Poly2016-Item 238 – UE 8 Hypoglycémie


Objectifs pédagogiques
Diagnostiquer une hypoglycémie.
Identifier les situations d’urgence et planifier leur prise en charge.
Le diagnostic d’une hypoglycémie est généralement aisé dans le contexte du diabète traité par insuline (cf. item 245 au chapitre 22), sulfonylurées (sulfamides hypoglycémiants) ou glinides.
En dehors de ce contexte, le diagnostic peut être difficile et est souvent porté par excès, en particulier chez des patients qui viennent en consultation avec la ferme conviction d’avoir des « hypoglycémies ». Cela conduit à la réalisation d’examens inutiles, coûteux et non dépourvus de risques.
La démarche diagnostique demande beaucoup de rigueur aux deux étapes : celle du diagnostic positif et celle du diagnostic étiologique. L’étape du diagnostic étiologique est dominée par la recherche d’un insulinome, cause la plus fréquente des hypoglycémies tumorales de l’adulte.
La plupart des hypoglycémies surviennent à distance des repas. Les hypoglycémies postprandiales immédiates, réactives, après chirurgie du pylore et surtout de restriction de l’estomac sont de diagnostic facile. Finalement, les hypoglycémies dites « fonctionnelles » restent un diagnostic incertain, qu’on ne devrait pas évoquer, surtout pas pour se débarrasser d’un patient anxieux et hypochondriaque.
I. Définition
Le diagnostic d’hypoglycémie repose sur la constatation simultanée de signes de neuroglucopénie et d’une glycémie basse, et sur la correction des symptômes lors de la normalisation de la glycémie : c’est la triade de Whipple.
Dans cette définition, deux points méritent l’attention :
- les symptômes et la glycémie basse doivent être simultanés ;
- les symptômes spécifiques de neuroglucopénie doivent être différenciés de ceux, peu spécifiques et inconstants, de la réaction adrénergique qui accompagne l’hypoglycémie.
Ainsi, une glycémie basse isolée ne suffit pas à porter le diagnostic : la glycémie normale d’une femme après 72 heures de jeûne peut atteindre 0,30 g/l (1,7 mmol/l). La correction des symptômes après prise d’une boisson sucrée est, dans le cas général en dehors du diabète, de bien peu de spécificité.
Le niveau seuil de glycémie habituellement retenu pour le diagnostic d’une hypoglycémie en dehors du diabète est de 0,50 g/L (2,8 mmol/L). Chez le diabétique, la valeur retenue est de 0,60 g/l (3,3 mmol/l).
II. Physiopathologie
Plusieurs systèmes hormonaux participent au maintien de la glycémie entre 0,60 et 0,90 g/l (3,3 à 5,0 mmol/l) à jeun et 1,20 à 1,30 g/l (6,7 à 7,2 mmol/l) après les repas.
Lors d’un jeûne prolongé, la glycémie baisse et le cerveau utilise d’autres substrats, essentiellement les corps cétoniques.
Les principales hormones qui ont un effet significatif sur la glycémie sont :
- l’insuline, principal facteur hypoglycémiant, dont la concentration s’élève après le repas et diminue pendant le jeûne ;
- les facteurs de croissance apparentés à l’insuline, IGF-1 et IGF-2, dont l’effet hypoglycémiant n’est significatif que pour des concentrations très fortes, pharmacologiques ou tumorales ;
- les hormones dites de contre-régulation, qui ont un effet hyperglycémiant :
- le glucagon ;
- l’hormone de croissance (GH) ;
- les catécholamines ;
- le cortisol ;
- plus accessoirement, la somatostatine.
Une hypoglycémie peut être la conséquence :
- d’une sécrétion inappropriée d’insuline ;
- ou, plus rarement et en particulier chez l’adulte :
- d’un défaut de sécrétion d’une des hormones dont l’effet est essentiellement hyperglycémiant, en particulier de la GH ou du cortisol ;
- d’un déficit de néoglucogenèse (insuffisance hépatique ou rénale sévère) ;
- d’un défaut de substrat (cachexie).
Lors de la baisse de la glycémie induite par une injection d’insuline chez des témoins, on observe que :
- le glucagon, l’adrénaline et l’hormone de croissance sont sécrétés lorsque la glycémie baisse en dessous de 0,65 g/l (3,6 mmol/l) ;
- le cortisol est sécrété lorsque la glycémie baisse en dessous de 0,60 g/l (3,3 mmol/l) ;
- les symptômes apparaissent lorsque la glycémie baisse en dessous de 0,55 g/l (3 mmol/l) et les troubles cognitifs en dessous de 0,35 g/l (2 mmol/l).
Lors de la répétition des épisodes d’hypoglycémie, en particulier chez le diabétique traité par insuline, les seuils de sécrétion des hormones de « contre-régulation » s’abaissent, les symptômes neurovégétatifs s’atténuent ou sont retardés, de sorte que les symptômes de dysfonction cérébrale sont au premier plan.
III. Symptômes et signes
A. Signes de neuroglucopénie
Ces signes sont la manifestation d’une dysfonction focale ou généralisée du système nerveux.
