Poly2016-Item 124 – UE 5 Ostéopathies fragilisantes
Avertissement CEEDMM : sont seulement traitées dans ce chapitre les ostéopathies secondaires à des causes endocriniennes
Objectifs pédagogiques
Diagnostiquer une ostéoporose, évaluer le risque fracturaire.
Argumenter l’attitude thérapeutique devant une ostéoporose et planifier le suivi du patient.
(Diagnostiquer une ostéomalacie et connaître les principes du traitement d’une ostéomalacie carentielle.)
I. Définition
L’ostéoporose est définie comme une fragilité excessive du squelette, liée à une diminution du contenu minéral osseux et à des altérations de la microarchitecture osseuse qui augmentent le risque de fracture.
La relation établie entre la baisse de la densité minérale osseuse (DMO) et l’augmentation du risque de fracture a conduit, en 1994, à une définition « densitométrique » de l’ostéoporose, sur la base d’un T-score inférieur à – 2,5 écarts types de la valeur moyenne de l’adulte jeune. Il faut remarquer que cette définition n’est valable que pour les femmes et pour une mesure de densité osseuse réalisée par absorptiométrie biphotonique à rayons X, ou DXA (Dual energy X-ray Absorptiometry), sur les sites osseux axiaux (vertèbres, extrémité supérieure du fémur, col du fémur) (figure 10.1).


II. Classification
L’ostéoporose est une pathologie à prépondérance féminine, mais n’épargne pas les hommes, chez lesquels elle représente un problème relativement commun. Les ostéoporoses sont divisées en deux catégories.
A. Ostéoporose primitive, ou commune
Elle a été classiquement subdivisée chez la femme en ostéoporose post-ménopausique (type I) et en ostéoporose sénile (type II). Actuellement, cette subdivision tend à disparaître compte tenu du rôle de la carence oestrogénique même dans l’ostéoporose dite sénile de la femme âgée.
B. Ostéoporoses secondaires
Elles peuvent relever d’étiologies multiples (tableau 10.1). Les principales endocrinopathies entraînant un risque accru d’ostéoporose sont d’abord celles qui exposent à une diminution de la production des stéroïdes sexuels. Tout état d’hypogonadisme, quel que soit son mécanisme, représente donc un facteur de risque d’ostéoporose. Cependant, de nombreuses autres hormones sont impliquées dans la régulation du remodelage osseux ou, de façon plus globale, dans l’homéostasie du calcium. Des anomalies de leur production peuvent favoriser le développement d’une ostéoporose. C’est le cas des hyperthyroïdies, de l’hypercortisolisme, de l’hyperparathyroïdie, qui constituent les causes endocriniennes les plus fréquentes des ostéoporoses secondaires.
Des données récentes objectivent une augmentation du risque fracturaire chez les patients atteints d’un diabète de type 1, de même que chez ceux porteurs d’un diabète de type 2.
Les nouveaux moyens d’évaluation de l’atteinte osseuse (DXA, marqueurs biologiques du remodelage osseux) et le développement des nouveaux traitements anti-ostéoporotiques ont contribué à améliorer le diagnostic précoce et la prise en charge des conséquences osseuses des maladies endocriniennes.




III. Étiologie
A. États d’hypogonadisme (hors ménopause)
La carence oestrogénique provoque une augmentation de l’ostéoclastogenèse et l’activation des ostéoclastes, qui augmentent la résorption osseuse et donc la perte osseuse. La gravité de l’atteinte osseuse dépend de l’intensité et de la durée de l’hypogonadisme.
Elle est d’autant plus marquée que l’hypogonadisme survient précocement, au cours de la période pubertaire, période d’acquisition du capital osseux. De plus, la présence d’autres facteurs de déminéralisation, tels que les carences nutritionnelles, contribue à aggraver l’atteinte osseuse de certains hypogonadismes.
1. Anorexie mentale
– Physiopathologie de l’atteinte osseuse
Il s’agit d’une ostéoporose à bas niveau de remodelage. Les marqueurs biochimiques de la formation osseuse (isoenzyme des phosphatases alcalines, ostéocalcine) sont le plus souvent diminués. Les marqueurs de la résorption (CTx, NTx) sont normaux, parfois élevés (figure 10.2).
L’origine de l’ostéoporose est multifactorielle même si toutes les études s’accordent à penser que la carence oestrogénique reste le principal facteur de perte osseuse.
