Newsletter du GIP N°3 – Décembre 2015

Ce XXIVème  séminaire niçois du 7 Novembre 2015 placé sous le patronage de la SFE et de son groupe d’intérêt pour les PE, le GIPE,  a réuni – des experts nationaux et internationaux connus aussi bien pour la qualité de leurs travaux scientifiques que pour leur implication dans les recommandations récentes de l’Endocrine Society – des représentants de l’ANSES (Agence Nationale de sécurité sanitaire de l’Alimentation, de l’Environnement et du Travail).  Les intervenants ont illustré le nombre croissant de pathologies chroniques susceptibles d’être impactées par l’exposition précoce à des polluants chimiques environnementaux ayant une activité de perturbateurs endocriniens ou métaboliques, et le caractère de plus en plus relevant de l’épidémiologie environnementale  lorsqu’elle fait appel  à des études prospectives de cohortes avec prélèvements très précoces au cours du développement (materno-fœtaux, périnataux ou péri-pubertaires). Ce séminaire a fait apparaître également l’importance de l’identification progressive des mécanismes moléculaires en jeu souvent d’ordre  épigénétiques avec l’implication de récepteurs hormonaux variés et les questionnements qui ne manquent pas d’émerger sur la recherche de marqueurs précoces d’exposition, de facteurs de susceptibilité et de mesures préventives médicales et sanitaires souhaitables débouchant alors sur des recommandations.

De plus en plus d’études épidémiologiques font état d’un lien entre exposition à des perturbateurs endocriniens, en particulier à des polluants organiques persistants (lipophiles et à longue demi-vie), et survenue d’un diabète de type 2 et/ou aggravation d’un état d’insulino-résistance pré-existant : c’est le cas pour le DDT, certains PCB, les pesticides organochlorés, les perfluorés, et surtout la dioxine (pour laquelle il existe des données d’exposition accidentelle). Pour autant, quels sont les arguments expérimentaux pouvant expliquer ces observations ? Est-ce que d’autres perturbateurs endocriniens non lipophiles peuvent être incriminés dans la survenue d’une insulino-résistance et/ou d’un diabète de type 2 ?
L’équipe d’Angel Nadal travaille depuis près de 20 ans sur la physiologie de la cellule béta-pancréatique et le rôle éventuel des perturbateurs endocriniens dans l’apparition de troubles de l’insulino-sécrétion et/ou d’anomalies de la sensibilité à l’insuline. Ils ont ainsi pu mettre en évidence qu’une exposition chronique à du bisphénol A était responsable d’une insulino-résistance périphérique (foie, muscle squelettique, tissu adipeux) avec hyperinsulinémie compensatrice, accélérant ainsi l’apparition d’un diabète, chez des souris adultes prédisposées. De la même manière, ils ont pu observer, chez des rats nés de mères exposées à du bisphénol A pendant leur gestation, des troubles de la tolérance glucidique associés à une plus grande prise de poids avec augmentation du tissu adipeux à l’âge adulte.
Dans l’adipocyte, le bisphénol A favorise la transcription des gènes du métabolisme lipidique et des marqueurs de l’inflammation (IL-6, TNF alpha…), tout en inhibant l’expression et l’activité du récepteur à l’insuline au niveau membranaire, conduisant ainsi à l’apparition d’une insulino-résistance. Il est intéressant de noter que les PCB et les dioxines, qui interagissent quant à eux avec le récepteur AhR, vont aggraver cet état d’insulino-résistance au niveau de l’adipocyte, en renforçant l’action du bisphénol A sur la transcription génique et en activant, en parallèle, PPAR gamma, conduisant à une stimulation de l’adipogenèse ; au niveau de la cellule béta-pancrétique, ils sont capables de diminuer le relargage glucose-dépendant de l’insuline, en inhibant directement le transporteur GLUT2. Néanmoins, au niveau pancréatique, le bisphénol A est responsable d’une augmentation de la synthèse et du relargage glucose-dépendant de l’insuline dans la cellule béta, par activation de récepteurs aux estrogènes (nucléaires et membranaires), n’expliquant pas a priori le phénotype observé.
Le potentiel diabétogène (et obésogène) des perturbateurs endocriniens ne doit donc pas être considéré isolément pour chaque produit, mais plutôt en tenant compte de l’effet cocktail qui résulte d’une exposition multiple, et chronique, comme en témoignent les effets différents, mais complémentaires, observés pour le bisphénol A et les PCB ou la dioxine dans l’adipocyte et dans la cellule béta-pancréatique.