Ils sont multiples, mais généralement similaires d’un épisode à l’autre chez un même patient.
Il peut s’agir :
- de faim brutale ;
- de troubles de concentration, de fatigue, de troubles de l’élocution, du comportement ou de symptômes psychiatriques francs ;
- de troubles moteurs, d’hyperactivité, de troubles de la coordination des mouvements, de tremblements, d’hémiparésie, de diplopie, de paralysie faciale, etc. ;
- de troubles sensitifs, de paresthésies d’un membre, de paresthésies péribuccales ;
- de troubles visuels ;
- de convulsions focales ou généralisées ;
- de confusion.
B. Coma hypoglycémique
Au maximum, le coma hypoglycémique présente souvent les caractéristiques suivantes :
- de profondeur variable, jusqu’à des comas très profonds ;
- de début brutal ;
- souvent agité, avec des sueurs profuses ;
- avec des signes d’irritation pyramidale et hypothermie.
Chez tout patient présentant des troubles de conscience de quelque profondeur que ce soit, il est de règle de mesurer immédiatement la glycémie.
À ces symptômes de neuroglucopénie s’associent souvent des signes de la réaction adrénergique (neurovégétative) à l’hypoglycémie :
- anxiété, tremblements, sensation de chaleur ;
- nausées ;
- sueurs ;
- pâleur ;
- tachycardie, palpitations.
Ces symptômes sont souvent brutaux, favorisés par le jeûne et l’exercice physique.
IV. Causes
A. Hypoglycémies chez le diabétique
Les hypoglycémies les plus fréquentes surviennent chez les diabétiques traités par de l’insuline et des hypoglycémiants oraux (insulino-sécrétagogues).
Ces causes sont traitées dans l’item 245 au chapitre 22.
B. Insulinomes
L’insulinome (+++) est la première cause tumorale d’hypoglycémie. Même s’il s’agit d’une tumeur rare (moins de 5 cas par million et par an), il s’agit de la plus fréquente des tumeurs neuroendocrines fonctionnelles du pancréas (cf. item 305 au chapitre 30).
L’insulinome est souvent isolé mais peut s’inscrire, chez 5 % des patients, dans un contexte de néoplasie endocrinienne multiple de type 1 (NEM1), où il est alors volontiers multiple.
C’est habituellement une tumeur bénigne. Elle est maligne dans seulement 10 % des cas et la malignité ne peut être affirmée que par la présence de métastases.
C’est le plus souvent une tumeur de petite taille (90 % font moins de 2 cm et 30 % moins de 1 cm), ce qui rend parfois le diagnostic topographique préopératoire difficile.
1. Clinique
L’insulinome entraîne des épisodes d’hypoglycémie, parfois très épisodiques, chez des adultes souvent jeunes et bien portants. Les signes de neuroglucopénie sont rarement au premier plan et souvent mal rapportés par le patient.
L’interrogatoire doit les rechercher. Souvent la symptomatologie est dominée par les manifestations adrénergiques. Le diagnostic est ainsi souvent retardé, même chez des patients ayant de fréquents épisodes ; certains patients reçoivent pendant plusieurs années des diagnostics neurologiques ou psychiatriques divers.
Les épisodes d’hypoglycémie surviennent plus volontiers à jeun ou à l’effort, même s’il ne s’agit pas d’un critère absolu ; la répétition des épisodes peut s’accompagner d’une prise de poids chez 30 % des patients.
2. Diagnostic
– Diagnostic positif
Le diagnostic de sécrétion inappropriée d’insuline est souvent facile au cours de l’épreuve de jeûne lors d’une hypoglycémie (< 0,45 g/l), alors que la concentration d’insuline est > 3 mUI/l et celle de peptide C > 0,6 ng/ml. La concentration de pro-insuline est le plus souvent > 5 pmol/l.
La figure 15.1 présente les paramètres biologiques et hormonaux d’une épreuve de jeûne mettant en évidence une sécrétion inappropriée d’insuline chez une patiente présentant un insulinome :
- dernier repas pris la veille au soir à 20 h ;
- les glycémies de début d’épreuve ne suffisaient pas au diagnostic, en l’absence de symptômes ;
- symptômes de neuroglucopénie avec glycémie basse après 11 heures (asthénie, diplopie), conduisant à l’arrêt immédiat de l’épreuve avec réalisation d’un prélèvement veineux et à la correction immédiate des symptômes lors du re-sucrage oral ;
- l’insulinémie est dans une fourchette normale mais inadaptée à la glycémie ;
- le peptide C à 1,8 ng/ml prouve que l’hypoglycémie n’est pas due à une injection d’insuline ;
- l’absence de sulfamides hypoglycémiants dans le plasma prouve que l’hypoglycémie n’est pas la conséquence de la prise de sulfonylurée ;
- enfin, on retrouve une élévation de la pro-insuline ;
- au terme du jeûne, les bêta-hydroxybutyrates sont inférieurs à 2 700 µmol/l.