L’aménorrhée hypothalamique (LH et FSH basses mais réactivables lors du test au GnRH exogène) est réversible, parfois variable dans le temps et très corrélée avec les variations de poids, en particulier de la masse grasse du tronc.
À côté de la carence oestrogénique, les troubles nutritionnels à l’origine d’une diminution de l’IGF-1, d’une diminution de la sécrétion de leptine (diminution de la masse grasse), de carences calciques et d’une hypoprotidémie, jouent un rôle aggravant.
Un hypercortisolisme est également souvent retrouvé (cortisolurie en moyenne multipliée par 2), malgré l’absence d’apparence cuschingoïde en l’absence de substrat graisseux disponible. La peau est fine, l’amyotrophie proximale marquée. Cet hypercortisolisme est également d’origine hypothalamique (tests au CRH et au RU486 positifs) et réversible. Il existe une corrélation inverse entre une densité minérale basse et une cortisolurie augmentée.


– Masse osseuse et risque fracturaire
L’ostéoporose est fréquente dans l’anorexie mentale. Une ostéopénie (T-score compris entre – 1 et – 2,5) est retrouvée dans 50 à 95 % des cas et une ostéoporose (T-score < – 2,5) dans 25 à 40 % des cas selon les séries (figure 10.3).
Le risque de fracture est globalement multiplié par 7, avec des fractures du col du fémur même chez de très jeunes femmes. L’atteinte osseuse est d’autant plus importante qu’elle survient chez un sujet jeune.
De même, l’importance du déficit nutritionnel et la persistance d’un faible poids corporel sont des critères de gravité.
– Prévention et traitement
Le traitement doit reposer tout d’abord sur la prise en charge multidisciplinaire de l’anorexie mentale proprement dite par différents spécialistes : psychiatre, endocrinologue, nutritionniste.
La substitution oestrogénique doit être la règle, le plus rapidement possible et lorsque le diagnostic est établi. En pratique, cette oestrogénisation repose le plus souvent sur l’utilisation d’une pilule oestroprogestative, le traitement hormonal de la ménopause étant plus difficilement accepté par les jeunes filles. L’observance est également souvent problématique.
Cette oestrogénisation n’a cependant qu’un effet limité sur la DMO mais permet de limiter la perte osseuse. Le gain pondéral n’est associé à une amélioration de la DMO que s’il permet un retour des cycles menstruels spontanés.
En cas de persistance de l’aménorrhée, la prise en charge nutritionnelle, de même que l’apport calcique n’ont que peu d’impact sur le niveau de la DMO.
Des essais thérapeutiques récents avec des bisphosphonates (risédronate, alendronate) ont permis de montrer des gains significatifs de l’ordre de 4 à 5 % au terme de 9 à 12 mois de traitement. L’utilisation de ces molécules qui sont de puissant anti-ostéoclastiques apparaît néanmoins peu logique dans cette situation clinique caractérisée par un hypo-remodelage osseux. Elle soulève également la question de leur utilisation chez des jeunes femmes en âge de procréer, compte tenu de leur impact potentiel sur la minéralisation foetale en cas de grossesse.
L’utilisation d’agents ostéoformateurs, en particulier du tériparatide, pourrait représenter une perspective plus intéressante : les premiers travaux montrent une augmentation significative de la masse osseuse.


2. Activité physique intensive
– Physiopathologie de l’atteinte osseuse
Les femmes sportives soumises à une activité physique trop intense peuvent développer une hypooestrogénie d’origine hypothalamique (cf. item 40 au chapitre 3 « Aménorrhée »). Les facteurs retrouvés dans l’anorexie mentale (hyperactivité, conduites alimentaires restrictives) sont souvent présents.
Les facteurs conditionnant l’atteinte osseuse sont :
- le type et l’importance de l’activité sportive : marathon, danse classique (jusqu’à 60 % d’aménorrhée), demi-fond, triathlon, gymnastique, cyclisme (alors que la natation et les sports collectifs sont moins en cause) ;
- l’importance et la fréquence des troubles du cycle menstruel ;
- des apports alimentaires réduits ou insuffisants.
– Masse osseuse et risque fracturaire
L’atteinte osseuse est de répartition inégale du fait de l’intrication des facteurs endocriniens et mécaniques sur le remodelage osseux. Les contraintes mécaniques stimulent l’ostéoformation sur des sites porteurs ; à l’inverse, l’hypooestrogénie est responsable d’une résorption osseuse généralisée, bien qu’à prédominance rachidienne.
