Etienne-Émile Baulieu: Un grand Endocrinologue français nous a quittés
Etienne-Émile Baulieu, médecin et chercheur français de renommée internationale, s’est éteint ce 30 mai 2025 à l’âge de 98 ans. Il avait reçu en 1989 le prix Albert Lasker, considéré comme une antichambre au prix Nobel, pour ses contributions essentielles à la découverte et le développement clinique de l’antihormone anti-progestative RU486 connue actuellement par sa dénomination internationale (DCI) mifepristone.
Etienne-Émile Baulieu est né le 12 décembre 1926 à Strasbourg. Il a fait ses études médicales et scientifiques à la faculté de médecine et faculté des sciences à Paris.
Il obtient le titre de docteur en médecine en 1955.
Il a exercé comme interne des Hôpitaux de Paris (IHP) entre 1951 et 1955 puis comme chef de clinique pour devenir professeur agrégé de biochimie à la faculté de médecine Paris XI puis Paris Sud, à Bicêtre.
Au plan hospitalier Etienne-Émile Baulieu a été chef du service de biochimie hormonale de l’hôpital Bicêtre (1968–1992).
Juste après l’obtention de son doctorat en Sciences en 1963, Etienne-Émile Baulieu a été nommé Directeur de l’unité 33 de l’INSERM (U33- intitulée “Métabolisme moléculaire et physiopathologie des stéroïdes”, puis “Communications hormonales”) à l’hôpital Bicêtre (1963–1998) qu’il a dirigé pendant plus de 30 années (1963 – 1998).
Mondialement connu et reconnu comme endocrinologue, Étienne-Émile Baulieu a consacré la plupart de ses travaux aux hormones stéroïdes et à leurs antagonistes dans la reproduction, les cancers et le système nerveux.
Il découvre en 1959 la sécrétion par les glandes surrénales humaines du sulfate de déhydro-épi-androstérone (SDHEA) et en décrit le métabolisme et les fonctions. Cette première lui vaut d’être invité aux Etats-Unis par Seymour Liberman, un grand expert des stéroïdes. Il y rencontre Gregory Pincus, chercheur qui a mis au point la contraception estroprogestative et qui le soutiendra, pour obtenir des subventions pour ses recherches.
Pionnier, avec Pierre Chambon et Edwin Milgrom, dans l’étude des récepteurs intracellulaires/nucléaires des hormones stéroïdiennes, il participe en 1982, à la découverte de nouvelles anti-hormones, telle que l’anti-progestérone RU 486 (stéroïde de synthèse), dont les propriétés contragestives révolutionneront la vie de millions de femmes à travers le monde. RU est l’acronyme du laboratoire français Roussel-Uclaf qui l’a mise sur le marché et les trois chiffres 4–8‑6 le numéro d’ordre de la synthèse de la molécule dans le pipe-line de Roussel-Uclaf. Les premiers résultats qu’Etienne-Émile Baulieu présente, devant l’Académie des sciences, montre que ce produit, appelé plus tard mifepristone, administré par voie orale à des femmes est sûr, et efficace. Ces résultats préliminaires seront confirmés par deux publications dans le New England Journal of Medecine en collaboration avec l’endocrinologue Gilbert Schaison, le Dr. André Ullmann et l’équipe de Roussel Uclaf.
Ces succès déclencheront des polémiques, non éteintes à ce jour, sur une « facilitation de l’interruption volontaire de grossesse ». La mifepristone évite aux femmes la chirurgie invasive de l’IVG. Ce médicament présente aussi l’avantage médico-économique d’éviter une intervention en milieu hospitalier et l’avantage psychologique de la discrétion d’une décision difficile prise par la femme.
En rapport avec ces découvertes médicales en endocrinologie de la reproduction, Etienne-Émile Baulieu est nommé Professeur du Collège de France titulaire de la chaire : Fondements et principes de la reproduction humaine ( 1993 à 1998).
Ce grand endocrinologue a été président de notre Société Française d’Endocrinologie (SFE) en 1978 et aussi président de l’INSERM et de la Fondation pour la Recherche Médicale (FRM) et président (2003–2004) de l’Académie des sciences, Institut de France.
Logiquement il a été reconnu comme un grand médecin chercheur en France aussi bien par ses pairs (Grand prix de la Fondation pour la recherche médicale (1994), Prix d’honneur Inserm 2015) que par les représentants de la nation (Légions d’honneur : Chevalier (1976), grand officier (1982), commandeur (1991) et dignité de Grand-croix 2023) et de la société (Grand Prix de la laïcité (2016).
Sa notoriété médico scientifique a logiquement dépassé les frontières de la France ce qui a valu à Etienne-Émile Baulieu d’accéder à de très nombreuses responsabilités académiques internationales. Signalons simplement quelques-unes: membre de la National Academy of Sciences, USA (1990), Professeur adjoint, Institut Scripps de Californie depuis 2006. Co-fondateur de l’international Society for Research in the Biology of Reproduction (1967). Membre de la New York Academy of Sciences (1985), de Academia Europaea (1989).
Parmi le nombre impressionnant de distinctions internationales, citons par manque d’espace seulement un petit nombre : Première médaille européenne de la Society for Endocrinology de Grande Bretagne (1987). Gregory Pincus Memorial Award de la Worcester Foundation, Massachussetts, avec Elwood Jensen (1978). Prix A et E Wippman de la Fédération du planning familial des Etats-Unis (1989). Prix Christophe Colomb de la découverte médicale des National Institute of Health (NIH), Etats-Unis (1992). Docteur Honoris Causa du Karolinska Institutet, Suède (1994). Ken Myer Medal, Australie (2000). International Academy of Humanism Laureate (2002).
Rappelons ici la place particulière du prix Albert Lasker de médecine qu’il a obtenu en 1989 pour ses recherches sur le contrôle de la fertilité et tout particulièrement pour le développement du RU 486/mifepristone. Médicalement parlant, le mécanisme d’action de cette molécule est simple pour ce chercheur: il s’agit d’une anti-hormone qui s’oppose à l’action myorelaxante de la progestérone au niveau utérin qui de ce fait est une hormone indispensable au maintien de la grossesse. Cette anti-hormone, associée à des prostaglandines, stimule les contractions de l’utérus et déclenche chez les femmes enceintes en début de grossesse l’expulsion de l’œuf fécondé avec un taux d’efficacité qui atteint plus de 90 %.
Enfin, pour ceux qui ont eu la chance de le côtoyer de près comme certains d’entre nous, Etienne-Émile Baulieu était un grand enseignant passionné et un maître qui inspirait aussi bien les étudiants en médecine de première année, que les internes en médecine, les pharmaciens et étudiants en biologie de tous les horizons. Son obsession était que tous ces acteurs travaillent de façon synergique au service de la santé et du bien-être, en particulier celui des femmes.
Au nom de la Société Française d’Endocrinologie (SFE) :
Jacques Young, Jérôme Bertherat, Gérald Raverot.
31 mai 2025