Choix d’un antithyroïdien de synthèse et équivalences – recommandations SFE-GRT

par Françoise BORSON-CHAZOT (Lyon), Philippe CARON (Toulouse), Daniel GLINOER (Bruxelles) et Jean-Louis WEMEAU (Lille)

Les antithyroïdiens de synthèse (ATS) constituent le traitement de premier choix de la maladie de Basedow en France et en Europe. A titre de préparation à la chirurgie ou l’iode 131, ils sont utilisés aussi dans les hyperfonctionnements thyroïdiens liés aux nodules toxiques, aux goitres multinodulaires secondairement toxiques. Ils ont des indications dans d’autres variétés d’hyperthyroïdie, notamment en relation avec les surcharges iodées.

Les difficultés actuelles d’approvisionnement en certains ATS conduisent les prescripteurs à s’interroger sur les utilisations comparatives de ces médications. La réflexion porte sur les médications disponibles, leur puissance relative, leurs effets indésirables, les recommandations concernant les surveillances.

Les avis ici formulés ont été recueillis au nom de la Société Française d’Endocrinologie et du Groupe de Recherche sur la Thyroïde.

Médications commercialisées

Ce sont en France :

– d’une part les imidazolines : thiamazole (THYROZOL®, Laboratoire MERCK-LIPHA), et carbimazole (NEOMERCAZOLE®, distribué par CSP). Le carbimazole se métabolise en thiamazole (le thiamazole est la dénomination commune internationale actuellement recommandée du méthimazole ; l’utilisation du nom de méthimazole est déconseillée car il est trop proche de celui d’un psychotrope).

– d’autre part les dérivés du thio-uracile : propylthiouracile (PROPYLEX®, Laboratoire HAC Pharma) et le benzylthiouracile (BASDENE®, Laboratoire BOUCHARA-RECORDATI).

Tableau 1 : Médications antithyroïdiennes

Dénomination commune

Nom de
commercialisation

Présentation

Posologie habituelle

  Thiamazole   TMZ

  Thyrozol®

  Cp à 5, 10 et 20 mg

  2,5 – 40 mg/j

  Carbimazole  CBZ

  Néomercazole®

  Cp à 5 et 20 mg

  2,5 – 60 mg/l

  Propylthiouracile  PTU

  Propylex®

  Cp à 50 mg

  25 – 600 mg/l

  Benzylthiouracile  BZU

  Basdène®

  Cp à 25 mg

  25 – 600 mg/l

Les ATS n’altèrent pas la pénétration de l’iode dans les thyrocytes (les scintigraphies thyroïdiennes à l’iode 123 ou au technétium sont possibles chez les patients soumis aux ATS). Tous les ATS inhibent les réactions d’oxydation (transformation I à I+), d’organification (formation des mono- et diiotyrosines) et de couplage (de MIT et DIT en triodo- et tétraiodothyronines). Seuls les thio-uraciles (PTU et BTU) réduisent, surtout à forte posologie, la conversion de T4 en T3 au niveau des tissus. Cette inhibition est incomplète, liée l’inactivation de la désiodase de type 1, présente au niveau du foie, du rein, de la thyroïde.

Les ATS modifient aussi la structure de l’épithélium thyroïdien, la composition de la thyroglobuline intravésiculaire. Au cours de la maladie de Basedow, ils réduisent les titres des anticorps antirécepteur de la TSH, même si leur effet immunosuppresseur spécifique est discuté.

Puissance antithyroïdienne

L’effet antithyroïdien est différent selon les molécules, ce qui explique les variations des posologies requises (tableau 1).

La puissance antithyroïdienne a été définie expérimentalement par la capacité des médicaments de réduire la fixation de l’iode radio-actif lors de l’administration de perchlorate. Plus le produit est puissant, plus la décroissance est élevée. Ceci témoigne de la capacité relative des divers ATS d’inhiber l’organification des iodures.

Sur ces bases, et en fonction de la pratique des cliniciens, on considère ordinairement les équivalences suivantes :

1 cp de 20   mg de NEOMERCAZOLE®  équivaut à
        –  15 mg de THYROZOL®
       
–  200 mg de PROPYLEX®  (4 comprimés)
        –  200 mg de BASDENE®  (8 comprimés)

Cette bioéquivalence est utile lorsqu’un patient est équilibré par une dose déterminée d’ATS, et que pour des raisons diverses, on est amené à modifier le traitement par l’utilisation d’un autre ATS.

Elle est aussi à considérer lorsqu’est initié un traitement. Souvent est prônée une dose d’attaque, à une posologie initialement déterminée en fonction de l’intensité de l’hyperhormonémie et de l’état thyrotoxique (exemple thiamazole 10, 20, 30 ou 40 mg/j, carbimazole 20, 40 ou 60 mg/j, propylthiouracile ou benzylthiouracile 200, 400, 600 mg/j). L’ambition est qu’au premier contrôle, envisagé vers la 3ème– 4ème semaine, l’hyperhormonémie thyroïdienne soit réduite, autorisant alors d’emblée l’adaptation du traitement : soit réduction de la posologie de l’antithyroïdien (titration), soit maintien à ce moment de la dose initiale et adjonction de lévothyroxine à posologie substitutive, proche de 1,6-1,7 µg/kg/j chez l’adulte (« block and replace »).