1- Alonso-Magdalena P. et al., Endocrinology, 2015 Bisphenol A treatment during pregnancy in mice : a new window of susceptibility for the development of diabetes in mothers later in life
2- Garcia-Arevalo M. et al., PLoS One, 2014  Exposure to bisphenol A during pregnancy partially mimics the effects of a high-fat diet altering glucose homeostasis and gene expression in adult male mice
3- Alonso-Magdalena P. et al., Nat Rev Endocrinol, 2011 Endocrine disruptors in the etiology of type 2 diabetes mellitus
4- Alonso-Magdalena P. et al., Hormones, 2010 (Bisphenol A : a new diabetogenic factor ?

Le Pr Prins travaille depuis de nombreuses années sur le rôle de l’exposition aux estrogènes et aux xénoestrogènes, comme le bisphénol A, sur la carcinogenèse prostatique. Elle a rapporté il y a presque 10 ans déjà que l’exposition prénatale ou post-natale précoce à de faibles doses d’estrogènes ou de bisphénol A entrainait, chez le rat mâle adulte, une augmentation de fréquence de lésions prostatiques pré-cancéreuses et une plus grande  susceptibilité à développer un adénocarcinome prostatique lors d’une nouvelle  exposition à un carcinogène. Son groupe a ensuite identifié des modifications épigénétiques associées à cette exposition et pouvant expliquer l’empreinte influençant à long terme la carcinogenèse, en particulier une hypométhylation du gène  promoteur codant pour la phosphodiestérase de type 4, enzyme participant au contrôle de la prolifération cellulaire [1]. Cette équipe a ensuite développé deux modèles expérimentaux in vitro et in vivo élégants et ingénieux à savoir — un modèle de culture sur matrigel de prostasphères à partir de cellules souches progénitrices de prostate, soit de jeunes rats, soit de prostate d’hommes jeunes et  — un modèle in vivo de xénogreffe de cellules chimériques  prostatiques  homme/ rat chez la souris nude [2,3] permettant de démontrer la capacité de faibles doses de bisphénol A comme d’estrogènes d’influer sur la carcinogenèse de l’épithélium prostatique humain. L’exposition développementale au BPA reprogramme les cellules souches progénitrices prostatiques humaines en augmentant le nombre de cellules souches, la capacité des cellules progénitrices à proliférer et la susceptibilité des cellules prostatiques adultes à se transformer après exposition à de  nouveaux carcinogènes comme les  estrogènes. L’action du BPA intervient  à faibles doses (1nM) correspondant à ce que nous avons trouvé à Nice au sang du cordon [4] et impliquent plusieurs récepteurs aux estrogènes classiques ER et/ ou membranaires GPR30 comme nous l’avions décrit pour le cancer germinal testiculaire de type séminome [5,6] et induisent des modifications épigénétiques que l’équipe de Gail Prins a considérablement  précisées dans une publication très récente [7]. Ces modifications associent à la fois la méthylation de l’ADN, les marques des  histones  de la chromatine et des changements dans l’expression des petits ARN non codants comme les snoRNAs ou petits  ARN nucléolés [7]. Il s’agit d’une preuve in vivo directe de la capacité de l’exposition développementale (fœtale ou périnatale) au BPA à des niveaux présents chez l’homme, à  augmenter la susceptibilité à développer à l’âge adulte un cancer épithélial prostatique.
Le cancer de la prostate (KP), cancer le plus fréquent de l’homme après 50 ans est en augmentation sans que le renforcement de son dépistage et le vieillissement de la population puissent à eux seuls expliquer toutes les données épidémiologiques. En particulier  les hommes  issus de zones à faible incidence (Asie) voient leurs descendants après migration vers des zones à forte incidence (Amérique) retrouver un risque équivalent à la population  native [8], suggérant l’implication de facteurs environnementaux incluant nutrition et pollution chimique. Les garçons issus de mères ayant été exposées au distilbène présentent une hypertrophie de la prostate. La chlordecone, un pesticide organochloré estrogénique, a été corrélé positivement à la survenue et à l’agressivité d’un KP chez l’homme antillais [9]. Le risque de survenue de KP chez l’homme âgé est corrélé positivement au taux d’estradiol et négativement au taux de testostérone. Le rapport estradiol sur testostérone augmente avec l’âge chez l’homme constituant en soi un facteur de risque qui vient compléter l’empreinte épigénétique induite beaucoup plus tôt au cours du développement, par des facteurs environnementaux.

