L’évolution du système de santé, le projet de loi de santé et les Endocrino-Diabétologues

 

Le projet de loi de santé organise le premier recours autour des médecins généralistes avec les professionnels de santé para-médicaux mais oublie délibérément la place des spécialistes de proximité et notamment des spécialistes cliniciens.

Nous avons essayé d’alerter la Ministre de la Santé à plusieurs reprises sur ce sujet mais sans succès. En juillet 2014, elle a reçu un courrier, cosigné par tous les représentants des structures représentatives de la spécialité (couvrant tous les modes d’exercice) et par la Fédération Française des Diabétiques, demandant un rendez-vous pour lui exposer nos propositions. A ce jour, nous n’avons reçu aucune réponse. Cette ignorance délibérée n’est plus acceptable.

Notre spécialité souhaite une amélioration et un développement de la prise en charge ambulatoire des patients porteurs de pathologies chroniques dont la prévalence ne cesse de croitre ; or c’est l’un des objectifs de la loi de santé. Les spécialistes libéraux, qui souhaitent pouvoir continuer à travailler en collaboration avec les professionnels de santé de premier recours et avec les structures d’hospitalisation, ont un rôle important à jouer dans ce cadre.

Mais il est évident que la médecine spécialisée libérale de proximité est vouée à disparaitre dans l’esprit de la ministre et des hauts fonctionnaires de son ministère. En effet, l’absence de revalorisation des actes et la volonté de l’Assurance Maladie et du Ministère de la Santé de ne pas s’engager dans l’élaboration de la CCAM clinique (notamment avec la création de consultations cliniques complexes) continuent à fragiliser la survie économique de l’exercice libéral de notre spécialité.

En secteur 1, c’est par une augmentation du nombre d’actes (et donc de leur charge de travail) que les endocrino-diabétologues peuvent espérer dégager des revenus décents mais cela a bien sûr des limites.
Pour le secteur 2, l’attaque dogmatique des dépassements d’honoraires, qui restent très modérés dans notre spécialité et dont on comprend la nécessité économique, contribue à stigmatiser et fragiliser l’exercice libéral.

Dans ces conditions, les jeunes préfèrent le salariat et nous pouvons les comprendre. Au cours des cinq dernières années, les installations en libéral se comptent sur les doigts d’une seule main. L’asphyxie économique finira par venir à bout de l’exercice libéral. C’est ce que l’on entend dans le silence assourdissant sur la place des spécialistes libéraux de proximité dans la loi de santé.

Pourtant, nous savons tous que le développement de l’exercice ambulatoire de notre spécialité est la seule vraie réponse pour l’amélioration de la qualité des soins et de l’efficience médico-économique. Il y a donc là un paradoxe que les technocrates ne voient pas, par incompétence et/ou dogmatisme ? Ils préfèrent sacrifier la médecine spécialisée libérale de proximité au profit de la médecine salariée en laissant les hôpitaux (généraux en particulier) créer des postes de praticiens hospitaliers à qui l’on demande de développer une activité ambulatoire actuellement non rentable en l’absence de revalorisation des actes (sauf si elle se transforme en recrutement pour l’hospitalisation).

Il y a fort à parier que tout ceci changera quand l’étatisation aura bien avancé, et que ces praticiens hospitaliers seront aux ordres des directeurs d’hôpitaux et des ARS qui auront alors toute latitude pour décider, en lieu et place des médecins, les activités de soins à maintenir ou pas, selon leur rentabilité.

Ainsi, à terme, se dessine un système de santé avec , d’un côté, des professionnels de santé de premier recours qui devront prendre en charge des soins pour lesquels ils n’auront forcément pas toutes les compétences (ou alors c’est admettre que l’expertise des spécialistes cliniciens de proximité, qui ont acquis des compétences, est inutile) et, en face, la médecine hospitalière qui ne prendra en charge que les problèmes complexes nécessitant une hospitalisation.

La qualité des soins ne sera plus la priorité ; elle est pourtant affichée aujourd’hui comme l’objectif prioritaire de la loi santé pour mieux faire accepter les réformes. Bien sûr, il finira par apparaitre qu’il s’agit d’une aberration économique mais il sera trop tard. Alors, incompétence ou dogmatisme ? Peut-être les deux ?