Il existe également une plus grande fréquence des fractures de fatigue, qui sont favorisées par la diminution de la DMO.
L’ostéoporose est parfois sévère et multifracturaire, conduisant à l’arrêt des activités sportives.
Elle apparaît réversible avec le retour à la reprise spontanée des cycles menstruels, souvent lors de la réduction de l’activité physique.
– Prévention et traitement
Il est nécessaire d’informer l’athlète de l’impact potentiel des troubles du cycle sur le squelette.
Si une aménorrhée s’installe et si la diminution de l’activité physique n’est pas possible, la mise en route d’un traitement par les oestroprogestatifs représente une solution de choix. L’athlète doit également être sensibilisé vis-à-vis des déséquilibres nutritionnels et de l’importance de lutter contre les carences d’apport.
3. Pathologies hypophysaires
Toute lésion hypophysaire (tumorale, infiltrante, iatrogène, traumatique, etc.) provoquant une atteinte (réversible ou irréversible) de la fonction gonadotrope peut avoir des conséquences osseuses. Les hyperprolactinémies, d’origine tumorale (micro- et macroprolactinomes) ou fonctionnelle, représentent les causes les plus fréquentes d’aménorrhée hypophysaire.
– Physiopathologie de l’atteinte osseuse
La perte osseuse est liée à l’hyperactivité ostéoclastique secondaire à la carence oestrogénique et sera variable en fonction de l’intensité et de la durée de l’hypooestrogénie. En dehors de leur impact sur l’axe gonadotrope, les atteintes hypophysaires, en particulier les tumeurs hypophysaires autres que les prolactinomes (adénomes gonadotropes, à hormone de croissance, adénomes non sécrétants, etc.), n’ont pas d’impact propre sur le remodelage osseux, à l’exception des adénomes corticotropes dont l’impact osseux est secondaire à l’hypercortisolisme : maladie de Cushing (cf. « Adénome hypophysaire », item 242 au chapitre 19).
– Masse osseuse et risque fracturaire
Sur le plan clinique, l’installation d’une aménorrhée doit conduire à évaluer l’impact osseux, qui concerne surtout l’os trabéculaire (rachis thoracolombaire). La perte osseuse est souvent rapide, de l’ordre de 5 à 8 % par an, d’autant que l’hypogonadisme survient chez une femme jeune. Les possibilités de récupération osseuse sont très variables en fonction des capacités de récupération de l’axe gonadotrope (reprise spontanée des cycles menstruels), de l’étiologie de l’atteinte hypophysaire, de la durée de l’aménorrhée, de l’âge et du statut osseux antérieur.
– Prévention et traitement
La prévention de la perte osseuse est fonction de la réversibilité prévisible de la pathologie hypophysaire (correction de l’hyperprolactinémie, notamment), de la durée antérieure de l’aménorrhée, de l’âge et du statut osseux sous-jacent. Chez les femmes non ménopausées, l’oestrogénothérapie sera privilégiée en première intention et sous réserve des contre-indications classiques.
En cas de contre-indication au traitement hormonal, un autre traitement (SERM, bisphosphonates) sera discuté en fonction de l’importance du risque fracturaire.
4. Hypogonadismes iatrogènes
Tous les traitements diminuant la production des oestrogènes (ou des androgènes chez l’homme) constituent des facteurs potentiels d’augmentation du risque fracturaire. C’est le cas des agonistes du GnRH, utilisés dans le cadre de pathologies utérines (endométriose, fibromes) ou prostatiques, et des inhibiteurs de l’aromatase dans le cancer du sein.
Une mesure de la DMO peut être préconisée avant ces traitements, la perte osseuse pouvant être rapide, pour permettre une prévention adaptée en fonction du niveau de risque.
À l’arrêt du traitement par les agonistes du GnRH, on observe une réversibilité de la perte osseuse d’autant plus complète qu’il s’agit de femmes jeunes et présentant initialement une DMO normale. La récupération apparaît de moins bonne qualité chez les femmes plus âgées, proche de la ménopause et/ou après plusieurs séquences de traitement, surtout si celles-ci sont rapprochées. Différents schémas thérapeutiques de « prévention » des conséquences de la carence oestrogénique ont été proposés (« add-back therapy ») : les bisphosphonates sont privilégiés pour la prévention de l’ostéoporose induite par les anti-aromatases et/ou les agonistes du GnRH en cas de cancer du sein ou de la prostate chez l’homme ; le denosumab, qui est un anticorps monoclonal humain anti-RANKL, a également démontré son efficacité pour diminuer la perte osseuse induite par ce type de traitement adjuvant chez la femme comme chez l’homme.