Cette bioéquivalence a un peu moins d’importance lorsqu’un patient apparaît équilibré avec le schéma « block and replace ». Il suffit alors de maintenir une dose suppressive d’ATS : exemple 15 ou 20 mg de Néomercazole®, 10 à 15 mg de Thyrozol®, 150-200 mg de Propylex® ou de Basdène®, associé à la dose substitutive d’hormone thyroïdienne.

Pharmacocinétique

Carbimazole et  thiamazole ont une durée d’action proche de 4 à 6 heures, et une meilleure concentration intrathyroïdienne (gradient thyroïde/plasma proche de 1/100). Ceci autorise leur prescription en une prise quotidienne. De plus les ATS s’accumulent dans la thyroïde, ce qui explique la durée prolongée de l’activité antithyroïdienne qui persiste plusieurs jours ou plusieurs semaines après l’interruption du traitement.

Les dérivés du thio-uracile ont une affinité de liaison plus forte pour les protéines plasmatiques, et une demi-vie plus courte. Ils sont plutôt prescrits en 2 ou 3 prises quotidiennes, au moins en début de traitement.

Tolérance

La tolérance des ATS est bonne. Néanmoins peuvent s’observer des épigastralgies, arthralgies, réactions fébriles (tableau 2). Les signes d’intolérance n’apparaissent pas nécessairement dépendants de la dose. Dans une série cumulative récente de 31 cohortes, ils étaient présents chez 13% des patients, plus fréquents avec le méthimazole surtout pour les manifestations cutanées, tandis que les altérations hépatiques étaient observées principalement avec le propylthiouracile.

Tableau 2 : Effets indésirables des antithyroïdiens

  Communs

  1 à 5 % des cas

 – rashs cutanés et urticaire
 – épigastralgies
 – réactions fébriles
 – arthralgies
 – leuco-neutropénie transitoire
 – modifications du goût :
       hypogueusie (seulement pour carbimazole et thiamazole),
       goût amer ou métallique (PTU et BZU)
 – alopécie
 – perturbations mineures des fonctions hépatiques
 – apparition d’anticorps anticytoplasme des polynucléaires neutrophiles (ANCA)

  Rares et sévères

  < 1 %

 – agranulocytose aiguë (0,2 à 0,5 %)
 – hypoplasie médullaire
 – hépatites :
       cytolytiques (PTU et BTU),
       rétentionnelles (carbimazole et thiamazole)
 – vascularites immuno-allergiques liées aux ANCA
 – hypoglycémies par anticorps anti-insuline

La survenue d’une éruption érythémateuse ou urticarienne (souvent vers la deuxième semaine) n’impose pas absolument l’interruption du traitement, car elle est parfois transitoire, résolutive sous traitement antihistaminique. Cependant sa prolongation conduit à utiliser un autre antithyroïdien, car il n’y a pas nécessairement d’allergie croisée entre imidazolines et dérivés du thiouracile.

Le risque majeur est hématologique : soit leuco-neutropénie progressive, dépistée par les hémogrammes recommandés tous les 8-10 jours durant les deux premiers mois du traitement, ou lors de sa reprise ; soit agranulocytose aiguë toxo-allergique, rare mais d’une extrême sévérité, reconnue à l’occasion d’un état fébrile, d’altérations des muqueuses (pharyngite). L’agranulocytose est parfois précédée par la neutropénie progressive, mais peut aussi survenir brutalement : la surveillance des hémogrammes est insuffisante pour dépister toutes les agranulocytoses. Le risque hématologique est précoce, survenant presque toujours lors des 3 premiers mois du traitement ou de sa reprise ;  il apparaît analogue sous imidazolines et dérivés du thio-uracile ; il semble dépendant de la posologie utilisée pour l’antithyroïdien. En cas de leuco-neutropénie survenant sous un antithyroïdien, il est possible d’envisager la substitution par une autre médication : imidazolines ou dérivés du thiouracile. En revanche la survenue d’une agranulocytose condamne définitivement le recours à un ATS, quel qu’il soit.

Les altérations des fonctions hépatiques sont plutôt de type rétentionnel sous imidazolines, plutôt de type cytolytique sous dérivés du thio-uracile. Elles ne sont pas à confondre avec les altérations des fonctions hépatiques initiales, propres à l’état thyréotoxique : augmentation presque constante de la gamma-GT, habituelle des phosphatases alcalines (fraction osseuse et hépatique), parfois cytolyse, très rarement hyperbilirubinémie conjuguée.

