Les essentiels 2025 : Enfance et exposition aux perturbateurs endocriniens : un risque pour la fertilité future ?

Lucie Levaillant, Régis Coutant

 

Cet article fait partie de la série d’article « Les essentiels » de la Société française d’endocrinologie, produit avec le support de Recordati Rare Disease, Novo nordisk, Merck, Rhythm et Pfizer.

 

Qu’est-ce qu’un perturbateur endocrinien ?

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit depuis 2002 un perturbateur endocrinien comme « une substance ou un mélange exogène qui altère les fonctions du système endocrinien et de ce fait induit des effets néfastes dans un organisme intact, chez sa progéniture ou au sein de (sous)-populations » 1. Ces substances peuvent agir à différents niveaux : sur les voies la synthèse ou de dégradation des hormones, sur leurs récepteurs, leurs protéines de transport, ou encore directement sur les voies de signalisation en aval 2.

Les perturbateurs ont deux caractéristiques qui les distinguent particulièrement:
– Des courbes dose-réponse non monotones 3 : dans la plupart des situations toxicologiques, plus la dose augmente, plus l’effet observé est marqué (ou inversement). Or, pour ces substances, cette règle ne s’applique pas systématiquement. Des doses faibles ou intermédiaires peuvent entraîner des effets plus importants que des doses élevées, ce qui complexifie leur évaluation.
– Un effet cocktail 4 : la combinaison de plusieurs perturbateurs endocriniens peut amplifier ou réduire les effets attendus. Les interactions entre composés peuvent être synergiques ou antagonistes, rendant la prédiction des conséquences encore plus difficile.

Les perturbateurs endocriniens sont contenus dans différentes catégories de produits : composés perfluorés, bisphénols, phtalates, parabènes, retardateurs de flamme. Ils sont présents dans les emballages alimentaires, les ustensiles de cuisine antiadhésifs, les cosmétiques et parfums, les jouets, les textiles imperméables, les peintures ou encore les produits d’entretien. L’exposition peut aussi avoir une origine professionnelle 5.

Évolution du nombre de spermatozoïdes au cours du temps

Une revue systématique publiée en 2023 par Levine et al. dans Human Reproduction Update a analysé l’évolution temporelle de la concentration et du nombre total de spermatozoïdes 6. Elle incluait 223 études, représentant 288 estimations basées sur plus de 57 000 hommes, issus de 53 pays, répartis sur 6 continents.

Les critères d’inclusion étaient d’être un homme sans maladie ni traitement susceptibles d’affecter la spermatogenèse, et l’inclusion dans ces études ne devait pas être basée sur la qualité du sperme ou sur la fertilité. Les participants ont été classés en deux groupes : 1) les hommes “non sélectionnés”, c’est-à-dire non recrutés sur la base de leur fertilité ; 2) les hommes “fertiles”, c’est-à-dire ayant eu au moins une grossesse obtenue spontanément ou par assistance médicale à la procréation (AMP).

La répartition des estimations de sperme était la suivante :
– 118 (41 %) concernaient des hommes « non sélectionnés » d’Amérique du Nord, d’Europe et d’Océanie (NEA),
– 80 (28 %) des hommes « fertiles » de NEA,
– 35 (12 %) des hommes « non sélectionnés » d’Amérique du Sud, d’Afrique et d’Asie (SAA),
– 54 (19 %) des hommes « fertiles » de SAA.

Ainsi, cette étude retrouvait que chez les hommes « non sélectionnés » de NEA, la concentration moyenne en spermatozoïdes est passée de 104 millions/mL en 1973 à 49 millions/mL en 2015. Cela correspond à une diminution annuelle moyenne de -1,30 million/mL (IC95% : -1,89 ; -0,71). Dans les pays SAA, la concentration est passée de 88 à 61 millions/mL entre 1986 et 2018, soit une pente estimée à -0,84 million/mL/an (IC95% : -1,82 ; 0,13). Le nombre total de spermatozoïdes a suivi la même tendance, avec en NEA, de 338 millions en 1973 à 126 millions en 2015 (soit une pente de -5,05 millions/an, IC95% : -7,31 ; -2,79), et en SAA, de 263 à 142 millions entre 1986 et 2018, soit une pente de -3,79 millions/an (IC95% : -7,58 ; -0,01).

