Prévention des complications thyroïdiennes des accidents nucléaires

Avec la guerre qui sévit en Ukraine, le souvenir de Tchernobyl refait surface. L’état français a envoyé 2 500 000 comprimés d’iodure de potassium pour pouvoir saturer rapidement les thyroïdes des habitants restés sur place si l’une des centrales nucléaires ukrainienne venait à connaitre un incident grave.

En France, l’anxiété aidant, des personnes de plus en plus nombreuses se précipitent chez leur pharmacien pour se procurer des comprimés d’iodure de potassium ou sont à la recherche d’informations.

Deux situations méritent d’être évoquées : une attaque nucléaire et un incident dans une ou plusieurs des centrales nucléaires ukrainiennes.

En cas d’attaque nucléaire, le problème n’est pas l’iode radioactif, mais les conséquences de la déflagration, et en cas de survie, l’exposition à des isotopes bien plus dangereux que les isotopes radioactifs de l’iode. Selon l’IRSN, une explosion atomique produit une cinquantaine de composés radioactifs, qui peuvent engendrer « plus de 200 radionucléides « secondaires » » en se désintégrant, et contre lesquels l’iode ne protège en rien.

En cas d’incident dans une ou plusieurs des centrales nucléaires ukrainiennes, les expériences (malheureuses) du passé doivent avoir une vertu pédagogique.