Les cas de vascularites à ANCA (anticorps anticytoplasme des polynucléaires neutrophiles) sont très rares. Ils s’observent surtout en cas de traitement prolongé par un dérivé du thio-uracile. La présence d’ANCA a été constatée chez un tiers à deux tiers des sujets soumis à un traitement au long cours par le PTU. S’il est important de préciser que la présence d’ANCA n’est pas nécessairement liée à l’apparition de signes cliniques de vascularite, leur survenue constitue cependant un facteur de prédiction du risque d’angéite. Dès lors le recours à une autre thérapeutique doit être envisagée. Les ANCA ont été observés aussi mais plus rarement sous méthimazole, et même chez les  basedowiens avant tout traitement.

Indications spécifiques

Il n’y a pas d’étude randomisée qui définitivement ait établi la supériorité d’un antithyroïdien en termes d’efficacité, de coût ou de tolérance. Toutefois, il est manifeste que l’activité antithyroïdienne des imidazolines est plus forte.

Chez l’enfant, il est déconseillé d’utiliser en première intention les dérivés du thio-uracile, du fait des cas rares d’hépatite cytolytique sévère, constatés surtout lors de l’utilisation de PTU à forte dose. Celles-ci ont conduit à des  insuffisances hépatiques définitives, nécessitant une greffe hépatique.

Dans les hyperthyroïdies sévères et celles liées aux surcharges iodées (hyperthyroïdies de type 1), l’utilisation préférentielle de PTU a été suggérée du fait de sa capacité de réduire préférentiellement la désiodation de T4 en T3. Dans ces situations, il faut tenir compte toutefois des altérations de la désiodation déjà présentes, du fait de la sévérité de l’état général, de l’utilisation éventuelle de la corticothérapie ou du propranolol, ou lorsque l’hyperthyroïdie s’est constituée sous amiodarone ; de plus la nécessité de fortes doses d’antithyroïdiens légitime aussi l’utilisation possible des présentations disponibles de thiamazole ou de carbimazole.

L’utilisation préférentielle du PTU est recommandée lors de l’initiation des grossesses chez les basedowiennes soumises à un antithyroïdien. En effet, les aplasies du cuir chevelu, les embryopathies des ATS (omphalocèle, atrésies choanales ou œsophagiennes, malformations diaphragmatique, cardiaque…) n’ont été décrites que sous imidazolines, même si elles ont pu survenir en l’absence de traitement, et chez les sujets indemnes de pathologie thyroïdienne. En revanche leur survenue n’a pratiquement jamais été rapportée sous dérivés du thio-uracile, ce qui légitime l’utilisation du Propylex® si l’initiation d’une grossesse sous ATS est programmée, ou possible (en l’absence de contraception efficace).

La substitution par une imidazoline durant la deuxième phase de la grossesse a été suggérée, du fait des risques hépatiques maternels et fœtaux des dérivés du thio-uracile. Il faut tenir compte toutefois de l’extrême rareté des cas d’hépatopathies décrits lors des grossesses, des incidences psychologiques et financières des substitutions hormonales en ces circonstances. Enfin dans un tiers des cas, la thérapeutique antithyroïdienne peut être interrompue vers la fin du 2ème trimestre ou au début du troisième trimestre, lorsque l’hyperfonctionnement est bien contrôlé par une petite dose d’antithyroïdien et qu’a été constatée une normalisation du titre des anticorps antirécepteur de la TSH (la grossesse est une période de tolérance immunitaire).

Au cours de l’allaitement, le PTU a été privilégié du fait de son moindre passage dans le lait. Mais l’efficacité et la bonne tolérance de doses modérées de thiamazole (15 à 30 mg par jour) a aussi été établie.

Surveillance

La surveillance de l’hémogramme est recommandée dans le dictionnaire VIDAL durant les six premières semaines du traitement antithyroïdien. Si bien que sa non réalisation pourrait être source de difficultés médicolégales. On a vu qu’elle est immédiatement impérative en cas de fièvre ou d’angine.

Bien que le risque hépatique soit imparfaitement prévisible sous ATS, on suggère aussi la surveillance des fonctions hépatiques (transaminases, phosphatases alcalines) avant l’initiation du traitement et lors de la réévaluation hormonale après trois ou quatre semaines. L’arrêt au moins temporaire du traitement est recommandé en cas de valeurs des transaminases ou des phosphatases alcalines excédant 2 à 3 fois la limite supérieure des normes, et restant accrues après une semaine. La surveillance des fonctions hépatiques est particulièrement recommandée chez la femme enceinte, mensuellement parallèlement à celle de l’équilibre hormonal, et l’arrêt des ATS est impérative en cas d’ictère. Même si la recommandation n’en est pas non plus formellement formulée, chez les patients soumis au long cours à un  antithyroïdien de synthèse, le contrôle annuel du titre des ANCA est aussi suggéré, et lors de toute manifestation suggestive de vascularite (fièvre, arthralgies, signes cutanés, pulmonaires, rénaux, syndrome inflammatoire…).

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