– Diagnostic différentiel (+++)
Deux diagnostics dominent le diagnostic différentiel : prise cachée d’insuline et de sulfonylurées.
De telles prises cachées (hypoglycémies « factices ») sont souvent le fait de patients proches du milieu médical ou d’un diabétique et qui ont parfois des antécédents psychiatriques.
Exceptionnellement l’administration cachée est le fait d’un tiers, dans un but criminel ou dans le cadre d’un syndrome de Münchhausen « par procuration ».
Chez les patients qui ont des prises cachées d’insuline lors de l’épreuve de jeûne, le plus souvent le tableau biologique est le suivant : hypoglycémie avec une insuline dosable voire très augmentée, alors que le peptide C et la pro-insuline sont indosables.
Chez les patients qui ont des prises cachées de sulfonylurées, le tableau biologique est le suivant : hypoglycémie avec une insuline et un peptide C dosables, similaire au tableau de l’insulinome.
Il est de règle de doser les sulfonylurées en fin d’épreuve de jeûne à la moindre suspicion.
De manière exceptionnelle chez l’adulte, la sécrétion inappropriée d’insuline peut être secondaire à une nésidioblastose, hyperplasie diffuse des îlots des cellules bêta pancréatiques. Le tableau biologique est similaire à celui de l’insulinome mais « classiquement » les hypoglycémies surviennent après les repas plutôt qu’à jeun et l’épreuve de jeûne peut être normale, sans hypoglycémies authentifiées.
Plus rarement, on peut observer des hypoglycémies chez des patients ayant de volumineuses tumeurs responsables d’une sécrétion d’IGF-2.
– Diagnostic topographique
C’est l’étape difficile du diagnostic chez des patients dont les tumeurs sont de petite taille et dans un organe profond. Il est néanmoins nécessaire avant de proposer une chirurgie, de localiser la tumeur et de pouvoir affirmer qu’elle est unique.
Deux examens dominent cette étape et doivent être combinés chez tous les patients :
- le scanner en coupe fine du pancréas, avec coupes en phase artérielle précoce (figure 15.2).
- l’écho-endoscopie, qui n’a de valeur que si elle est faite par un médecin habitué à ce diagnostic (figure 15.3).
L’échographie transpariétale est opérateur-dépendant. L’IRM peut aider à la localisation de l’insulinome. La scintigraphie à la somatostatine manque de sensibilité et n’a d’intérêt que si elle est positive.
Récemment, la scintigraphie des récepteurs du GLP-1 a montré des résultats prometteurs dans la localisation et la détection préopératoire des insulinomes, en particulier dans le contexte d’une MEN1 — elle n’est actuellement pas disponible en France.
Les chirurgiens complètent les données de l’écho-endoscopie et du scanner en coupe fine par la palpation peropératoire du pancréas voire une échographie peropératoire.




3. Traitement
Le traitement de l’insulinome repose sur l’exérèse chirurgicale de la tumeur (figure 15.4).
Le chirurgien peut faire une simple énucléation de la tumeur sous laparoscopie ; ailleurs, le patient peut bénéficier d’une pancréatectomie gauche ou d’une duodéno-pancréatectomie céphalique.
En attendant la chirurgie, certains prescrivent du diazoxide. Les réponses aux analogues de la somatostatine de première génération sont inconstantes, avec parfois des réponses paradoxales (aggravation des épisodes d’hypoglycémie).


Nouvelle recommandation de la Société Française d’Endocrinologie (2013)
Chez un patient ayant présenté une triade de Whipple, une glycémie ? 0,45 g/l (spontanément ou lors d’une épreuve de jeûne) concomitante d’une insulinémie ? 3 mUI/l et d’un peptide C ? 0,6 ng/ml confirme le diagnostic d’hypoglycémie par sécrétion inappropriée d’insuline (avec absence de prise de sulfamide).
POINT CLES
- Le diagnostic d’« hypoglycémie fonctionnelle » est souvent porté par excès chez des patients avec des signes non spécifiques sans véritable hypoglycémie biologique.
- Le diagnostic positif d’une hypoglycémie organique est difficile en raison du caractère non spécifique des symptômes.
- Le diagnostic d’hypoglycémie repose sur la constatation simultanée de signes de neuroglucopénie et d’une glycémie ? 0,45 g/l.
- L’étape du diagnostic étiologique est dominée par la recherche d’un insulinome qui nécessite la réalisation d’une écho-endoscopie et d’un scanner pancréatique.
- L’insulinome est la cause la plus fréquente des hypoglycémies tumorales de l’adulte.
Pour en savoir plus
Evaluation and management of adult hypoglycemic disorders : an Endocrine Society Clinical Practice Guideline. J Clin Endocrinol Metab 2009 ; 94 : 709–28. http://press.endocrine.org/doi/pdf/10.1210/jc.2008-1410
Insulinome malin : caractérisation et traitement. Baudin E. et al. Recommandations de la Société française d’endocrinologie et du Groupe d’étude des tumeurs endocrines. Annales d’Endocrinologie 2013 ; 74 : 523–33.