Propecia® et dysfonction érectile persistante Un exemple de vraie présomption d’innocence.

Une mise au point sur les potentiels effets secondaires sexuels du finastéride par JM Kuhn (CHU Rouen)

Propecia® et dysfonction érectile persistante  Un exemple de vraie présomption d’innocence.

JM Kuhn,
Service d’Endocrinologie, Diabète et Maladies Métaboliques, CHU Rouen.

Inhibition thérapeutique de l’activité de la 5-alpha réductase de type II.

Le Propecia® est utilisé pour le traitement des stades peu évolués ou la stabilisation de l’alopécie androgénique masculine. Le finastéride, principe actif du Propecia®, bloque la transformation locale de la testostérone en dihydrotestostérone (DHT) par la 5-alpha réductase de type II présente dans le follicule pileux du cuir chevelu. Ce traitement, aux résultats cosmétiques indiscutables(1), est actuellement mis sur la sellette car suspect d’induire des effets secondaires négatifs, sur la libido et la fonction érectile, persistants après son interruption.
La DHT, androgène physiologiquement le plus puissant, est issu de la conversion de la testostérone par deux 5-alpha réductases dénommées type I et type II. La répartition tissulaire de ces deux isoformes de l’enzyme est différente. Le type I est préférentiellement exprimé dans la peau, le foie et le testicule tandis que le type II est principalement présent dans le tractus génital mâle et les follicules pileux du cuir chevelu.
A l’inverse du type I, non exprimé chez le fœtus, le type II joue un rôle essentiel dans la différenciation sexuelle. La DHT, formée in situ grâce à la 5-alpha réductase de type II périnéale à partir de la testostérone circulante provenant du testicule fœtal, est indispensable à la masculinisation du périnée initialement indifférencié (2). Les deux isoformes de l’enzyme, codés par des gènes penta-exoniques portés par des chromosomes différents (respectivement les chromosomes 5 et 2), sont soumis à une régulation multi-factorielle complexe dans laquelle les androgènes apparaissent intervenir positivement dans la plupart des modèles expérimentaux.
Chez l’adulte, la DHT qui circule à des taux plasmatiques d’à peu près 8% de ceux de la testostérone totale, conserve un rôle trophique sur les voies génitales mâles, en particulier sur la prostate et les vésicules séminales, qui sont riches en 5-alpha réductase de type II. Pour cette raison, des inhibiteurs de la 5-alpha réductase de type II ont été mis au point pour s’opposer à l’effet prolifératif de la DHT, formée localement, sur la prostate. L’inhibition de la 5-alpha réductase de type II est couramment employée comme traitement médical de l’hypertrophie bénigne de la prostate. Le finastéride, chef de file de cette famille de médicaments est utilisé à la posologie quotidienne de 5 mg (Chibro-Proscar®) dans cette indication. A cette dose, le finastéride fait chuter les taux plasmatiques de DHT des 2/3. La réduction de ces taux n’est pas totale en raison de l’effet deux cents fois plus spécifique du finastéride sur la 5-alpha réductase de type II que sur le type I, qui reste actif. Le blocage de l’activité de la 5-alpha réductase de type II permet de réduire efficacement le volume de la prostate au prix d’un minimum d’effets indésirables à court ou long terme. Dans des études contrôlées portant sur plusieurs centaines de patients, baisse de la libido, dysfonction érectile, réduction du volume de l’éjaculat, ont été rapportés avec une fréquence significativement supérieure à celle du groupe traité par placebo. La survenue d’une gynécomastie a été retrouvée chez environ 4 à 5% des patients traités par finastéride à la dose de 5 mg/j (3). Cet effet secondaire, dont le mécanisme physiopathologique passe vraisemblablement par une réduction de l’influence androgénique sur le tissu mammaire a été très rarement signalé au cours de traitements par Propecia® (1,4). A contrario, l’absence d’influence significative du finastéride sur la 5-alpha réductase de type I présente dans le testicule (5), permet d’éviter un retentissement négatif gênant sur les fonctions testiculaires endocrines ou exocrines. De façon attendue, à l’abaissement du taux plasmatique de DHT induit par l’inhibiteur de la 5-alpha réductase, s’associe une élévation significative de la testostéronémie qui contraste avec l’absence de modification des taux d’estradiol ou de LH plasmatiques (6). L’activité de l’aromatase n’est fort logiquement pas modifiée, même indirectement, par l’inhibition de la 5-alpha réductase. D’autre part, testostérone et estradiol, agissant sur leurs récepteurs respectifs, suffisent à exercer un rétro-contrôle complet sur la sécrétion de LH dont les taux sont inchangés (6,7). Enfin les taux de FSH plasmatique ne sont pas modifiés par le finastéride, ni bien sûr par le placebo (6). Le blocage de l’activité de la 5-alpha réductase de type II ne semble pas avoir d’influence sur la sécrétion testiculaire d’inhibine B. Toutes les subtiles modifications observées sont réversibles à l’arrêt du traitement.

Le traitement par finastéride (Chibro-Proscar®, Propecia®) expose t’il a de potentiels effets secondaires sexuels ?