5. Dysgénésies gonadiques
Le syndrome de Turner est la dysgénésie gonadique féminine la plus fréquente, sa prévalence étant de l’ordre d’un cas pour 2 500 filles à la naissance (cf. item 40 au chapitre 3 « Aménorrhée »).
– Masse osseuse et risque fracturaire
Une diminution de la DMO est fréquente dans le syndrome de Turner, bien qu’elle puisse être liée en partie à la petite taille des pièces osseuses. Chez l’enfant en période prépubertaire, la densité minérale osseuse mesurée par DXA apparaît normale lorsque la valeur est corrigée pour la taille staturale. Il existerait néanmoins une diminution de plus de 1,5 écart type de la densité osseuse mesurée par scanner dans 15 à 20 % des cas, sans qu’il soit possible de déterminer s’il s’agit d’un trait phénotypique du syndrome de Turner ou du retentissement de l’hypooestrogénie prépubertaire. Au cours de l’adolescence, le déficit osseux apparaît s’accentuer du fait de l’hypogonadisme avec une augmentation du remodelage osseux, secondaire à la carence oestrogénique. Chez l’adulte non traité, l’insuffisance ovarienne accentue la perte osseuse et il existe une augmentation du risque de fracture.
– Prévention et traitement
Le traitement est avant tout fondé sur la correction de l’hypogonadisme ; l’oestrogénisation est proposée dès que le diagnostic est posé, actuellement le plus souvent en association avec un traitement à l’hormone de croissance de manière à améliorer le pronostic statural. À l’âge adulte, la poursuite d’un traitement oestroprogestatif permet la prévention de la perte osseuse.
La DMO vertébrale chez ces patientes bien traitées n’apparaît pas significativement différente de celle des sujets contrôles après ajustement pour la taille staturale. Des études par scanner périphérique ont montré la persistance d’un déficit cortical qui pourrait représenter un trait phénotypique du Turner. Il soulève néanmoins la question de l’impact de l’âge d’initiation du traitement oestrogénique, tout comme de ses modalités optimales. Quelques données suggèrent en effet que l’utilisation des oestrogènes par voie transdermique permettrait une meilleure acquisition osseuse que les oestrogènes par voie orale.
IV. Hyperthyroïdies et traitements par hormones thyroïdiennes
L’hyperthyroïdie constitue une cause classique d’ostéoporose secondaire. De nos jours, la précocité du diagnostic et l’efficacité des traitements font que la phase d’hyperthyroïdie est souvent transitoire et les signes osseux exceptionnellement révélateurs ou au premier plan.
L’hyperthyroïdie reste une des causes fréquentes d’ostéoporose secondaire, surtout chez le sujet âgé ou la femme ménopausée. Elle est souvent paucisymptomatique, ce qui justifie le dosage systématique de la TSH dans la recherche étiologique d’une ostéoporose secondaire.
Les traitements par les hormones thyroïdiennes font partie des traitements hormonaux les plus communément administrés chez la femme. Le risque osseux de ces traitements paraît cependant faible.
A. Physiopathologie de l’atteinte osseuse
Les hormones thyroïdiennes augmentent le remodelage osseux (figure 10.4). Cet effet résulte d’une augmentation du recrutement des unités élémentaires de remodelage (Bone Multicellular Unit, BMU) et de leur fréquence d’activation. Il existe une balance négative entre résorption et formation osseuse qui prédomine sur l’os cortical, où on note une augmentation du diamètre des canaux de résorption, conduisant à une accentuation de la porosité corticale et à une réduction de l’épaisseur corticale. Au niveau de l’os trabéculaire, cette hyper-résorption osseuse entraîne une diminution de l’épaisseur trabéculaire et une augmentation du risque de perforations trabéculaires.
Sur le plan cellulaire, l’effet osseux des hormones thyroïdiennes peut découler d’une action directe sur les ostéoclastes ou d’une augmentation de la production ostéoblastique de différents facteurs de croissance et/ou cytokines, qui réguleront en retour la fonction ostéoclastique.
