Décès de Roger Guillemin

Roger Guillemin : Un grand bâtisseur de la Neuroendocrinologie moderne nous a quittés

 

Voir l’article du Monde. 

Roger Guillemin, médecin et chercheur de renommée internationale, s’est éteint ce 21 février 2024 alors qu’il venait de fêter ses 100 ans.

Il avait reçu le prix Nobel de physiologie et de médecine en 1977 pour des découvertes fondamentales qui ont été à la base de la neuroendocrinologie moderne.

Ce médecin-chercheur français, devenu ensuite franco-américain, est né à Dijon le 11 janvier 1924. Il entreprend ses études de médecine à l’Université de Bourgogne et les achève en 1949 à la Faculté de Médecine de Lyon. Il rejoint l’équipe de Hans Selye à l’université de Montréal où il obtient un PhD de Physiologie, en Endocrinologie Expérimentale en 1953. Dans ce laboratoire il rencontre un des fondateurs de la neuroendocrinologie, Geoffrey Harris. Ce chercheur reconnu avait accumulé des données – in vivo – très solides et complémentaires montrant le rôle clé du système porte dans les relations entre l’hypothalamus et l’adénohypophyse. Il avait ainsi soulevé l’hypothèse de l’existence de neuromédiateurs hypothalamiques (« releasing factors ») contrôlant la sécrétion des hormones hypophysaires. Suite à cette rencontre, Roger Guillemin a eu comme objectif primordial et permanent d’identifier la structure chimique de ces neurohormones hypothalamiques putatives. Il commence le développement de ce projet au Baylor College à Houston (USA) poursuivi en alternance avec un séjour au Collège de France.

Vu la sensibilité limitée des méthodes d’analyse de l’époque il doit tout d’abord accumuler des centaines de milliers d’hypothalami de mouton pour disposer de quantités suffisantes d’extraits à analyser. Il réussit cet exploit d’abord en France puis à Houston. Parallèlement, il s’entoure de chercheurs remarquables ayant des expertises complémentaires dans des technologies émergeantes à l’époque, telles que les séparations chromatographiques, la spectrométrie de masse, des cultures primaires de cellules hypophysaires et les dosages radioimmunologiques.

En combinant avec virtuosité ces outils son groupe identifie en 1971 la première neurohormone, appelée à l’époque TRF, connue ensuite sous l’acronyme TRH qui est impliquée dans la libération hypophysaire de TSH. L’impact de cette découverte a eu entre-autre comme conséquence le recrutement de Roger Guillemin par Jonas Salk. Le chercheur migre avec l’ensemble de son équipe à La Jolla dans un laboratoire de Neuroendocrinologie créé spécialement pour eux au Salk Institute. Une fois sur place, grâce à des approches similaires, ils isolent et identifient en 1972 la séquence du décapeptide GnRH impliqué dans le contrôle de la sécrétion hypophysaire de LH et FSH, appelé alors LRF puis désignée sous l’acronyme LHRH. Leurs résultats sont publiés pratiquement au même moment que ceux, tout à fait superposables, du groupe d’Andrew Schally qui partagera le prix Nobel avec Guillemin.

Par une approche toujours analogue, en cherchant cette fois ci le facteur hypothalamique impliqué dans la stimulation de la libération hypophysaire d’hormone de croissance (GH) l’équipe, presque paradoxalement, isole dans leurs extraits un inhibiteur de la libération de la GH. Ainsi, la structure primaire de ce peptide, dénommé depuis somatostatine est publiée en 1973.

Mais Roger Guillemin était toujours en quête du facteur stimulateur de la libération de GH. L’isolement de ce qui deviendra la GHRH, passera en fait par un chemin différent de celui emprunté pour découvrir les autres neuropeptides contrôlant les sécrétions hormonales hypophysaires. En effet, son extraction puis identification sera menée directement à partir de tissu humain provenant d’une tumeur pancréatique diagnostiquée par le Dr. Geneviève Sassolas sur un patient atteint d’une forme particulière et très rare d’acromégalie.

A côté de ces exploits, dont nous ne donnons ici qu’un aperçu, rappelons aussi que Guillemin et son équipe ont accueilli au Salk-Institute de très nombreux chercheurs français contribuant à l’excellence de la neuroendocrinologie française.

Ainsi, le Pr. Roger Guillemin et son équipe ont bâti la neuroendocrinologie moderne transatlantique. Leurs découvertes majeures, n’ont pas seulement été à la base d’avancées majeures en physiologie humaine mais ont aussi permis la synthèse de nombreuses molécules dérivées de ces peptides hypothalamiques. Leur mise au point a permis de faire un saut spectaculaire dans l’exploration hormonale et le traitement de nombreuses maladies endocrines. Plus largement ces avancées thérapeutiques ont rendu possible la prise en charge moderne de milliers de patients à travers le monde, atteints de maladies hormono-dépendantes comme le cancer de la prostate. Ce n’est pas la moindre des prouesses de cet immense chercheur franco-américain né à Dijon.

 

 

Geneviève Sassolas, Jacques Young, Jérôme Bertherat, Huber Vaudry, Gérald Raverot.

Au nom de la SFE.