.).
On peut s’aider, pour adapter la dose de fludrocortisone, du dosage de la rénine (élevée en cas de sous-dosage, indétectable ou dans les valeurs basses de la normale en cas de surdosage), l’impression clinique étant toutefois prépondérante. En revanche, il est inutile de mesurer la cortisolémie ou l’ACTH pour adapter la dose d’hydrocortisone (les taux plasmatiques de cortisol seraient très bas avant la prise, reflétant la production endogène, et très hauts pendant quelques heures après la prise du comprimé ; l’ACTH ne se normaliserait qu’en cas de surdosage important).
Biologiquement, il faut vérifier la normalité du ionogramme sanguin.
Points clés
– L’insuffisance surrénale est définie par un manque d’hormones surrénaliennes (glucocorticoïdes, minéralocorticoïdes).
– Il s’agit d’une situation qui peut se décompenser à tout moment sous forme d’insuffisance surrénale aiguë (urgence vitale).
– On distingue : l’insuffisance surrénale primaire par atteinte primitive des surrénales, l’insuffisance corticotrope par manque d’ACTH.
– Le tableau clinique et biologique de l’insuffisance surrénale chronique primaire est trompeur car il est très progressif :
-
asthénie, physique, psychique, sexuelle, maximale le soir (+++) ;
-
anorexie, sauf pour le sel ;
-
amaigrissement ;
-
mélanodermie, maximale sur les zones découvertes ;
-
hypotension ;
-
troubles digestifs, tels que nausées, vomissements, diarrhée, douleurs abdominales (attention à la décompensation aiguë) ;
-
hyponatrémie de déplétion, hyperkaliémie (+++) ;
-
en cas d’origine hypophysaire : hypotension moins marquée, pâleur, hyponatrémie de dilution, pas de perte de sel ni d’hyperkaliémie (fonction minéralocorticoïde conservée).
– Diagnostic (effectuer les prélèvements veineux en vue des dosages hormonaux ultérieurs puis traiter sans attendre les résultats) :
-
insuffisance surrénale primitive : cortisolémie basse à 8 h ; ACTH haute ; aldostérone basse et rénine haute ; test au Synacthène® : réponse insuffisante du cortisol ;
-
insuffisance corticotrope : cortisolémie et ACTH basses à 8 h ; aldostérone et rénine normales ; test au Synacthène® : réponse insuffisante du cortisol (10 % de faux positifs).
– Causes les plus fréquentes :
-
insuffisance surrénale : auto-immune (80 %) : femme (3/1), terrain personnel et familial de maladies auto-immunes (hypothyroïdie, diabète de type 1, etc.), petites surrénales au scanner et anticorps anti-21-hydroxylase positifs ; tuberculose (10 %) ; adrénomyéloneuropathie ; immunodéprimé (VIH ++, diabétique) ; transplanté, antécédent de tuberculose ; surrénales calcifiées, signes radiographiques de tuberculose ; métastases surrénaliennes ; autre infection du VIH ; blocs enzymatiques ;
-
insuffisance corticotrope : corticothérapie (+++) ; adénome ou autre tumeur hypophysaire ; signes d’insuffisance antéhypophysaire, céphalées, troubles visuels ; nécrose hypophysaire ou hypophysite (post-partum).
– Traitement de l’insuffisance surrénale chronique :
-
hydrocortisone (glucocorticoïde) ;
-
fludrocortisone (minéralocorticoïde) (inutile en cas d’insuffisance corticotrope).
– Education du patient:
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avoir sur soi les outils de sécurité : une carte d’insuffisance surrénale et, éventuellement, un bracelet ou un collier d’alerte ; des comprimés d’hydrocortisone et, si déficit en minéralocorticoïdes, de fludrocortisone ; une boîte d’hydrocortisone injectable et le matériel pour l’injection ; les recommandations d’urgence en langue étrangère si voyage ;
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régime normosodé ;
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proscrire les laxatifs et diurétiques, ainsi que le millepertuis ; éviter la réglisse et le jus de pamplemousse ;
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traitement à vie (ou jusqu’à la preuve de la récupération de l’axe hypophyso-surrénalien en cas d’insuffisance corticotrope post-corticothérapie ou après l’exérèse d’un adénome cortisolique de la surrénale ou après l’exérèse d’un adénome corticotrope) ;
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savoir identifier les situations à risque (gastro-entérite, infection, fracture…), les symptômes d’insuffisance surrénale aiguë débutante ;
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savoir adapter le traitement oral glucocorticoïde (par exemple, pour un patient prenant d’ordinaire 1 comprimé d’hydrocortisone le matin et le midi, prendre immédiatement quelle que soit l’heure 2 comprimés, puis prendre 2 comprimés matin, midi et soir pendant 2 à 3 jours) ;
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savoir administrer l’hydrocortisone par voie sous-cutanée (au-delà de deux vomissements ou de deux diarrhées en moins d’une demi-journée ou en cas de troubles de conscience, faire une injection de 100 mg d’hydrocortisone en sous-cutanée) ;
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savoir adapter le traitement aux situations particulières : chaleur, exercice physique, voyages… ;
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utiliser de façon pertinente les ressources du système de soins.
Pour en savoir plus:
© CEEDMM – Mai 2020