Les mécanismes de la prépondérance corticale de l’atteinte osseuse de l’hyperthyroïdie sont encore mal expliqués. Elle pourrait être liée à l’augmentation, plus importante dans l’os cortical (fémur) que trabéculaire, de certains marqueurs géniques des ostéoclastes (phosphatase acide tartrate-résistante) et des ostéoblastes (ostéocalcine, ostéopontine, phosphatase alcaline). Des travaux récents suggèrent de plus que la TSH pourrait agir comme un élément de régulation négative du remodelage osseux.


B. Masse osseuse et risque fracturaire
Une diminution de la DMO de 10 à 20 % par rapport à des sujets de même âge et de même sexe a été rapportée dans beaucoup d’études chez les sujets hyperthyroïdiens. Cependant, la prévalence des fractures attribuables à l’hyperthyroïdie reste mal appréciée. Certaines études notent que les femmes ayant des antécédents d’hyperthyroïdie auraient tendance à présenter des fractures ostéoporotiques à un âge plus jeune, d’autres que le risque relatif de fracture de l’extrémité supérieure du fémur serait pratiquement doublé. En fait, ces études ont intéressé des patientes à une époque où le diagnostic et le traitement étaient plus tardifs qu’aujourd’hui, et il est vraisemblable qu’actuellement très peu d’hyperthyroïdies évoluent assez longtemps pour entraîner une atteinte osseuse significative. Le traitement médical ou chirurgical s’associe à une correction rapide de l’hyper-remodelage osseux et à une récupération progressive du contenu minéral osseux.
L’administration de doses élevées d’hormones thyroïdiennes, telle qu’est est réalisée dans le traitement du cancer thyroïdien différencié hormonodépendant, est susceptible d’augmenter le risque d’ostéoporose. Cependant, les dosages ultrasensibles de la TSH permettent de déterminer avec plus de facilité qu’au préalable la dose minimale d’hormones thyroïdiennes permettant de mettre au repos l’axe thyréotrope tout en n’induisant pas d’hyperthyroïdie infraclinique trop marquée.
Les études les plus récentes utilisant des méthodes de mesure plus fiables, telle la DXA, n’ont pas authentifié de diminution significative de la densité osseuse vertébrale chez les patients recevant un traitement à visée suppressive ; cependant, une atteinte fémorale modérée avec une diminution de 5 à 10 % de la densité osseuse a été parfois rapportée.
La signification clinique d’une telle diminution en termes de risque fracturaire apparaît cependant négligeable, tout au moins chez les sujets ne présentant pas de facteurs de risque additionnels. La posologie des hormones thyroïdiennes doit être adaptée au pronostic du cancer thyroïdien de manière à limiter le retentissement osseux chez les patients en rémission et à faible risque de récidive, chez qui la TSH peut être ramenée dans la moitié inférieure de la normale.
Par ailleurs, aucune étude ne documente une augmentation de l’incidence fracturaire chez les patients hypothyroïdiens traités par hormones thyroïdiennes.
C. Prévention et traitement
Même si la correction rapide de l’hyperthyroïdie limite dans la plupart des cas (notamment chez le sujet jeune) l’impact osseux des hormones thyroïdiennes, la réalisation d’un examen densitométrique permettant de documenter cette atteinte osseuse doit être préconisée. La mise en route d’un traitement de prévention de la perte osseuse n’apparaît pas nécessaire dans la majorité des cas, sauf chez les sujets âgés chez lesquels la mise en route d’un traitement de prévention, notamment par un bisphosphonate (alendronate, risédronate), doit être alors plus particulièrement recommandée.
La surveillance densitométrique des patients recevant un traitement suppressif de la fonction thyroïdienne est également justifiée, d’autant qu’il s’agit de traitements définitifs et/ou s’adressant à des femmes ménopausées ou à des patients âgés déjà déminéralisés.
La mise en route d’un traitement de prévention doit là également être envisagée chez les patients les plus à risque de fracture de l’extrémité supérieure du fémur. La présence d’une élévation importante des biomarqueurs osseux, témoignant d’un haut niveau de remodelage, peut aider à la décision thérapeutique.