Le projet de loi de santé ne peut pas continuer à accélérer ce processus :

   –    mise en place du tiers payant généralisé dont on sait la charge de travail supplémentaire qu’elle va représenter pour les cabinets médicaux avec à terme la mise sous tutelle par l’Assurance Maladie qui sera le seul payeur
   –    nouvelle définition du service public hospitalier, en faveur exclusive des hôpitaux publics
   –    service territorial de santé au public sous le pouvoir des ARS sans assurance que les professionnels de santé auront voix au chapitre
   –    nouvelles compétences pour certaines professions de santé avec clairement l’objectif de les substituer à celles des médecins.

D’autres actions contribuent également à faire évoluer le système de santé dans le même sens :
   –    projet de réforme des DES qui limitera l’accès aux postes d’assistants–chefs de clinique et in fine au secteur 2 avec en ligne de mire sa disparition
   –   non-respect des engagements conventionnels par l’Assurance Maladie (CCAM clinique, ROSP pour les spécialistes non généralistes,…).

Nous demandons :

1) la réécriture du projet de loi de santé

     – sur les sujets déjà évoqués par l’ensemble des centrales syndicales (tiers-payant, service public hospitalier, service territorial de santé au public, testing, …)
     – avec la formalisation de la place des spécialistes de proximité qui doivent rester les interlocuteurs privilégiés des professionnels de santé de premier recours ; il convient de fixer les droits et devoirs de chaque catégorie professionnelle dans le respect mutuel des compétences, avec l’objectif d’une meilleure coordination des soins pour en améliorer la qualité ; il convient également de supprimer les transferts de compétences en organisant les délégations de tâches dans le cadre d’une coordination des soins clairement formalisée et avec des professionnels de santé formés
     – avec suffisamment de précisions pour lever toute ambiguïté quant à l’interprétation future du texte par les institutionnels

2) pour l’organisation de la spécialité au sein des territoires de santé

     – qu’elle se fasse en concertation avec tous les professionnels concernés, tenant compte de l’offre et de la demande, et dans le respect mutuel des différents modes d’exercice, sans les opposer mais en cherchant au contraire les complémentarités
     – que l’ouverture de postes hospitaliers dans les hôpitaux généraux se fasse en concertation avec tous les acteurs territoriaux de la spécialité, après examen de la demande et de l’offre de soins, et que le recrutement sur ces postes ne soit ouvert qu’à des professionnels dûment qualifiés
     – que les intitulés des services des hôpitaux généraux soient soumis à la validation d’une commission ad hoc vérifiant qu’ils correspondent à la réalité d’un exercice professionnel en rapport avec des compétences validées par des qualifications, et que le statut des professionnels y exerçant soit clairement identifiable, précisant leurs qualifications et leurs conditions d’exercice (en particulier lorsqu’ils exercent sous la responsabilité d’un autre praticien)

3) pour la survie et la valorisation de l’activité ambulatoire de notre spécialité

     – que les travaux sur la CCAM clinique s’ouvrent sans délai permettant la reconnaissance rapide d’actes complexes avec une juste valorisation
     – que la MCE soit élargie à un plus grand nombre de consultations en attendant la mise en place de cette CCAM clinique
     – que la ROSP pour l’endocrinologie soit suffisamment valorisée pour être efficace et motivante (avec notamment un nombre plus important d’indicateurs déclaratifs, comme pour la médecine générale, les données dont dispose l’Assurance Maladie pour les spécialités cliniques étant insuffisantes pour établir un nombre suffisant d’indicateurs mesurables) ; pour faire évoluer cette ROSP dans un second temps, la spécialité devrait pouvoir bénéficier d’une aide pour constituer une base de données indépendante
     – que les assurances complémentaires de santé s’engagent enfin à rembourser les compléments d’honoraires lorsque les médecins adhèrent au contrat d’accès aux soins (CAS)
     – que le développement de l’activité ambulatoire (libérale et hospitalière) soit acté par un transfert de moyens à partir du financement de l’hospitalisation
     – que la réforme des DES respecte la maquette européenne et ne brade pas la formation initiale pour des raisons purement économiques.

Nevers, le 15/11/14

Docteur Patrick BOUILLOT                 Docteur Claude COLAS                 Docteur Nathalie GERVAISE
Président du SEDMEN                          Vice-Présidente                               Secrétaire Générale