L’analyse par période montre que le déclin s’accélère au fil du temps : entre 1973 et 2000, la baisse annuelle était de 1,2 % pour la concentration et de 1,4 % pour le nombre total de spermatozoïdes, alors qu’après 2000, elle atteint 2,6 % et 2,5 % respectivement. Ces résultats, obtenus sur plus de 30 ans de recul, confirment une diminution majeure de la concentration et du nombre total de spermatozoïdes à l’échelle mondiale.

Une des limites est que cette analyse porte uniquement sur la concentration et le nombre de spermatozoïdes, et non directement sur la fertilité. La relation entre ces paramètres et la fertilité n’est pas linéaire : au-delà de 40 à 50 millions/mL, une augmentation de la concentration n’entraîne pas forcément une meilleure probabilité de conception. En revanche, en dessous de ce seuil, la probabilité de concevoir chute rapidement. Ainsi, la baisse moyenne de 104 à 49 millions/mL au sein de la population implique mécaniquement une augmentation de la proportion d’hommes confrontés à un retard de conception.

Les explications génétiques ou liées à la variabilité biologique sont peu plausibles étant donné la rapidité et l’ampleur du phénomène. L’hypothèse environnementale, et en particulier l’exposition croissante aux perturbateurs endocriniens, est aujourd’hui sérieusement envisagée.

Exposition prénatale aux phtalates et distance ano-génitale

Les données animales ont montré dès les années 2000 que l’exposition fœtale aux phtalates pouvait induire des anomalies génitales regroupées sous le terme de « syndrome des phtalates » : distance ano-génitale réduite, cryptorchidie partielle et pénis de petite taille 7.

Chez l’homme, la distance ano-génitale (AGD) est un indicateur reconnu d’exposition fœtale aux anti-androgènes. Une distance ano-génitale plus courte chez l’homme a déjà été associée à la cryptorchidie et l’hypospade 8, à la diminution de la testostérone et du volume testiculaire 9, à un sperme de moins bonne qualité 10, ainsi qu’à des troubles de fertilité 10 .

Cependant les données humaines dans la littérature retrouvaient des résultats discordants, puisque deux études qui ne retrouvaient pas d’association entre l’exposition aux phtalates et la distance ano-génitale (AGD), mais trois autres études retrouvaient une association 11. C’est pourquoi une nouvelle étude de la distance ano-génitale chez les nouveau-nés selon l’exposition aux phtalates chez la mère durant le premier trimestre de la grossesse a été réalisé sur un plus grand effectif grâce à la cohorte The Infant Development and the Environment Study (TIDES) 11. Cette cohorte a recruté 753 femmes enceintes aux États-Unis entre 2010 et 2012, dans quatre centres. Les critères d’inclusion étaient : avoir plus de 18 ans, être à moins de 13 semaines de grossesse, lire et écrire l’anglais et prévoir d’accoucher dans un des centres participants. Les participantes ont fourni des échantillons d’urine tous les trois mois et un prélèvement sanguin au premier trimestre. Quatre métabolites urinaires d’un phtalate, le DEHP, ont été mesurés par spectrométrie de masse (MEHP, MEOHP, MEHHP, MECPP). À la naissance, les distances ano-scrotale et ano-pénienne étaient mesurées chez les garçons, et les distances ano-clitoridienne et entre l’anus et la fourchette vulvaire chez les filles.

Concernant les caractéristiques de la population, 753 mères ont été inclus, qui ont donnés naissance à 366 nouveaux nés garçons et 373 nouveaux nés filles. 66% des femmes avaient des concentrations urinaires de MEHP détectables au cours du 1er trimestre de la grossesse, et respectivement 97%, 97% et 98% avaient des concentrations urinaires de MEOHP, MEHHP et MECPP détectables. Un des premiers résultats intéressants est donc que la quasi-totalité des femmes enceintes sont exposées aux phtalates. Cela montre que l’exposition aux phtalates est quasi universelle.

Concernant l’AGD, il existe une relation inverse statistiquement significative chez les garçons entre la distance ano-scrotale et les concentrations urinaires de MEHP, MEOHP et MEHHP (p = 0,036 ; p = 0,008 ; p = 0,013 après ajustement sur l’âge gestationnel, le poids et la taille de l’enfant, l’âge maternel, le centre et l’heure du recueil urinaire). La distance ano-pénienne était également associée aux MEOHP et MEHHP (p = 0,011 et p = 0,015). Par ailleurs, cette étude n’a pas retrouvée d’association significative entre l’exposition aux phtalates et la distance ano-génitale chez les filles.