V. Hypercortisolisme et corticothérapie
L’ostéoporose vertébrale est une des complications classiques d’un excès de corticoïdes, surtout chez la femme. Elle est souvent silencieuse, avant l’apparition de tassements vertébraux « en salve », et doit faire l’objet d’une prévention systématique.
A. Physiopathologie de l’atteinte osseuse
Les effets osseux des glucocorticoïdes sont complexes, résultant d’effets directs sur le tissu osseux et d’effets indirects sur l’homéostasie calcique et la production des stéroïdes sexuels (figure 10.5). Au niveau du tissu osseux, les corticoïdes diminuent la fonction et le nombre des ostéoblastes en diminuant l’ostéoblastogenèse et en favorisant leur apoptose et celle des ostéocytes, qui ont un rôle important dans la qualité de l’os. Ils favorisent par ailleurs l’activité ostéoclastique et donc la résorption osseuse par différents mécanismes, tels qu’une augmentation de la production du RANKL (facteur de l’ostéoclastogenèse) et une diminution de l’ostéoprotégérine (OPGR), inhibiteur de l’ostéoclastogenèse.
La réduction de l’absorption intestinale du calcium et l’augmentation des pertes urinaires de calcium induites par l’excès de glucocorticoïdes favorisent par ailleurs un hyperparathyroïdisme secondaire, dont les conséquences osseuses sont encore amplifiées par l’augmentation de la sensibilité des cellules osseuses à la PTH. Enfin, un taux excessif de glucocorticoïdes favorise un hypogonadisme et peut, dans certaines causes, diminuer également la production des androgènes surrénaliens.
L’ostéoporose induite par l’hypercorticisme est essentiellement une ostéoporose à bas niveau de remodelage (diminution de l’ostéocalcine et autres marqueurs de l’ostéoformation), mais avec tendance à l’hyperrésorption. De plus, au plan histomorphométrique, la diminution du volume osseux s’accompagne d’altérations de la microarchitecture trabéculaire (amincissement des travées), qui contribuent à augmenter la fragilité osseuse sur les sites osseux riches en os trabéculaire.


B. Masse osseuse et risque fracturaire
La diminution de la masse osseuse intéresse surtout les sites trabéculaires, métaboliquement les plus actifs (corps vertébraux, côtes, radius), et apparaît de façon rapide, dans la première année de l’exposition aux corticoïdes. L’intensité de la perte osseuse reste difficile à prévoir au plan individuel. Par ailleurs, la phase prépubertaire (période cruciale pour l’acquisition d’un capital minéral osseux optimal) et l’hypogonadisme sont autant de conditions qui vont aggraver l’atteinte osseuse.
Les fractures vertébrales sont fréquentes chez les sujets exposés à un excès de glucocorticoïdes et sont présentes chez 20 % à près de 80 % des sujets atteints d’un syndrome de Cushing lié à un adénome corticotrope ou à un adénome surrénalien (figures 10.6 et 10.7). Plusieurs études cas-témoins ont permis d’objectiver une augmentation du risque de fractures, surtout vertébrales mais aussi non vertébrales, chez les sujets ayant reçu une corticothérapie à partir de dose supérieure à 7,5 mg de prednisolone par jour. L’augmentation du risque fracturaire est liée à la diminution du contenu minéral osseux et aux altérations de la microarchitecture osseuse. La réversibilité de l’atteinte osseuse, après correction de l’hypercortisolisme ou arrêt de la corticothérapie, reste encore un sujet débattu en l’absence de données longitudinales suffisantes.
Cependant, plusieurs données résultant soit d’observations individuelles soit de l’étude de petits groupes de patients témoignent d’une amélioration de la densité osseuse après traitement du syndrome de Cushing, mais certains patients conservent une masse osseuse diminuée, notamment les adolescents et les patients les plus âgés.




C. Prévention et traitement
Chez les sujets devant débuter une corticothérapie, la prévention de l’ostéoporose justifie, avant le traitement, une évaluation précise du statut osseux (mesure de la DMO vertébrale et fémorale par DXA) et une recherche de tous les facteurs de risque (statut nutritionnel et vitaminocalcique, activité physique, tabagisme, hypogonadisme, etc.) pouvant être corrigés.
La dose de corticoïdes sera la plus faible possible, en donnant la préférence, chaque fois que possible, aux voies non orales et aux molécules à durée de vie courte.
Il faut proposer systématiquement une supplémentation vitaminocalcique. Les doses de calcium prescrites dépendent des apports alimentaires et, dans le syndrome de Cushing, de la calciurie, souvent élevée.