L’activité du Propecia® ciblée sur la 5-alpha réductase type II du cuir chevelu, s’exerce également sur les voies génitales masculines. Son emploi a donc fait rechercher la survenue d’effets sexuels indésirables chez les patients traités au long cours pour alopécie androgénique. Plusieurs études contrôlées ont rapporté la survenue de troubles de la fonction sexuelle (baisse de la libido, dysfonction érectile) chez les patients traités de façon prolongée par Propecia®. Fait particulier, ces troubles ont persisté chez certains patients alors que le traitement était interrompu (8,9). La question s’est donc posée de la responsabilité du finastéride dans l’induction et dans l’irréversibilité de ces troubles.
La survenue, en cours de traitement par finastéride, d’une réduction du volume de l’éjaculat est non surprenante compte tenu de l’action potentielle du Propecia® sur les voies génitales masculines, même s’il n’est utilisé qu’à la dose d’1 mg/jour, posologie cependant 5 fois inférieure à celle conseillée dans l’indication hypertrophie bénigne de prostate. De façon similaire, une baisse de la libido et des difficultés érectiles peuvent s’expliquer par la diminution de la 5-alpha réduction de la testostérone en DHT et en conséquence de l’intensité de l’influence androgénique locale. Il faut rappeler que la NO-synthase pénienne, qui intervient dans la vasodilatation des corps caverneux, est inductible par la DHT (10,11). Au demeurant, la NO-synthase est également inductible par la testostérone qui se lie aux mêmes récepteurs que la DHT. Une baisse de la testostérone (totale ou « libre ») a été associée à une altération de la fonction sexuelle chez l’homme (12), ce qui n’est pas observé pour la DHT. Le traitement par finastéride s’accompagne d’une élévation de la testostéronémie (13), conséquence qui est susceptible de contrebalancer l’effet négatif du blocage de sa 5-alpha réduction sur la libido et la fonction érectile. L’analyse longitudinale réalisée dans la « Prostate Cancer Prevention Trial », étude randomisée, en double aveugle contre placebo, et menée chez 17313 patients traités pendant une période de 7 ans conclut que l’impact du finastéride sur la fonction sexuelle est minime (13). Lorsqu’il existe, il se réduit lors de la poursuite du traitement (14,15). Le doute sur la responsabilité du finastéride dans l’induction de troubles sexuels est renforcé par le résultat d’une récente méta-analyse qui rassemble près de 4000 patients traités par Propecia®. Cette méta-analyse conclut que Propecia® et placebo exposent au même risque d’interruption du traitement en raison de la survenue d’effets indésirables sexuels (16).

Le Propecia® est il responsable d’effets secondaires sexuels susceptibles de persister après arrêt du traitement ?

Au contraire de ce qui est possible et plausible lorsque la thérapeutique par Propecia® est en cours, nombre d’arguments plaident contre la responsabilité du finastéride dans la persistance des effets secondaires sexuels après l’interruption du traitement. Les troubles observés répondent à des mécanismes variés, somatiques et/ou psychologiques, susceptibles de s’associer. Il a notamment été clairement démontré que la fréquence de survenue des troubles sexuels chez les patients traités par finastéride pour hypertrophie bénigne de la prostate (5 mg/jour) était fonction de l’information donnée aux patients sur les effets secondaires potentiels avant la mise en route du traitement (17). Une étude japonaise portant sur près de 2300 patients traités pendant 3 ans ½ par 1 mg de finastéride pour alopécie androgénique ne rapporte pas d’effet indésirable significatif (1). Il est d’autant plus improbable de rattacher au Propecia® la persistance post-thérapeutique des troubles de la fonction sexuelle que les subtiles modifications hormonales qu’il induit sont réversibles à l’arrêt du traitement. Les études qui ont relaté la survenue de la prolongation d’une dysfonction érectile à distance de l’arrêt du Propecia® ont une valeur d’autant plus limitée qu’elles sont rétrospectives, comportent des biais de recrutement des patients et ne contiennent pas de mesures hormonales (9).

En conclusion

La responsabilité du Propecia® dans la persistance de troubles de la libido ou de l’érection après arrêt du traitement per os de l’alopécie androgénique est plus qu’improbable. Si de tels symptômes persistent après interruption de ce traitement, il convient de rechercher les autres facteurs, somatiques, médicamenteux et/ou psychologiques, inducteurs connus et parfois intriqués de ces symptômes.

Références bibliographiques

1- Sato A & Takeda A. J Dermatol 2012; 39:27-32.
2- Russell DW & Wilson JD. Annu Rev Biochem 1994; 63:25-6.
3- Thomson IM et al. N Engl J Med 2003; 349:215-24.
4- Ramot Y et al. Int J Trichology 2009; 1:27-9.
5- Mahony MC et al. Fertil Steril 1998; 69:1116-2.
6- Rittmaster RS et al. J Clin Endocrinol Metab 1992; 75:484-8.
7- Castro-Magnana M et al. J Androl 1999; 17:516-21.
8- Traish AM et al. J Sex Med 2011; 8:872-84.
9- Irwig MS & Kolukula S. J Sex Med 2011; 8:1747-53.
10- Goglia L et al. Mol Hum Reprod 2010; 16:761-9.
11- Yu J et al. Endocrinology 2010; 151:1822-8.
12- O’Connor DB et al. J Clin Endocrinol Metab 2011; 96:E1577-87.
13- Gormley GJ et al, J Clin Endocrinol Metab 1990; 70:1136-41.
14- Moinpour CM et al. J Natl Cancer Inst 2007; 99:1025-35.
15- Erdemir F et al. J Sex Med 2008; 5:2917-24.
16- Mella JM et al. Arch Dermatol 2010; 146:1141-50.
17- Mondaini N et al. J Sex Med 2007; 4:1708-12.

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