Hommage au Pr Georges Tchobroutsky

Hommage du Pr Gérard Slama au Pr Georges Tchobroutsky,

L’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, mais plus généralement la France vient de perdre l’un de ses plus éminents médecins : le Pr Georges Tchobroutsky décédé le 29 juin 2019 à Paris.

Il est difficile de dire en quelques mots toute la richesse et l’apport majeur que le Pr Tchobroutsky a prodigué à la médecine en général et à la diabétologie en particulier. Il était un esprit non conventionnel, original, clairvoyant, innovateur ; c’était avant tout un humaniste mettant le patient et sa dignité au cœur de son action. Il a été un enseignant hors pair qui a fasciné des générations entières d’étudiants qui, quarante ans après et plus de quinze ans après son retrait de la vie active, n’ont cessé de me demander de ses nouvelles ici ou là en France ou à l’étranger et de rappeler l’impact qu’il a eu sur leur formation.

Le Pr Tchobroutsky a été un pionnier en diabétologie : il a mis en place dès 1968 un enseignement quotidien des patients diabétiques eux-mêmes pour leur permettre de prendre le plus possible en charge leur maladie, ce que l’on appelle maintenant une éducation thérapeutique. Dès sa prise de fonction de chef de service en 1971, il a transformé le service de néphro-diabétologie de l’Hôtel Dieu du Pr Dérot et du Pr Marcel Legrain en un service prenant en charge exclusivement le traitement des diabétiques : « On ne peut bien faire qu’une seule chose à la fois, et encore… » disait-il. C’est là que, premier en France et parmi les tout premiers dans le monde, il a eu l’intuition, qu’il a ensuite solidement argumentée, que le traitement intensif de l’hyperglycémie par une insulino thérapie fractionnée était la démarche essentielle dans la prévention des complications tardives du diabète. Son école était bien seule à défendre cette position parfois raillée, voire odieusement accusée de construire une carrière sur le dos des diabétiques.

Entouré de toute une équipe au premier rang de laquelle se trouvait le Pr Roger Assan, Pierre Freychet, Gabriel Rosselin au laboratoire, suivi d’une petite troupe de collaborateurs plus jeunes (à l’époque) parmi lesquels Michel Hautecouverture, Arnaud Basdevant, Fabienne Elgrably, Gérard Reach, moi et bien d’autres l’ont aidé dans ses combats. Il a été un chercheur influent dès la création de l’institut national de la recherche médicale, l’un des tout premiers promoteurs des dosages radio immunologiques qui ont bouleversé l’endocrinologie et l’étude des maladies métaboliques.

Il a animé pendant des décennies les journées annuelles de diabétologie de l’Hôtel Dieu où le ban et l’arrière ban des chercheurs internationaux sont venus faire des conférences en français et s’en sentaient honorés. J’arrête là l’énoncé de ses activités professionnelles pour ré-insister sur la personnalité hors du commun de ce personnage qui cachait derrière une gouaille toute parisienne ses blessures ; ses remarques fulgurantes d’intelligence faisaient de sa parole des interventions remarquées.

Et pourtant le Pr Georges Tchobroutsky n’avait pas été épargné par la vie puisqu’il avait été raflé le 16 juillet 1942 par la gendarmerie française et qu’il n’a dû sa survie qu’à la présence d’esprit de sa mère qui l’invita à s’esquiver ; il avait 12 ans, ses parents ne sont pas revenus de ce voyage de la mort. Lui-même a été jeté en prison deux ans plus tard dans la région d’Annemasse alors qu’il tentait avec un groupe d’autres adolescents de franchir la frontière suisse, dénoncé au dernier moment par un « bon Français ». Le groupe ne dut sa survie qu’à l’intervention du maire de la ville et de la résistance locale qui empêcha le train pour Auschwitz de partir ce jour-là. Tous ces évènements privèrent le petit Georges de ses parents mais le privèrent également de l’accès à tout le cursus scolaire secondaire ; malgré cela il rattrapa son retard en un an, passa le bac, s’inscrivit à Science Po dont il sortit diplômé avant d’entreprendre ses études médicales. C’est là qu’il rencontra Catherine Weiss qui devint son épouse. Ils avaient 23 ans. Catherine qui devint le Pr Catherine Tchobroutsky l’a accompagné jusqu’au jour de sa disparition. Nous lui présentons ainsi qu’à ses filles Anne et Claire, à son gendre Alain, à ses petits-enfants Thomas et Marion nos plus profondes condoléances.

Le Pr Georges Tchobroutsky sera inhumé le mercredi 3 juillet à 14 heures au nouveau cimetière de Chatenay Malabry, 16 rue de l’égalité (face à la faculté de pharmacie).

Pr Gérard Slama