Les bisphosphonates tout comme le tériparatide ont une AMM pour le traitement de l’ostéoporose cortico-induite. Un traitement de l’ostéoporose est préconisé en cas de corticothérapie de plus de 3 mois avec des doses d’équivalent prednisone supérieure à 7,5 mg par jour si T-score < – 1,5 sur au moins 1 site.
VI. Hyperparathyroïdie primitive
(Cf. aussi « Hypercalcémie », item 266 au chapitre 27.)
L’hyperparathyroïdie primitive est une endocrinopathie fréquente, notamment chez la femme ménopausée où sa prévalence est vingt fois supérieure (21 pour 1 000) à celle observée dans la population générale (1 pour 1 000). L’incidence de l’ostéoporose est élevée, même en cas d’hyperparathyroïdie primitive asymptomatique, et serait présente, en fonction du site osseux mesuré, chez 12 à 52 % des patients. Elle doit donc être recherchée systématiquement par une mesure de la DMO par DXA, car sa présence conditionne la conduite thérapeutique à tenir, notamment l’indication chirurgicale, comme le soulignent les différentes recommandations des conférences de consensus tenues aux États-Unis et en France.
A. Physiopathologie de l’atteinte osseuse
La production continue de PTH, comme celle qui existe dans l’hyperparathyroïdie primitive, stimule l’ostéoclastogenèse et donc la résorption osseuse, en augmentant d’une part la différenciation des ostéoclastes à partir de leurs précurseurs hématopoïétiques et, d’autre part, l’activité des ostéoclastes matures. Cet effet est indirect et passe par l’ostéoblaste, qui joue un rôle pivot tant dans les actions cataboliques que dans les actions anaboliques de la PTH sur l’os. Globalement, une sécrétion élevée et continue de PTH augmente le remodelage osseux au bénéfice de la résorption osseuse, de façon prépondérante au niveau de l’os cortical, avec augmentation de la porosité et amincissement du cortex. L’os trabéculaire est en principe conservé.
B. Masse osseuse et risque fracturaire
L’hyperparathyroïdie primitive est caractérisée par une diminution de la DMO, prédominante sur l’os cortical (tiers proximal du radius, fémur) et peu ou pas marquée au niveau trabéculaire (vertèbres) (figure 10.8). On retrouve cependant souvent une diminution de la DMO tant au niveau de l’extrémité supérieure du fémur que des vertèbres dans la mesure où l’hyperparathyroïdie primitive est fréquente chez la femme ménopausée avec les effets de la carence oestrogénique qui se surajoute à ceux de la PTH.


La diminution de la masse osseuse reste souvent limitée, de l’ordre de 10 % par rapport aux valeurs normales pour l’âge, avec une évolution au plan individuel qui reste difficile à prédire.
La survenue de la ménopause va aggraver la perte osseuse et doit conduire à réévaluer la densité osseuse et le niveau du remodelage osseux. L’évolution de la masse osseuse après parathyroïdectomie est le plus souvent favorable, en particulier dans la première année qui suit la parathyroïdectomie. Une récupération partielle de la masse osseuse peut être observée, dont l’importance est fonction du type d’os (plus importante au niveau vertébral que périphérique), de la gravité de l’hyperparathyroïdie (taux de PTH et des phosphatases alcalines) et du niveau d’atteinte initiale.
L’augmentation du risque fracturaire chez les patients ayant une hyperparathyroïdie primitive reste un sujet débattu en l’absence de données concluantes. Les fractures intéressent le plus souvent les vertèbres et l’extrémité inférieure du radius, les métacarpes, mais rarement le col du fémur, ce qui pourrait sembler paradoxal du fait de la prépondérance de l’atteinte corticale de la PTH. En fait, il est possible que les effets de la PTH sur la géométrie de l’os (augmentation du diamètre osseux et donc de la résistance mécanique) expliquent une partie des résultats observés. Dans les études retrouvant un risque fracturaire accru, on note que l’augmentation du risque apparaît surtout dans les années précédant l’acte chirurgical, c’est-à-dire souvent après plusieurs années (plus de 10 ans) d’évolution de la pathologie. De même, cette augmentation du risque s’estomperait rapidement après la parathyroïdectomie (tableau 10.2), le risque redevenant comparable à celui lié à l’âge dans un délai de 2 à 10 ans.