1- Ho SM et al. Developmental exposure to estradiol and bisphenol A increases susceptibility to prostate carcinogenesis and epigenetically regulates phosphodiesterase type 4 variant 4. Cancer research 2006.
2- Hu WY et al. Estrogen-initiated transformation of prostate epithelium derived from normal human prostate stem-progenitor cells. Endocrinology 2011.
3- Prins GS et al. Stem Cells as Hormone Targets That Lead to Increased Cancer Susceptibility. Endocrinology 2015.
4- Fenichel P et al. Unconjugated bisphenol A cord blood levels in boys with descended or undescended testes. Human reproduction 2012.
5- Chevalier N et al. Bisphenol A promotes testicular seminoma cell proliferation through GPER/GPR30. International journal of cancer 2012.
6- Chevalier N et al. GPR30, the non-classical membrane G protein related estrogen receptor, is overexpressed in human seminoma and promotes seminoma cell proliferation. PloS one 2012.
7- Ho SM et al. Exposure of Human Prostaspheres to Bisphenol A Epigenetically Regulates SNORD Family Noncoding RNAs via Histone Modification. Endocrinology 2015.
8- Marks LS et al. Prostate cancer in native Japanese and Japanese-American men: effects of dietary differences on prostatic tissue. Urology 2004.
9- Multigner L et al. Chlordecone exposure and risk of prostate cancer. Journal of clinical oncology 2010.

Les hormones thyroïdiennes ont un rôle crucial dans le développement du système nerveux, la période d’exposition in utero étant critique pour les produits neurotoxiques en général et les perturbateurs endocriniens en particulier. Ces PT peuvent agir à tous les niveaux de la signalisation thyroïdienne, ce qui complique le criblage des molécules. Pour cette raison, un modèle in vivo semble le plus pertinent pour explorer les différents aspects de la physiologie thyroïdienne : le groupe de Barbara Demeneix a développé un test de criblage chez le Xenopus Laevis. Il est bien connu que la métamorphose chez l’amphibien est induite par les hormones thyroïdiennes (période correspondant à la période périnatale chez les mammifères). Cependant, la signalisation thyroïdienne a aussi un rôle important précocement au cours du développement, chez l’embryon, avant même le début de la synthèse des hormones thyroïdiennes (1).  Le groupe de Barbara Demeneix a donc mis au point un test  (en cours de validation à l’OCDE) qui utilise des embryons de Xenopus Laevis transgéniques dont la fluorescence peut être quantifiée après 3 jours d’exposition à des PT potentiels (2). Ils ont sélectionné 17 produits présents chez plus de 90% des femmes enceintes américaines issues de l’étude du National Health and Nutritional Examination Survey (3), et les ont testés à des concentrations similaires à celles retrouvées dans le liquide amniotique humain, isolé et sous forme de « cocktail », en présence ou non de T3. En présence de T3, ils ont trouvé un effet PT avec, dans les expériences rapportées, une augmentation de l’effet de la T3 sous l’effet de ce type de « cocktail », qui est la résultante des effets individuels de chaque composé. Ceci pourrait être dû à une perturbation de l’activité des désiodases. Enfin JB Fini a rapporté des modifications de la structure du cerveau des embryons de X Laevis transgéniques après 3 jours d’exposition à la « cocktail » de PT qui supporte un effet potentiellement neurotoxique.
Ces résultats sont intéressants car ils démontrent qu’un « cocktail » de produits chimiques auxquels nous sommes tous exposés est capable de perturber précocement la signalisation thyroïdienne chez le Xenopus Laevis, qui peut servir comme modèle de perturbation chez l’homme. Ils sont aussi intéressants car ils montrent ici un effet T3-like qui pourrait être délétère sur le développement du cerveau (altération de tests de nage chez les têtards exposés). Ces résultats expérimentaux méritent d’être confrontés à des résultats dans l’espèce humaine, cependant beaucoup plus difficile à étudier étant donné les nombreux facteurs confondants. On retiendra que trop peu, mais aussi trop d’hormones thyroïdiennes, est délétère en début de grossesse comme en témoignent les résultats récemment rapportés par une équipe néerlandaise (4) qui, sur une large cohorte d’enfants, rapporte une association en courbe en U inversée entre la T4 maternelle en début de grossesse et le QI de leurs enfants (ainsi que les anomalies de la morphologie cérébrale en IRM).