Cette étude de grande ampleur confirme donc qu’une exposition prénatale aux phtalates durant le premier trimestre de la grossesse, est associée à une diminution de la distance ano-génitale chez les garçons. La signification clinique à long terme reste à préciser, mais le lien avec des anomalies testiculaires, une altération de la spermatogenèse et une baisse de fertilité est possible.

Conclusion

Les données convergent pour montrer que l’exposition précoce aux perturbateurs endocriniens – et notamment durant la période critique du développement fœtal – pourrait jouer un rôle déterminant dans la baisse progressive de la qualité spermatique observée dans les populations humaines.

Les études animales et humaines associent l’exposition à certains composés, tels que les phtalates, à des altérations du développement génital masculin comme la réduction de la distance ano-génitale, elles-mêmes liées à la fertilité. Si la démonstration d’un lien de causalité direct demeure complexe, l’accumulation de résultats concordants renforce l’hypothèse d’un impact réel de ces substances sur la fertilité masculine future.

Dans ce contexte, il apparaît nécessaire de réduire l’exposition aux perturbateurs endocriniens, en particulier chez les populations vulnérables comme les femmes enceintes et les enfants. La Direction Générale de la Santé a publié en 2023 des recommandations pratiques accessibles en ligne, destinées à limiter ces expositions 5. Le renforcement de la recherche épidémiologique, le suivi longitudinal des cohortes et la mise en place de stratégies concrètes de prévention représentent des perspectives indispensables pour mieux caractériser ces risques et limiter leurs conséquences sur la fertilité des générations futures.

 

Références

 

  1. World Health Organization. GLOBAL ASSESSMENT SSESSMENT OF THE STATE-OF-THE-SCIENCE OF ENDOCRINE NDOCRINE DISRUPTORS ISRUPTOR. Published online 2002.
  2. Combarnous Y, Nguyen TMD. Comparative Overview of the Mechanisms of Action of Hormones and Endocrine Disruptor Compounds. Toxics. 2019;7(1):5. doi:10.3390/toxics7010005
  3. Vandenberg LN, Colborn T, Hayes TB, et al. Hormones and endocrine-disrupting chemicals: low-dose effects and nonmonotonic dose responses. Endocr Rev. 2012;33(3):378-455. doi:10.1210/er.2011-1050
  4. Ma J, Motsinger-Reif A. Current Methods for Quantifying Drug Synergism. Proteom Bioinform. 2019;1(2):43-48.
  5. Direction générale de la santé. Outil de sensibilisation sur les perturbateurs endocriniens. Ministère du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles. https://sante.gouv.fr/sante-et-environnement/risques-microbiologiques-physiques-et-chimiques/article/perturbateurs-endocriniens
  6. Levine H, Jørgensen N, Martino-Andrade A, et al. Temporal trends in sperm count: a systematic review and meta-regression analysis of samples collected globally in the 20th and 21st centuries. Hum Reprod Update. 2023;29(2):157-176. doi:10.1093/humupd/dmac035
  7. Foster PMD. Disruption of reproductive development in male rat offspring following in utero exposure to phthalate esters. Int J Androl. 2006;29(1):140-147; discussion 181-185. doi:10.1111/j.1365-2605.2005.00563.x
  8. Thankamony A, Lek N, Carroll D, et al. Anogenital distance and penile length in infants with hypospadias or cryptorchidism: comparison with normative data. Environ Health Perspect. 2014;122(2):207-211. doi:10.1289/ehp.1307178
  9. Eisenberg ML, Jensen TK, Walters RC, Skakkebaek NE, Lipshultz LI. The relationship between anogenital distance and reproductive hormone levels in adult men. J Urol. 2012;187(2):594-598. doi:10.1016/j.juro.2011.10.041
  10. Eisenberg ML, Hsieh MH, Walters RC, Krasnow R, Lipshultz LI. The relationship between anogenital distance, fatherhood, and fertility in adult men. PLoS One. 2011;6(5):e18973. doi:10.1371/journal.pone.0018973
  11. Swan SH, Sathyanarayana S, Barrett ES, et al. First trimester phthalate exposure and anogenital distance in newborns. Hum Reprod. 2015;30(4):963-972. doi:10.1093/humrep/deu363