  • Quels rejets ?
    • En cas d’accident nucléaire grave, des dizaines d’isotopes radioactifs sont rejetés dans l’atmosphère sous forme de gaz, d’aérosols et de combustible finement fragmenté. L’131I et le 137Cs sont les principaux radionucléides à l’origine de la radio-exposition des populations alentours. Les 2 voies de contamination majeure par l’131I sont l’inhalation (très précoce dans la chronologie des événements) et l’ingestion (via les denrées exposées dans les zones contaminées, notamment le lait des ruminants non protégés). La voie de contamination transcutanée est plus anecdotique. Les enfants sont particulièrement exposés avec une dose estimée à la thyroïde de 8 à 9 fois celle de l’adulte. L’131I est un émetteur beta -, responsable des effets délétères pour la thyroïde, et gamma.
  • Conséquences thyroïdiennes de l’exposition à l’iode 131.
    • Pour de très fortes doses il est observé une destruction de la thyroïde.
    • Pour des doses moyennes, les conséquences seront de l’ordre des phénomènes de thyroïdite auto-immune.
    • le risque de cancer thyroïdien est majoré même pour de faibles doses
  • Comment se protéger ?
    • En cas d’accident nucléaire, l’alerte est signifiée à la population par des sirènes qui diffusent 3 signaux sonores prolongés et modulés, d’une minute quarante-et-une secondes chacun, et séparés d’un intervalle de 5 secondes. La population est invitée à écouter les médias, particulièrement la radio, afin de bénéficier des informations et des consignes préfectorales.
    • Les mesures de confinement (calfeutrer toutes les ouvertures, arrêt des systèmes de ventilation…) permettent de soustraire au maximum les personnes et le bétail (stabulation) aux risques du nuage radioactif. Le port du masque peut être utile.
    • Il est recommandé un arrêt de la consommation de produits frais (contaminés par les retombées au sol des particules radioactives, surtout par temps de pluie) et en particulier des apports lactés frais en provenance de la zone contaminée.
    • En cas de risque majeur, le préfet peut ordonner l’évacuation des populations.
  • Quid des comprimés d’iode ?
    • Seuls les comprimés d’iodure de potassium (KI) dosés à 65 mg d’iodure de potassium sont utiles. Ils contiennent 50 milligrammes d’iode, à rapprocher des besoins en iode d’un adulte compris entre 100 et 150 microgrammes par jour. On ne peut pas les acheter en vente libre en France. Les spécialités iodées disponibles en pharmacie ne sont pas suffisamment concentrées en iode pour pouvoir saturer la thyroïde.
  • Comment cela fonctionne-t-il ?
    • L’effet inhibiteur du KI est rapide, dès 30 minutes après son ingestion. Cette mesure prophylactique est d’autant plus efficace qu’elle est précoce. Le KI, peut ainsi réduire de plus de 95 % l’irradiation de la thyroïde, s’il est pris une à deux heures avant ou au moment de la contamination. Son efficacité n’est plus que de 50 % si la prise a lieu 6 h après. L’apport « massif » d’iode stable, va agir selon plusieurs mécanismes : un effet de dilution, réduisant l’exposition à des isotopes radioactifs de l’iode, une inhibition du transport de l’iode dans la thyroïde via le symporteur sodium/iode (NIS), un blocage de l’« organification » de l’iode dont l’iode 131 par la mise en œuvre de l’effet Wolff-Chaikoff. Enfin, en provoquant la formation d’un composé organique iodé, l’iodure administré inhibe la liaison d’iode 131 et prévient le recyclage d’iode organique radioactif dans la tyroïde et réduit ainsi sa demi-vie.
  • Combien de temps l’efficacité dure-t-elle ?
    • L’effet des comprimés de KI n’étant que suspensif, la fixation des iodes radioactifs reprend généralement au bout de 48 heures. La prise d’iode stable doit par conséquent être répétée en cas de risque persistant au-delà de quelques jours.
  • Modalités et organisation de la prophylaxie par iodure de potassium
    • Les comprimés de KI ne peuvent être délivrés aux Français que sur instruction des autorités. On ne le trouve pas en vente libre dans les pharmacies. Gratuits, les pouvoirs publics ont prévu de distribuer des comprimés de KI aux populations exposées. Cette distribution existe selon deux modalités :
      • une distribution préventive aux habitants vivant dans un rayon de planification de 20 km autour des installations présentant un risque de rejet d’iode radioactif (centrales nucléaires). La distribution d’iode est renouvelée régulièrement en fonction de la date de péremption des comprimés.
      • une distribution réalisée en situation d’urgence, après activation du plan « ORSEC iode départemental » (Organisation de la Réponse de Sécurité Civile). L’ordre d’administration du KI est donné par le préfet. Le niveau d’intervention retenu est le risque d’une exposition de la thyroïde des enfants à une dose ≥ 50 mSv. Les points de distribution de proximité sont indiqués au public par différents véhicules de l’information.
    • Posologies recommandées
      • Les femmes enceintes et les jeunes de moins de 18 ans doivent être protégés en priorité. Le traitement prophylactique est sans doute inutile après 40 ans et même potentiellement dangereux après 60 ans et chez les personnes à risques (antécédents de dysthyroïdie ou de cardiopathie).
      • Les comprimés dosés à 65 mg de KI peuvent être avalés ou dissous dans une boisson (eau, lait, jus de fruits…).
      • Les posologies sont de :
        • 2 comprimés (soit 130 mg) pour les adultes – y compris les femmes enceintes – et les jeunes de plus de 12 ans
        • 1 comprimé (soit 65 mg) pour les enfants de 3 à 12 ans
        • un demi-comprimé (soit 32,5 mg) pour les enfants de 1 mois à 3 ans
        • un quart de comprimé (soit 16,25 mg) pour les bébés jusqu’à 1 mois.
        • Les personnes aux antécédents de thyroïdectomie totale n’ont pas à prendre de comprimés de KI. Cette prise reste bien entendu recommandée si la thyroïdectomie n’a été que partielle.
  • Effets secondaires
    • Effets secondaires thyroïdiens : un blocage thyroïdien aigu a été observé chez 0,37% des nouveaux nés, se traduisant par une majoration transitoire de la TSH et une diminution de la T4 lors de la distribution massive de comprimés de KI en Pologne après l’accident de Tchernobyl. Aucune séquelle n’a été déplorée. Une surveillance est recommandée dans ce contexte. Le KI peut exacerber une dysthyroïdie (hyperthyroïdie) sous-jacente.
    • Effets secondaires extra-thyroïdiens : moins de 5% des utilisateurs ont des effets secondaires. Les plus fréquents sont des troubles digestifs (épigastralgies, nausées, vomissements, diarrhée), des rashs cutanés, une dyspnée. Les réactions allergiques systémiques sont très rares.
  • Contre-indications : elles sont rares. Les comprimés de KI sont contre-indiqués en cas d’allergie à l’iode (qui est différente de l’allergie aux produits de contrastes iodés utilisés dans les scanners)  ou à ses excipients, de dysthyroïdie (en particulier l’hyperthyroïdie active), de dermatite herpétiforme ou de vascularite hypocomplémentémique.
  • Alternative au KI. Elle pourrait être représentée par le perchlorate de potassium à la posologie de 1g.

En conclusion :

L’iode stable n’est pas la panacée face au risque d’accident ou d’explosion nucléaire. Il ne protège que du risque lié à l’iode radioactif et aucunement des méfaits des autres isotopes libérés par dizaines dans l’atmosphère dans ces circonstances. Son emploi doit cibler en priorité les enfants et les femmes enceintes. Il ne semble pas avoir d’intérêt après 40 ans et pourrait être dangereux après 60 ans et chez certains patients fragiles (dysthyroïdiens, cardiopathes…). Devant être utilisé durant une fenêtre temporelle très stricte, sa distribution est parfaitement règlementée sous l’autorité préfectorale.

 

Société Française d’Endocrinologie et Groupe de Recherche sur la Thyroïde