1- Préau L, Fini JB, Morvan-Dubois G, Demeneix B. Thyroid hormone signaling during early neurogenesis and its significance as a vulnerable window for endocrine disruption. Biochem Biophys Acta 2015.
2- Fini JB, Le Mevel S, Turque N, Palmier K, Zalko D, Cravedi JP, Demeneix BA. An in vivo multiwell-based fluorescent screen for monitoring vertebrate thyroid hormone disruption. Environ Sci Technol 2007.
3- Woodruff TJ Zota AR, Schwartz JM. Environmental chemicals in pregnant women in the United Staes: NHANES 2003-2004. Env Health Perspect 2011.
4- Korevaar TIM, Muetzel R, Medici M, et al.. Association of maternal thyroid function during early pregnancy with offspring IQ and brain morphology in childhood : a population-based prospective cohort study. Lancet Diabet Endocrino 2015,

« Tout ce qui a été acquis, tracé ou changé, dans l’organisation des individus, pendant le cours de leur vie, est conservé par la génération et est transmis aux nouveaux individus qui proviennent de ceux qui ont éprouvé ces changements. »  JB  de Lamarck

Un hommage à l’intuition de JB de Lamarck a été fait par le Pr Burgio. JB  de Lamarck est un naturaliste français du XIXe siècle. Il a réalisé la classification des invertébrés. Il est un de ceux qui ont pour la première fois utilisé le terme de biologie pour désigner la science qui étudie les êtres vivants. Il est le premier à proposer une théorie mécaniste des êtres vivants à partir de laquelle il élabore une théorie de leur évolution  fondée sur deux principes :
– la complexification croissante de l’organisation des êtres vivants
– leur diversification, ou spécialisation, en espèces, à la suite d’une adaptation à leur milieu de leur comportement ou de leurs organes.
Cette théorie « transformiste » en opposition à la « sélection naturelle », peut être maintenant interprétée par des mécanismes de modification épigénétiques. Cette  modulation a conduit à la notion de polyphénisme qui est la capacité à produire différents phénotypes avec un même génome. Les phénomènes épigénétiques héritables ne se substituent pas à l’hérédité du système génétique germinal, mais seraient responsables d’une certaine modulation de celui-ci autrement dit le génome est un écosystème dynamique modulé par l’épigénome.


 De Lamarck 1744-1829

En cancérologie, les variations de méthylation des oncogènes ou des gènes suppresseurs de tumeurs peuvent favoriser la carcinogenèse. Le Pr Burgio émet une hypothèse différente de la classique mutation somatique à l’origine des cancers ; ces mutations somatiques seraient un phénomène secondaire. L’hypothèse serait la présence de modifications épigénétiques et génétiques des cellules souches qui conduiraient au cancer : ces cellules souches réactiveraient un programme de transition épithéliale mésenchymateuse, programme  qui ré-induirait entre autre la capacité de migration donc la capacité métastatique. Les mutations somatiques seraient un évènement secondaire lié à l’instabilité génomique, participant au phénotype mais non inductrice en elles-mêmes de la tumeur. Ces modifications épigénétiques des cellules souches pourraient être induites par certains perturbateurs environnementaux. Le distilbène en est un exemple.

1- Burgio E), Migliore L. Towards a systemic paradigm in carcinogenesis: linking epigenetics and genetics. Mol Biol Rep. 2015

© GIPE/SFE Décembre 2015