C. Prévention et traitement
L’atteinte osseuse constitue un des éléments essentiels de décision de la conduite à tenir lorsque l’hyperparathyroïdie primitive est asymptomatique. La densité osseuse doit être mesurée par DXA sur plusieurs sites osseux (col du fémur, vertèbres, radius distal) : la constatation d’un T-score inférieur à – 2,5 est considérée comme une indication au traitement chirurgical.
Il n’existe pas actuellement de consensus sur l’utilisation des marqueurs biologiques du remodelage osseux dans l’aide à la décision thérapeutique.
Lorsque le traitement chirurgical n’est pas possible (pour différentes raisons), l’utilisation d’un agent anti-ostéoclastique (oestrogènes, raloxifène, bisphosphonates) ou de calcimimétique (cinacalcet) pourra être discutée en fonction de la situation clinique, si le risque de fracture est avéré ou s’il existe déjà des fractures. En cas de non-indication du traitement chirurgical, une simple surveillance de l’état osseux et une réévaluation périodique (1 ou 2 ans) du risque fracturaire sont conseillées.
VII. Caractéristiques des ostéoporoses chez l’homme
A. Au niveau de la définition
Il n’existe pas de valeur de T-score reconnue pour définir l’ostéoporose. Des données transversales suggèrent que des valeurs absolues de la DMO seraient associées au même niveau de risque fracturaire dans les deux sexes. Par assimilation, la définition de l’ostéoporose chez l’homme correspond à un T-score inférieur ou égal à – 2,5.
B. Au niveau épidémiologique
Parmi les fractures de l’extrémité supérieure du fémur, 25 à 30 % surviennent chez l’homme, et la prévalence des fractures vertébrales découvertes radiologiquement est similaire dans les deux sexes, affectant 10 à 12 % des individus. En revanche, la fracture du radius distal (type Pouteau-Colles) est beaucoup plus rare chez l’homme que chez la femme.
C. Au niveau étiologique
Les ostéoporoses secondaires sont plus fréquentes chez l’homme que chez la femme (30 à 70 % des cas). Les causes principales sont :
- l’hypercorticisme ;
- l’hypogonadisme congénital ou acquis ainsi que iatrogène avec, en particulier, le traitement du cancer de la prostate par castration chimique (analogue de la GnRH) ou chirurgicale ;
- l’alcoolisme ;
- l’hypercalciurie idiopathique ;
- parmi les causes génétiques exceptionnelles, les anomalies du récepteur aux oestrogènes et du gène de l’aromatase.
D. Au niveau thérapeutique
Les bisphosphonates et le tériparatide disposent d’une AMM dans le traitement de l’ostéoporose masculine.
POINTS CLES
- Les pathologies endocriniennes représentent l’étiologie principale des ostéoporoses secondaires de la femme.
- Toutes les situations entraînant un hypogonadisme prolongé exposent à un risque accru d’ostéoporose.
- La carence oestrogénique provoque une augmentation du remodelage osseux au bénéfice de la résorption osseuse.
- Un traitement par hormones thyroïdiennes à doses suppressives de la sécrétion de la TSH augmente la perte osseuse corticale et accroît le risque d’ostéoporose fémorale.
- Une évaluation du risque fracturaire (DEXA et marqueurs du remodelage osseux) est nécessaire chez les femmes ménopausées traitées à doses suppressives par hormones thyroïdiennes après thyroïdectomie pour cancer thyroïdien.
- Les traitements par hormones thyroïdiennes à doses substitutives n’augmentent pas le risque d’ostéoporose.
- L’atteinte osseuse de l’hypercortisolisme est précoce et prédomine sur l’os trabéculaire (tassements vertébraux).
- L’évaluation du risque fracturaire (DXA + marqueurs du remodelage osseux) est nécessaire chez tout sujet atteint de syndrome de Cushing ou d’hypercorticisme.
- Dans une hyperparathyroïdie primitive asymptomatique, l’existence d’une ostéoporose (T-score < – 2,5) fait partie des critères de l’indication chirurgicale.
- L’ostéoporose doit être recherchée systématiquement chez l’homme, au même titre que chez la femme, en cas d’hypogonadisme ou d’hypercortisolisme.
Pour en savoir plus
Bon usage du médicament. Les médicaments de l’ostéoporose. HAS, juin 2014.